Des neveux devenus des fils

| mar, 30. mai. 2017
Mathis, Anita, Gabriel, Cloé et Louka

Au décès de sa sœur, Anita Pesenti, déjà mère de deux enfants, a recueilli ses deux neveux. Une décision qui sonnait pour elle comme une évidence. La famille a trouvé la force de surmonter les premiers moments, évidemment délicats.

 

PAR PRISKA RAUBER

Une flopée de baskets devant la porte d’entrée. Ici vivent Anita Pesenti et son conjoint Cédric, leur fils Gabriel, 18 mois, sa fille Cloé, 19 ans, puis Louka et Mathis, 12 et 11 ans. Ses deux neveux, qu’elle élève comme des fils. «Immédiatement après avoir appris le décès de ma sœur, j’ai dit “ces gamins je les veux, ils doivent être chez moi”.» Ces gamins, elle les côtoyait pourtant peu, n’étant plus si proche de leur mère, décédée en novembre 2015. Les garçons s’installeront définitivement chez elle trois mois plus tard.
Le Service de l’enfance et de la jeunesse (SEJ), qui suivait déjà les deux frères, a d’abord contenu l’emballement d’Anita. Car, si l’intention de recueillir ses neveux sonnait pour elle comme une évidence, c’est une décision lourde de conséquences. «Ils m’ont conseillé de bien réfléchir à tous les changements que devenir leur famille d’accueil allait impliquer. Mon conjoint aussi, d’ailleurs. Lui était plus dans la réflexion et moi, dans l’action. C’est bien, il en faut un qui réfléchisse. Ce n’est pas moi!» relève-t-elle dans un rire éclatant.
 

Lourds bagages
A cette période, la Gruérienne travaillait à temps plein, suivait une formation d’assistante en soins et santé communautaire, allaitait un bébé de quelques mois peu porté sur le sommeil et voyait sa grande fille juste majeure quitter le nid. «C’est vrai qu’on avait quand même deux ou trois questions à se poser.» L’équilibre aurait pu partir en lambeaux, d’autant que ses neveux allaient déposer ici de bien lourds bagages.
Les garçons étant placés en foyer, Anita et sa famille les accueillent d’abord les week-ends et les mercredis après-midi. Ils passent également toutes les vacances de Noël avec eux. «Là, c’était clair pour nous tous qu’ils allaient rester», confie Anita. Il est d’abord prévu que Louka et Mathis les rejoignent définitivement en juin 2016, à la fin de l’année scolaire.
«Puis après réunions entre les éducateurs du foyer et le SEJ, nous avons eu un rendez-vous le 21 février. On nous a demandé si nous étions prêts à les accueillir la semaine suivante! Donc branle-bas de combat, on fait de la place, on déménage des pièces, on monte des meubles, on cherche une plus grande voiture, on remplit le frigo… On y va quoi!» Nouvel éclat de rire, à faire sursauter Gabriel.
Tout change alors d’un coup, pour tous. Anita avait deux enfants, elle en a quatre à élever, consoler, soutenir, aimer, nourrir, conduire, se soucier. Sa grande Cloé – fille unique durant dix-sept ans – a désormais trois frères avec qui elle doit partager sa mère. «Quand j’ai appris que ma tante était morte, ça a été très dur, mais pour moi aussi, c’était clair que les garçons devaient venir chez nous, même si je savais que ça n’allait pas être facile. C’était déjà dur d’accepter mon petit frère alors encore deux de plus!»
Fille au pair à cette époque, Cloé ne rentre à la maison que le week-end. Souvent boudeuse, mais investie du rôle de grande sœur, voire de petite maman, avec le désir de se faire accepter par ses cousins, nouveaux frères. Cousins-frères, neveux-fils, tante-mère, cousine-sœur, bel-oncle-beau-père, autant d’enchevêtrements, pour chacun, à composer, décomposer, à intégrer.
Le SEJ rend quelques visites, qui d’abord paniquent Anita. «Quand je savais que les collaboratrices allaient venir, je déménageais la baraque, je briquais jusqu’à l’intérieur du frigo. J’avais peur que si les cheveux ou les ongles des garçons n’étaient pas bien coupés, on ne me donne pas leur garde définitive! J’avais peur de n’être pas assez bien… Mais elles ont toujours été là pour nous aider, pas pour nous juger en fait.»
 

