Les recettes du miracle suisse

| sam, 10. oct. 2015

Dans son récent livre La Suisse – pays le plus heureux du monde, François Garçon décortique les clés du succès helvétique. Rencontre avec ce professeur à la Sorbonne, spécialiste du fonctionnement économique de la Suisse.

PAR CHRISTOPHE DUTOIT

 

Titulaire de la chaire d’histoire du cinéma à la Sorbonne, François Garçon est devenu sur le tard un spécialiste du modèle économique suisse. Très au fait du fonctionnement des institutions et des mécanismes politiques, il compare l’excellence helvétique à de l’horlogerie haut de gamme. Jamais avare de compliments sur la Suisse… et de piques sur la France, ce Franco-Suisse volontiers provocant et gouail-leur est venu la semaine dernière à Genève faire l’apologie de son dernier livre, La Suisse – pays le plus heureux du monde. Rencontre.

Parmi les ingrédients du miracle suisse, vous distinguez la qualité de l’enseignement suisse…
L’enseignement est globalement excellent. La preuve: les jeunes sont très peu touchés par le chômage comparativement à l’Allemagne, à l’Italie ou à la France. En Seine-Saint-Denis, 50% des jeunes entre 15 et 24 ans sont au chômage. Parmi eux, beaucoup sont illettrés. En Suisse, le pays est au travail. La jeunesse est au travail. En plus, les Suisses se retrouvent dans des activités à très forte valeur ajoutée. Pour preuve, les biens estampillés «Suisse» trouvent acheteurs à des prix de vente très élevés. Malgré les premiers symptômes de crise en provenance d’Asie, la machine tourne à plein. Même si certaines entreprises délocalisent, ça n’a rien de pareillement dramatique à ce que l’on voit sur l’ensemble du globe. Dans leur recrutement, les universités n’ont aucune hostilité au cosmopolitisme. Alors que dans mon pays, 90% des universitaires sont franchouillards, parce «qu’on est les meilleurs au monde». La formation suisse est un modèle à tous les niveaux. L’apprentissage dual attire les convoitises des Chinois et des Américains.

Qu’est-ce qui rend la Suisse si attractive?
D’abord la stabilité politique. Même si l’UDC peut dépasser les 30% aux prochaines élections, ça ne va pas bouleverser le pays. Il y aura toujours une majorité ouverte à l’international. On peut aussi parler de la stabilité sociale – il n’y a pas de grève en Suisse – ou de la stabilité fiscale. Surtout, la Suisse attire les meilleurs entrepreneurs. Et pas que des toquards qui revendiquent l’aide sociale. En Suisse, l’assisté est mal vu. Dans la musique rap française ou le cinéma français, l’assisté est un héros, un rebelle, un gars plus malin qui vit accroché comme un arapède au système et qui baise tout le monde. En Suisse, on le considère comme un passager clandestin.

Vous dites que l’industrie est restée très forte en Suisse…
Le P.I.B. du secteur bancaire n’est que de 7%, alors que l’industrie représente 20%, com-me en Allemagne. La grande force de la Suisse, c’est son extrême décentralisation grâce à la cantonalisation et un personnel politique collé au sol, qui n’a pas perdu le contact avec l’entreprise. En France, 44% des députés sont des fonctionnaires.

Pour la 7e année consécutive, la Suisse se trouve au premier rang de la compétitivité mondiale selon le World Economic Forum. Pour quelles raisons?
D’abord, les Suisses ont une intelligence économique que n’ont pas beaucoup d’autres peuples. Le Suisse sait compter. Il est économe. Qu’il se soit battu pour avoir le droit de voter ses impôts prouvent qu’il ne croit pas aux lendemains radieux. Ce qui me frappe, c’est l’incroyable surdité suisse aux promesses démagogiques. En France, 40% de l’électorat balance entre Mélenchon et Le Pen, sans compter les crapules démagos, menteuses, souverainistes et magouilleuses… Des millions de crédules croient qu’on va sortir du chapeau une solution miracle qui rendra tout le monde heureux et seraient prêts à voter des mesures qui sortent de Disneyland.

L’initiative «Contre l’immigration de masse» va-t-elle changer la donne?
Le 9 février, la moitié des Suisses ont pris une décision aberrante, sauf pour les Tessinois, qui sont xénophobes pour des raisons qui les regardent. Partout où vivent beaucoup d’étrangers, l’initiative a été rejetée. Et là où il n’y en a pas un seul, elle a été approuvée. C’est totalement irrationnel.

