Palou le magnifique

| ven, 07. juin. 2013
Pierre Gremaud
Journaliste, auteur de théâtre, poète, metteur en scène, Pierre Gremaud s’est éteint jeudi après plusieurs mois de maladie. Il avait 62 ans.

PAR PIERRE SAVARY


Non, on ne verra plus sa grande silhouette remonter la rue de Gruyères – à la main son sac légendaire – à rebours du trafic qu’il ignorait superbement, pris dans ses pensées mais attentif au moineau qui sautille et au chat qui rôde.
Oui, le chat. Palou aimait les chats, ceux de Baudelaire, ceux de Balthus, ceux de Steinlen, mais surtout le sien: Moune Moune. Palou était un chat: indépendant, la tête au vent, rebelle à toute entrave, à tout ce qui vient agresser la rondeur des jours, les encoubles du quotidien, ces nouveaux outils qu’on impose. L’ordinateur? On lui disait clavier, il voyait piano.
Comme le chat, Palou le joueur. Une pelote de laine aurait-elle suffi? Il a aimé le tapis de cartes, le flipper, la pétan-que. Et les mots. Palou le jongleur de mots, rigoureux, précis, concis, incollable en orthographe, doté d’une mémoire redoutable. Il a écrit un jour: «J’aime les mots. Ils doivent avoir le satin d’une peau de pêche. Leur chair doit être pulpeuse et juteuse. En les écrivant, j’ai le sentiment de toucher leur noyau… parfois. Les mots, c’est mon orchestre à moi. Et je veux qu’il joue juste».
Il les a fait jouer juste, les mots, au fil d’une longue collaboration avec La Gruyère, avec des portraits amples et pétris de bonne chaleur, des chroniques judiciaires, des critiques d’art ciselées, fruits mûrs d’une vaste culture picturale. Il collaborait également au journal Coopération, en proposant chaque semaine sa grille de mots croisés (une gourmandise!) et un billet signé d’un énigmatique «Grégoire».

Un théâtre exigeant
Acteur et metteur en scène, il a joué les mots et les a fait jouer. On l’a vu dans Le journal d’un fou, de Gogol. On l’a vu le poing levé dans La passion de Nicolas Chenaux, en 1981. Dès les années 1970, avec ses partenaires de la TTTT et d’Imago, il a ouvert des voies, il a élargi le champ du regard en convoquant sur les scènes de La Tour et de Bulle quelques trublions du théâtre contemporain: Vian, Beckett, Weiss, Pinter, Viala.
A Treyvaux, où il entretenait de solides liens d’amitié, il avait mis en scène Le chèkré du tsandèlê, premier opéra populaire patois. C’était en 1985.
Enfant de la balle (en quelque sorte), Palou était le fils d’Agnès et d’Henri Gremaud, ancien conservateur du Musée gruérien, figure tutélaire du théâtre amateur en Gruyère. Et auteur comme le sera son fils. Les créations de Palou sont nombreuses, notamment pour les Rencontres théâtrales, dont il fut l’un des initiateurs. Sa troupe Imago lui a d’ailleurs rendu hommage, à l’Ascension, en signant un spectacle trouble-fête, Enfin seul. Poète, il a accordé sa plume à celle de plusieurs musiciens: Antonio Scarangella, avec qui il avait créé quelques chansons dans les années 1970; Pierre Kaelin pour Catillon ou l’épreuve du feu, en 1989 à Broc; Henri Baeriswyl pour Aquarium, pour La Trême à vau-l’eau, en 1995 à La Tour-de-Trême, et pour La saga des chats, en 2000 à Riaz; Georges Chorafas pour l’adaptation de Luce de Gruyère, en 2009 à Bulle; et même Joseph Bovet en personne pour l’adaptation de Mon Pays, en 2011, à la salle CO2. Il préparait ces derniers mois un spectacle en collaboration avec Alain Castella, à Broc.
Parmi les ouvrages imprimés qu’il nous laisse, il en est un qui lui tenait particulièrement à cœur: Sur le trimard, où il évoquait les «roulants», ces figures oubliées qui ricochaient de ferme en ferme, au pas des saisons. Palou avait une grande tendresse pour ceux qui échappent à la norme, plus généralement pour les humbles, les sans-grade. A l’image du Pauvre Martin de Brassens. Avec Villon, Brassens figurait dans son panthéon personnel.

Ce rire qui résonne…
Un mot nous vient au bord des lèvres en évoquant Palou: la candeur. Dans ce qu’elle a de franc et de frais. Franc comme le rire. Frais comme un regard d’enfant qui distingue des visages dans les nuages. Palou était en communication avec son âme d’enfant. Il était rare de le surprendre en flagrant délit de mauvaise humeur. Une pirouette et le ciel était dégagé. Il aimait rire et il riait de presque tout. Ce rire qui résonne encore…
Depuis de longues années, il partageait la vie de Claudine, sa précieuse Claudine, qui lui a tenu la main jusqu’à son dernier souffle. Palou se battait depuis dix mois contre le cancer. Il a rassemblé ses dernière forces, dimanche passé, pour fêter en famille son récent mariage. Tous étaient là: son fils de cœur Gaël, ses cinq frères et sœurs, les témoins. «Une fête d’une intensité unique», témoigne son frère Michel. Comme une fête de l’adieu.
 

La page blanche
Palou,
Je sais ta discrétion, mais permets-moi de lui faire une entorse. Ton frère Michel, qui fut notre rédacteur en chef, m’a confié une très belle anecdote. C’était mercredi, à l’hôpital de Châtel-Saint-Denis où tu avais été admis deux jours plus tôt.
«Il naviguait d’éclipse en éclipse», témoigne Michel. Un moment d’éveil, tu demandes à écrire. On te tend un bloc de papier quadrillé. «Non, du papier blanc», tu dis alors. Je sais, tu n’aimais pas le papier formaté. «Tout Palou était là, poursuit Michel. Il lui fallait une page vraiment vierge.» Mais ta main ne répondait plus. «Alors, le regard tourné vers Claudine, il dit “Tout est magnifique”. Il s’en allait dans une lumière.»
Cette page blanche, Palou, nous la conserverons précieusement. Tu n’en as plus besoin, tu écris maintenant sur les nuages.
Adieu l’ami.
    Pierre

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