«On va y arriver»
«Pourtant, au début, on se disputait tous souvent», poursuit Cloé. Rien d’étonnant à cela, souligne sa maman. «Il nous a fallu à peu près un an pour que tout le monde trouve sa place, pour qu’on apprenne à se connaître. C’est vrai qu’au début, c’était dur. Les garçons avaient leur histoire, ils n’allaient pas bien. Cloé était tendue. J’avais arrêté ma formation, je travaillais de nuit, pour que ce ne soit pas quelqu’un d’autre qui s’occupe d’eux. Gabriel ne dormait que vingt minutes la journée… “Mais on va y arriver! On va y arriver!”, on se répétait avec mon conjoint. Et d’autres jours on se demandait: “Est-ce qu’on va y arriver?”»
Ils y sont arrivés. Autour de la grande table, Anita, Cloé, Louka, Mathis et Gabriel se sourient et s’asticotent. Ils se sont déjà construit des souvenirs et mutuellement adoptés. «Notre chance, c’est d’avoir beaucoup communiqué, confie Anita. Avec les psychologues et les intervenants des services de l’Etat, on a tous pu dire nos craintes, nos attentes, nos désaccords. Les garçons vont superbien aujourd’hui. Tout le monde va bien! Là, je suis contente…»
Et de relever que cette décision qui a changé sa vie était «tout à fait normale». Son conjoint a davantage de mérite, estime-t-elle. Comme Cloé, qui relève: «Sur quatre enfants, il y en a trois qui ne sont même pas à lui!» La famille fonctionne pourtant aussi bien qu’une autre, entre amour et rires, tensions et respect. «Une famille normale, quoi! Je vous avais bien dit qu’il n’y avait rien d’intéressant dans notre histoire!» ■

 

Une tante et une mère poule
Louka et mathis. «Tout a changé en fait, nos habitudes, les règles… Et c’était dur d’accepter tous ces changements.» Quand Louka et Mathis ont perdu leur mère, qui les élevait seule, le bouleversement de leur quotidien allait s’ajouter à leur chagrin. Ils perdaient tout ce qui faisait leur vie. Ils vivaient à Fribourg, ils se retrouvaient en campagne. D’autres amis à se faire. Ils disaient des gros mots, ils ont dû maîtriser leur langage. Ils étaient deux, ils allaient devoir supporter un bébé, une adolescente et l’homme de la maison. Manger ci, aller là.
Sans compter que Louka a intégré une nouvelle classe «où il y avait déjà quelques problèmes. Il fallait s’habituer à tout et à tout le monde, confie-t-il, plus bavard que son petit frère. Alors je ne me suis pas tout de suite rendu compte de ce que ma tante avait fait pour nous… Des choses qu’elle aussi a dû changer. C’était juste dur au début. Mais maintenant, je me rends compte.» Il sait qu’ils ont trouvé là une famille préoccupée par leurs besoins.
Et le garçon de raconter fièrement qu’il pourra, à la rentrée scolaire prochaine, suivre le CO en section générale. «Notre maman ne suivait pas forcément les devoirs. Je ne travaillais pas à l’école, ça ne m’intéressait pas. Ici j’ai dû faire mes devoirs. Mais c’est bien, parce que j’ai des bons résultats maintenant. C’était quasi certain que j’allais aller en exigences de base, j’avais 3 de moyenne. Il fallait 5,5 pour aller en générale et j’ai réussi!»
Il est vrai que leur tante est derrière eux, à tel point que les garçons lui ont reproché d’être trop «mère poule». «Mais bon, je leur
ai expliqué que je ne pouvais pas faire autrement, ajoute Anita Pesenti. Je veux savoir avec qui, où, quoi et comment. J’ai fait ça
avec Cloé, je le fais avec eux et je le ferai avec Gabriel.»
Il faut dire aussi que ces garçons sont remplis de bonne volonté, ni introvertis ni débordants. Studieux et serviables, souligne Anita. Ils
se sont vite intégrés. Dans la famille, la belle-famille de leur tante, dans la vie du village.
«Malgré les changements et les drames qu’ils ont vécus, ils ne sont pas tristounes, apprécie-t-elle. Ils vont bien, on a tous bien bossé.»
Mathis se souvient des soirs passés à essayer d’endormir le petit dernier, «en tournant autour de la table avec la poussette et en chantant la chanson de la tortue! C’était bien quand même d’avoir un bébé à la maison au début… Enervant parfois aussi.»
Envie d’appeler Anita maman? «Oh! c’est trop compliqué… C’est notre tata.» Un avis que l’intéressée partage. «Je vous l’ai toujours dit, je ne remplacerai jamais votre maman. Je suis juste votre maman de cœur. Dans mon cœur, vous êtes mes enfants.»

 

 

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