A votre avis, le modèle suisse va-t-il perdurer?
Il dure déjà depuis pas mal d’années. Je pense qu’il va encore durer, car sa réactivité est immédiate. Le modèle d’excellence suisse est en rénovation permanente. C’est ce qui fait sa force. A tout moment peut jaillir une idée qui vient bloquer le système. Le modèle est pérenne, car il tourne tout le temps. Il n’est pas fixé au soir de l’élection, il n’est pas touché à chaque fois que des pneus brûlent, que les portiques écotaxe bloquent une région. C’est de l’horlogerie de précision. Cela dit, il y a un tel différentiel de salaire entre vous et le reste du monde que ça devrait exploser un jour.

Comment faire pour que d’autres pays l’adoptent?
Je pense que c’est impossible. Surtout en France où on vit dans l’exemple contraire: un modèle confédéral d’Etats souverains, des bourgeois aux commandes, où les citoyens sont librement associés sur un destin commun, où l’on respecte la diversité, contre une espèce de monarchie qui n’arrive pas à se républicaniser. Quand Hollande vient en Suisse, les Français n’ont eu des informations que de sa visite à l’EPFL. Alors qu’il a aussi été à Berne voir un centre d’apprentissage. L’apprentissage dual pourrait éventuellement être copié. Mais les élites françaises sont tellement convaincues de leur supériori-té intellectuelle qu’elles ne copient pas.

Les Suisses ont-ils des raisons de se plaindre?
Je ne peux pas dire aux Suisses: «Ne vous plaignez pas!» Ils ont peut-être de très bonnes raisons de râler. Il y a sans doute des injustices et des gredins intrigants dans les entreprises. Mais, vu d’avion, c’est le pays le plus heureux du monde. Même vu d’un drone à dix mètres d’altitude.

Il suffit peut-être qu’ils se rendent compte qu’ils sont des privilégiés?
Quand je lis la presse suisse, le mot «inquiétude» revient souvent. Les Français sont des grandes gueules et tout les inquiètent. Mais je ne voyais pas les Suisses aussi inquiets.

 

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«Le pays le moins xénophobe»

La peur de l’étranger risque-t-elle de mettre à mal le système helvétique?
La Suisse est moins hostile aux étrangers que d’autres pays, car elle a cette espèce de culture de l’étranger dès la frontière de la commune. Un Carougeois n’est pas un Genevois… La Suisse est comme un gigantesque pays composé de 2500 communes étrangères. A cette échelle, l’autre est déjà étranger. Mais elle s’y est habituée, elle le supporte. Avec 24% d’étrangers, la Suisse est le pays le moins xénophobe au monde. Seul New York fait peut-être mieux: et encore, les gens y vivent dans des ghettos. La votation du 9 février en fait la démonstration: là où vivent beaucoup d’étrangers, l’initiative a été rejetée. Si une telle votation avait été proposée en France, en Angleterre ou en Italie, je n’imagine même pas les résultats.


La Suisse a tellement peur de l’Europe que plus aucun parti politique ne demande l’adhésion…
Il n’y a plus aucun pays qui revendique la beauté de l’Union européenne. Il faut avoir bien bu pour trouver des arguments pour vanter les mérites de l’Europe telle qu’elle se désagrège aujourd’hui. Elle est le socle de notre prospérité, c’est sûr. Elle a fabriqué de la paix, de la stabilité, de la prospérité économique. Mais, aujourd’hui, elle fait moins briller les esprits, à moins que vous ne soyez Syriens. Regardez la Catalogne, regardez le prochain référendum en Angleterre. Peut-être qu’un cycle se referme. Mais il se referme sur la plus longue période de paix et de prospérité qu’aient fabriquée des pays européens qui se sont acharnés à se détruire durant des siècles.


La peur de l’UDC est-elle semblable à la peur de la montée de Marine Le Pen en France?
L’UDC est moins stupide que le Front national. Ne serait-ce parce qu’elle a à sa tête un patron qui a réussi à faire de son entreprise un géant mondial. Dès l’instant où vous êtes un entrepreneur tourné sur le marché mondial, vous n’êtes pas une famille d’avocats politiciens professionnels, dont le fonds de commerce se bâtit sur les bobards qu’elle vend à un électorat crédule. Bigard a son public, Beppe Grillo a son public, Le Pen a son public. Je n’ai pas l’impression que «l’autre» (Christoph Blocher) ait tenu des propos antisémites, il ne s’est jamais permis de rigoler sur la Seconde Guerre mondiale. La diversité ethnique est entrée au Palais fédéral. Pas en France. Ce sont des freins aux délires racistes et xénophobes. Je pense qu’il y a assez peu de points communs entre Le Pen et Blocher. Peut-être que je me trompe… CD

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