Encore un vidéoclub à Bulle, le tout dernier des Mohicans

| jeu, 14. aoû. 2014
La boutique bulloise de location de DVD est la dernière du canton. Son gérant Blaise Nicolet reste fidèle au poste, même si la rentabilité n’est plus qu’illusion. A l’heure d’internet, on pousse encore sa porte pour demander conseil.

PAR YANN GUERCHANIK

Ni plumes ni crête iroquoise. Ce dernier des Mohicans n’a rien d’un guerrier farouche. Avec ses longs cheveux et ses yeux rieurs, Blaise Nicolet est l’ultime survivant d’une espèce en voie d’extinction. A 36 ans, il gère Tropic Vidéo à Bulle: le dernier vidéoclub du canton. Une situation pas très réjouissante, qu’il connaît depuis que le Vidéo Folies de Fribourg a fermé cet été.
Lui aussi a failli mettre la clé sous le paillasson. Il y a quelques mois, un état des lieux lui pendait au nez. «J’ai finalement trouvé un arrangement avec le propriétaire.» Entre-temps, il a cédé une bonne partie de son magasin de la route de Riaz, reléguant son commerce dans ce qui lui servait autrefois de local de rangement.
Toute la semaine, de 13 h à 19 h, et le samedi, de 9 h à 16 h, Blaise Nicolet continue à être fidèle au poste. Même si le soir venu, le tiroir-caisse crie famine. Pas marié et sans enfants, cet habitant de Blois (VD) parvient à joindre les deux bouts grâce à un deuxième boulot de chauffeur poids lourd. Avec ses DVD, il n’atteint plus la rentabilité depuis 2009.
«Quand j’ai dû restreindre la surface, ça m’a vraiment fait mal. Le mois de juin n’est souvent pas terrible, mais l’année passée j’ai quand même fait 2500 francs. Ce mois de juin, dans le nouvel emplacement, j’ai fait moins de 1000 francs.» Mais le ver est dans le fruit depuis quelques années déjà.
Grand amateur de films depuis toujours (voir ci-dessous), Blaise Nicolet reprend la boutique de location en 2006. «J’ai pris un crédit et j’ai sauté sur l’occasion. J’avais toujours rêvé de travailler dans un vidéoclub.» Bulle comptait encore un Vidéo Folies et un «robovideo», autrement dit un distributeur automatique seul, qui n’est pas associé à un magasin. «Il y a eu aussi un automate à Vuadens, mais ça n’a pas duré longtemps.» Le nouveau gérant passe quelques belles années, avant que la location traditionnelle ne s’effondre.


Nouveau mode de location
«A l’époque, je faisais jusqu’à 1000 francs les meilleurs jours. Aujourd’hui, ça n’a rien à voir. Ces temps, j’en suis plutôt entre 100 et 150 francs par jour.» C’est que les modes de consommation ont changé. Les films se téléchargent sur internet quand ils ne vous arrivent pas à la maison par la poste. La location n’est pas forcément meilleur marché, mais tout se fait sans bouger de chez soi. Un avantage dont ont particulièrement souffert les robovideos. Fonctionnant 24 h sur 24, ces derniers obligeaient souvent une restitution rapide.
Chez Blaise Nicolet, «une nouveauté» doit être rendue en principe le lendemain avant fermeture. Quant aux films plus anciens, le client a pour ainsi dire le temps qu’il veut pour les regarder. Le gérant doit ainsi jongler avec son stock, qui n’a souvent rien à voir avec l’assortiment disponible sur les supports numériques.
En 2006, il a racheté l’enseigne avec un stock de 2500 DVD. Aujourd’hui, il tourne avec 1500 pièces. Les locations sont en baisse et les redevances de droits d’auteur – plusieurs centaines de francs suivant le stock – qu’il faut reverser chaque trimestre à la SUISA sont de plus en plus difficiles à payer.
Face à cette concurrence légale, à laquelle il est déjà difficile de faire face, s’ajoutent encore le piratage et autres phénomènes qui permettent de visionner des films de façon frauduleuse et gratuite. Blaise Nicolet fustige à cet égard la lenteur des lois suisses qui peinent à déployer des mesures efficaces.
Dans ces conditions, le gérant a bien songé à développer son activité sur le Web. «C’est bien beau d’avoir une plateforme de location sur internet, mais encore faut-il pouvoir suivre les commandes, assurer les envois et, surtout, posséder un stock suffisant. Envoyer un film à un client, cela veut dire qu’il n’est plus à disposition pendant deux ou trois jours.» Sans qu’il n’ait besoin de le dire, on comprend aussi que Blaise Nicolet préfère se retrouver au milieu de ses films que le nez collé à l’écran de son ordinateur.


