Quand les jardins potagers disparaissent sous les parkings

| mar, 21. jui. 2015

A Bulle, le secteur rue de Vevey sud voit de nombreux propriétaires abandonner leur jardin pour y bétonner des places de stationnement. En cause, la récente diminution du nombre de places sur le réseau des routes communales. L’ambiance est à l’incompréhension. La commune prend du recul et rappelle l’origine du nouveau système de stationnement.

PAR JEAN GODEL

Dans le secteur rue de Vevey sud, un phénomène fait parler de lui après la pousse des gabions. Un peu partout, en effet, on y arrache des vieux potagers, on y coupe des arbres et on y retourne des gazons pour y goudronner des places de stationnement au pied des maisons.
Le phénomène a pris de l’ampleur avec la mise en zone 30 km/h du secteur et la disparition de nombreuses places de parking publiques (lire ci-dessous). Il touche de plein fouet ce quartier populeux construit principalement dès les années 1940, donc sans garages. En s’y baladant, on repère vite les plaques de goudron frais où les voitures ont remplacé d’anciennes oasis de verdure.
La rue des Trois-Trèfles semble particulièrement touchée par cette épidémie. La maison qui fait angle avec la rue du Tirage avait un magnifique coin de verdure: depuis le début de l’année s’y trouvent sept pla­ces dont une pour les visiteurs. Deux autres sont louées à des habitants du quartier, ceux de l’immeuble n’ayant pas suffi à toutes les occuper. Plus bas, un vieil immeuble de trois étages a perdu son potager. Un immense parking a pris le relais il y a moins d’un an. Le vaste jardin de l’immeuble jumeau, juste à côté, serait aussi en sursis.


Avec portail automatique
A la rue Louis-Bornet, une rangée de lilas a disparu au profit de trois places qui viennent lécher la maison. Au chemin de Halage, le long de la Trême, un chantier est en cours. Prenant le frais à l’ombre, un locataire âgé confirme: «Il y avait déjà des places, mais ils agrandissent.» De fait, le nouveau parking prendra toute la largeur de l’ancien jardin. «Ça me coûtera 60 francs par mois, mais il y aura un portail automatique.» Pour lui, acheter une vignette ne vaut pas la peine: «Je vais garer ma voiture à l’autre bout du quartier et je rentre chez moi en taxi? Là, je serai sûr de trouver une place.»
Des projets similaires seraient en gestation en face de la piscine. Plus haut, la rue des Alpettes ne compte plus qu’une place de stationnement publique. «Le soir, les voitures s’entassent sur les pelouses», témoigne Eric Seydoux, habitant du quartier et auteur d’une récente lettre de lecteur dans nos colonnes.


Chemin de Halage ouvert
Avec d’autres, il se demande aussi pourquoi le chemin de Halage, auparavant réservé aux bordiers, a été ouvert au trafic. Elle aussi signataire d’une lettre de lecteur, Carine Bays ne décolère pas: «Avant, on venait s’y promener le long de la Trême, les enfants jouaient, faisaient du vélo, de la trottinette.» Maintenant, des voitures passent à tout moment, parfois même des camions. «Et comme c’est trop étroit pour mettre des gabions, ils vont vite: c’est tout droit.» «C’est désormais le boulevard de Halage», s’emporte sa mère.
La semaine dernière, Jac­ques Baeriswyl, un habitant du chemin, a dessiné à la craie, avec sa petite-fille, des signaux d’avertissement à même le sol pour pousser les enfants à ne pas couper le virage de la piscine: «Moi, je faisais le guet pour qu’ils ne se fassent pas écraser», raconte Madeleine, son épouse, à moitié amusée.
Plus largement, le nouveau système de stationnement (limité à trois heures ou vignette) ne convainc pas. «Quand ma sœur, qui habite en France, vient nous trouver, elle ne sait plus où se garer», raconte Carine Bays. Sans parler de la police qui, à entendre plusieurs témoins, patrouillerait régulièrement, parfois même tôt le matin et tard le soir.
A la piscine, on n’a pas constaté de baisse de fréquentation. Mais les clients sortent souvent pour aller tourner le disque, assure-t-on ouvertement. Vers la tour des Trois-Trèfles, la prise d’assaut des places par les clients du fitness voisin, à l’heure de la sortie des bureaux, exaspère beaucoup…
Enfin, on se demande pourquoi élargir les rues en en retirant les places de stationnement, alors qu’on cherche à y limiter la vitesse: «C’est pousser au crime», estime Eric Seydoux. Qui reconnaît que, auparavant, certains roulaient trop vite. «Mais faut-il pour autant punir tout le monde?»


De l’autorité s.v.p.
Ce n’est pas la zone 30 qui pose problème à Jacques Baeriswyl, mais l’inefficacité des incitations mises en place pour la faire respecter. Peu féru de langue de bois, lui parle de «gâchis complet» et accuse le Conseil communal de manquer de courage: «Il ne faut pas avoir peur de l’administré, mais le respecter et le faire obéir où et quand il doit obéir.» Cela dit, une pétition dans ce quartier réputé frondeur ne lui déplairait pas. «La situation le mériterait, non?»

