Le Musée de Charmey rend hommage à Armand Niquille. Toutes les facettes du peintre sont abordées, des célèbres vues de Fribourg aux œuvres mystiques si personnelles.
PAR ERIC BULLIARD
Elles sont là, bien sûr, ces vues de Fribourg. Cœur de l’exposition et versant le plus connu de l’œuvre d’Armand Niquille (1912-1996). Mais l’hommage que le Musée de Charmey rend au peintre fribourgeois (jusqu’au 29 novembre) va bien au-delà: en 65 tableaux, il apparaît, lumineux et puissant, dans sa complexité et sa richesse, son mysticisme et sa liberté.
Conservateur du Musée, Patrick Rudaz souhaitait de longue date monter une exposition Niquille. «Parce qu’il porte un nom charmeysan et que, à l’époque, je suis tombé sous le charme de sa série de tableaux des Gastlosen.» Le projet a pu se concrétiser en collaboration avec la Fonda-tion Niquille, d’où proviennent une partie des œuvres, les autres appartenant essentiellement à des privés.
D’entrée, des allées d’arbres invitent le visiteur à pénétrer cette peinture. En particulier celle du château du Breitfeld, à Bourguillon, fief des de Diesbach. La grille est fermée: «Le chemin vers ses ancêtres est coupé par une barrière rouge sang», explique Claude Luezior, qui, dans un livre sorti ces jours, révèle que l’artiste était le fils de Raoul de Diesbach.
Plutôt qu’un parcours chronologique, l’exposition avance par sections. A chaque fois, des tableaux anciens côtoient de plus récents. De quoi démontrer que Niquille «est en recherche permanente et passe d’un style à l’autre», remarque Claude Luezior. Avec, toutefois, l’affirmation, dès ses débuts, d’un talent unique, loin de toute école.
«Très vite, il délaisse le pinceau pour le couteau et la spatule», souligne Patrick Rudaz. Dans un étonnant et magnifique Chardon de 1959, il travaille l’épaisseur de la matière avec force. Ailleurs, sa maîtrise technique lui permet au contraire d’atteindre une finesse exceptionnelle pour ces instruments.
Fribourg dans le silence
Le Bouquet de lune (1971) rappelle aussi sa manière si personnelle de travailler le camaïeu, ici en blanc et rose pâle. Dans cette section, une extraordinaire Nature morte au verre de vin (1969) vient rappeler pourquoi certains l’ont rapproché de Cézanne…
Une salle est ensuite dédiée à 13 vues de Fribourg. Avec, le plus souvent, la cathédrale au centre de ses rigoureuses compositions. «Il joue sur les structures, sur l’architecture, sur les volumes, à partir de la topographie d’une ville qu’il connaît parfaitement», souligne Laurence Fasel, historienne de l’art, membre de la Fondation Niquille et commissaire (avec Patrick Rudaz) de l’exposition.
Le plus souvent, Niquille privilégie des ambiances hivernales. Loin de toute agitation, sans trafic ni habitants, Fribourg apparaît silencieux, sous les à-plats de sa spatule, dans un temps suspendu. Parfois, une jeune fille tourne le dos au spectateur, l’invitant à porter son regard dans le tableau.
Mysticisme personnel
C’est le cas dans La place des Ormeaux et des Arcades (1981), rythmée par les lignes horizontales et verticales. A l’intérieur du café, des lumières: la vie est là, mais le peintre reste à l’extérieur. Vers la fin de sa carrière, ces signes de vie s’effacent au point que portes et fenêtres disparaissent des façades.
Impossible de comprendre Armand Niquille sans s’intéresser à son volet mystique. A l’étage, une section lui est consacrée. La plus personnelle, la plus hermétique aussi. Difficile toutefois de ne pas être touché par cette quête intime qu’il a poursuivie toute sa vie.
Tout, ici, est fortement symbolique, comme le décryptent les écrits du peintre, au dos des tableaux. Parfois, le symbole se passe d’explications, comme dans cette Pietà aux personnages (1983) sur fond d’or, où il se représente avec son fameux béret, portant la tête du Christ.
Ultime émerveillement
Dans ses vues des Gastlosen aussi, Armand Niquille appa-raît comme un mystique. Superbe de puissance et de verticalité, Dans les Gastlosen (1984) concentre son art et son mystère, son utilisation de la grisaille et du fusain qui rappelle le plomb des vitraux.
En face, une autre preuve de l’éventail de styles de Niquille, avec ces figures d’anges, ou encore cette étonnante Tentation de saint Antoine de 1942, où, au-delà du symbolisme tout personnel, se lit aussi les angoisses face aux horreurs du temps.
La dernière section, celle des portraits et autoportraits, se conclut avec L’attente (1954). Ultime émerveillement face à ce portrait magistral de Césarine, mère du peintre, assise, mélancolique. Pour une fois, le mot n’est pas galvaudé: un chef-d’œuvre.
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Ses origines au grand jour
Elève d’Armand Niquille au Collège St-Michel, l’écrivain Claude Luezior a ensuite été un de ses proches, jusqu’à la mort du peintre en 1996. Dans un «roman biographique» qui paraît aux Editions de l’Hèbe (Armand Niquille, artiste-peintre au cœur des cicatrices), il évoque l’homme et l’artiste à travers son enfance, sa jeunesse, ses années d’enseignement à St-Michel, ses liens avec le foisonnement culturel autour de la LUF, la Librairie de l’Université de Fribourg, où se croisaient Claudel, Jouve, Giacometti… Surtout, le livre lève le voile sur ses origines. Pour Luezior, aucun doute: Armand Niquille était le fils illégitime du comte Raoul de Diesbach. Sa mère, Césarine, mariée à Auguste Niquille (qui meurt alors qu’Armand a 9 ans), avait été employée comme lingère chez les de Diesbach, à Bourguillon. Dans ce château dont le peintre représentera souvent l’allée, fermée par une grille. Une origine qui lui donne un lien de sang avec une autre artiste fribourgeoise célèbre, Marcello. EB
Commentaires
Anonymous (non vérifié)
dim, 10 jui. 2016
Anonymous (non vérifié)
lun, 23 nov. 2015
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