Continuer malgré tout
Il suffit de voir débarquer des clients pour s’en convaincre. A la moindre question, on entend presque le claquement sec d’un clap. Moteur, ça tourne. Commence alors un flot inaltérable de paroles sur tel film d’action ou comédie hollywoodienne. Blaise Nicolet fait alors ce qu’il aime le plus. Convaincu que des clients viendront encore pousser la porte de son magasin, à la recherche d’un conseil, d’un avis.
A l’exemple d’Aurélie, son petit frère Emilien et sa copine Kyra. Trois adolescents glânois devant le mur de DVD, le jour de notre passage. «Prenez en plusieurs», leur lance une dame derrière eux. «On passe la journée chez grand-maman, explique Aurélie. Comme elle n’a pas internet, on vient ici.»
«Si tu aimes celui-là, faut absolument que tu voies celui-ci», indique Blaise Nicolet, un DVD à la main. Aurélien, lui, voulait le dernier Transformers: «Je ne l’ai plus en ce moment, mais, dans le genre, Real steel est encore mieux.» Après quelques minutes la famille repart tout sourire. Si le happy end n’est pas garanti pour Blaise Nicolet, il lui reste quelques beaux épisodes à vivre dans son vidéoclub.
   
 

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«Je vois 800 à 850 films par an»


Pour être de bon conseil, Blaise Nicolet fait dans la démesure: «Je me regarde mon film tous les jours, parfois plusieurs. J’en vois entre 800 et 850 par année. Toujours chez moi, sur ma télé grand écran.» Le gérant du dernier vidéoclub du canton est un cinéphage. Un appétit insatiable qu’il ressent depuis toujours: «Gamin, je passais mon temps au Vidéo Folies.» Davantage DVD que cinéma, il se rend rarement dans les salles obscures. «Je préfère m’isoler. Après les dix premières minutes d’un film, je suis complètement dedans. Aspiré par l’histoire. Faut surtout plus me parler!»
Dans son petit magasin bullois, Blaise Nicolet déploie une connaissance encyclopédique. C’est surtout les intrigues qu’il aime résumer aux visiteurs. «J’ai la chance d’avoir une bonne mémoire. Les péripéties me restent longtemps dans la tête.» Parfois même, il se souvient à la place des clients! Quand l’un d’entre eux s’apprête à choisir un film, Blaise Nicolet lui rappelle qu’il l’a déjà vu.


Parler, proposer, conseiller
Tropic Vidéo, c’est un certain sens de la clientèle: «La plupart ne cherchent même plus: ils me demandent directement de leur proposer quelque chose.» Son registre compte près de 2000 clients. Certains sont réguliers, d’autres se font rares. «Le plus fidèle en est à 1880 films! Il louait avant mon arrivée en 2006, mais moins régulièrement. C’est quelqu’un qui continue à venir, même s’il n’habite plus dans le coin aujourd’hui.»
Il y a même des gens de Châtel-Saint-Denis qui viennent périodiquement. Alors que le vidéoclub est en voie d’extinction, la boutique s’attire également une certaine sympathie. Ce qu’il explique au journaliste, le gérant le raconte volontiers à ses clients. «Alors, des gens passent me voir. Pour savoir comment je vais, comment le magasin fonctionne.» A l’heure où les films se téléchargent et s’entassent dans des boîtiers électroniques, Blaise Nicolet mise sur le contact, l’écoute et le conseil. Une dernière carte qu’il abat sans se forcer.
«Je vis au jour le jour. En sachant que tout peut s’arrêter très vite. Malgré tout, je continue à adorer ce que je fais. Avant, je commandais mes quatre films le mardi, mes quatre films le jeudi. En fin de semaine, je recevais mes sept nouveautés en zone une. Maintenant, c’est la galère. Je dois y réfléchir à deux fois avant d’acquérir un film. D’un autre côté, il faut s’y connaître d’autant plus. Tu gagnes des clients comme ça: de temps en temps, certains partent avec des films qu’ils ne pensaient pas louer et reviennent en te disant qu’ils ont adoré.»
Au bout de la Grand-Rue, Tropic Vidéo dégage déjà un parfum de nostalgie. On y fait l’expérience du magasin à l’ancienne. Comme au temps des disquaires. Blaise Nicolet s’en souvient: «Ils avaient tout et savaient tout. C’était génial!» YG
 

Commentaires

Un endroit au top comme on en fait plus, toujours un plaisir de passer
Bonjour Yann,je te remercie pour cette article, super bien écrit. Merci également à la photographe. Recevez mes meilleures salutations. Blaise de Tropic vidéo.

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