 

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Zone 30 et normes de visibilité en cause

A la ville de Bulle, on rappelle l’origine de tout cela. D’abord, le concept de stationnement au centre-ville: vu les restrictions apportées pour en expulser les voitures ventouses, il a fallu prendre des mesures, ici comme ailleurs, pour éviter qu’elles ne refoulent dans les quartiers résidentiels. Ensuite, la mise en zone 30 km/h – une mesure d’accompagnement de la H189, rappelle Cédric Jungo, adjoint du chef du départe­ment technique: «Il s’agit d’empêcher le trafic de transit de passer par les quartiers périphériques.»
Lors de la mise en place de ces zones 30, il a fallu tenir compte des normes de visibilité. Pas le choix, assure Pierre Pythoud, conseiller communal en charge des travaux et de l’équipement: «A moins de jouer à l’autruche.» Ainsi, à 30 km/h, la distance réglementaire pour assurer la visibilité aux accès privés est de 20 m. Ce qui explique le nombre de places sacrifiées dans le secteur rue de Vevey sud: 117 sur 344. En restent 227.
C’est au nom de ces mêmes normes de visibilité que l’élu exclut tout retour en arrière quant au nombre de places offertes: le même principe a été appliqué partout où une zone 30 a été introduite. Cédric Jungo précise aussi qu’avant la mise en zone 30 du quartier un relevé avec bilan de l’offre et de la demande y avait été effectué. Résultat: le nombre de places, après les modifications dues à la zone 30, «satisfait les besoins nocturnes des résidents». Celà à l’échelon de tout le secteur et pas nécessairement devant la maison de chacun.


Parking des Albergeux rouvert
Quant au nombre de vignettes, il a été fixé à 180, soit entre 80 et 90% du nombre de places disponibles. Or, il n’en a été délivré que 128 «habitants» (300 fr.) et 26 «employés» (500 fr.). «Comme habitants et employés ne se garent pas en même temps, on peut imaginer pousser le nombre de vignettes habitants à 180, concède Cédric Jungo. Il y a donc de la marge.» Ce d’autant plus que les autorités ont vite corrigé le tir en ouvrant le parking des Albergeux aux détenteurs de vignettes depuis le 1er juillet. En l’espèce, Pierre Pythoud concède une erreur d’appréciation: «On aurait dû l’ouvrir tout de suite. Mais il ne manque pas de places dans le secteur pour les habitants.»
Avec de tels chiffres, Cédric Jungo ne comprend pas l’empressement des propriétaires à bétonner leur jardin: «On leur dit de bien réfléchir, mais ils veulent maîtriser le stationnement chez eux. Nous, on ne peut que les informer.» Surtout, insiste Pierre Pythoud, 300 francs la vignette, c’est bien moins cher qu’une place privée. Reste la question du chemin de Halage. Là, on reconnaît un malheureux concours de circonstances: peu après sa mise en zone 30 s’est ouvert le chantier du chauffage à distance à la rue Pierre-Sciobéret, coupée pour l’occasion. Le chemin a donc fait office de déviation. Mais Cédric Jungo s’attend à un retour à la normale une fois les travaux finis.
Pourquoi avoir supprimé le panneau riverains autorisés? «Notre volonté était de mettre tout le secteur en zone 30, plus que de supprimer cette restriction. Franchement, ce panneau n’empêchait rien.» Cédric Jungo rappelle enfin le but de ces zones 30: «Assurer la tranquillité des quartiers en éloignant le trafic de transit.» JnG

 

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Appauvrissement du bâti

Au Service des biens culturels (SBC), on voit passer les demandes de permis de construire sans pouvoir faire grand-chose: «Ces dossiers nous échappent en grande partie, car les maisons concernées ne sont pas sous protection», résume Vincent Steingruber, en charge de la conservation des biens culturels pour la Gruyère. Lui voit encore planer d’autres dangers sur les maisons des quartiers tel celui de la rue de Vevey sud. Souvent construites dans les années 1950-1960, elles doivent être assainies. Les nouvelles générations qui en héritent décident aussi de les agrandir, parfois au mépris de leurs particularités patrimoniales.
Et puis on construit toujours plus d’immeubles neufs au milieu de quartiers anciens, sans souci d’intégration: «Tant que c’est conforme au règlement communal d’urbanisme (RCU), le SBC n’a pas grand-chose à dire, regrette Vincent Steingruber. Mais les RCU ont tendance à occulter les objectifs de qualité.» Des RCU que maîtrisent les communes, et elles seules… «Alors oui, c’est légal. Mais est-ce que c’est bien construit, est-ce que c’est construit juste? C’est une autre question. Le SBC est un peu désarmé.» Vincent Steingruber ne peut dès lors qu’assister, impuissant, à la perte de qualité et à l’appauvrissement de certains bâtiments. JnG

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