«Ebullition mérite qu’on donne le meilleur de soi-même»

mar, 31. jui. 2018
«Ebullition, c’est la chance d’avoir un autre chez soi», explique son administratrice FLorence Savary. VINCENT LEVRAT

PAR YANN GUERCHANIK

Si Ebullition est un phare, Florence Savary en est la gardienne. Le club bullois doit beaucoup à cette administratrice qui dit on quand elle pourrait dire je. Sept ans que ça dure. Au moment de passer le flambeau, elle nous raconte ce lieu à part, au-delà des concerts et des styles. Ce lieu qui cultive la vie et qui a fait grandir des générations.

Comment en êtes-vous arrivée à administrer Ebullition?

C’est un lieu que je fréquente depuis mes 16 ans. Un jour, on y a organisé une soirée avec notre association Omoana (n.d.l.r.: une organisation d’entraide active en Ouganda). Je me suis retrouvée à travailler aux loges avec les collaborateurs d’Ebullition. On y a tout de suite le sentiment d’être utile, le sentiment qu’ici les petites choses à faire ont du sens. C’est comme ça que j’ai fait logeuse. Une expérience qui te permet de voir l’avant et l’après concert, d’échanger avec une foule d’artistes d’horizons différents. J’ai adoré! Ensuite, on m’a proposé un poste au comité. Trois ans plus tard, Anne Mermoud Ottiger passait le flambeau après avoir accompli un job incroyable en tant qu’administratrice. On a pensé à moi au moment où je terminais mes études…

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce lieu?

Les gens peuvent y trouver leur place. Peu importe leur univers, leurs compétences, leurs goûts. Ça m’a plu de trouver la mienne et de voir les autres en faire autant. Surtout à un âge – entre 16 et 20 ans – où l’on se prend pas mal de changements dans la tronche et dans la vie. Ebullition, c’est la chance d’avoir un autre chez soi. Je ne connais pas d’autre endroit qui fasse cet effet-là. Beaucoup de monde témoigne du même sentiment, du côté home sweet home qu’on ressent entre ces murs.

C’est quoi votre journée de travail type?

C’est répondre aux 60 mails qui sont arrivés la veille, dispatcher le courrier entre les destinataires qui peuvent être nombreux suivant la période, faire les caisses du week-end précédent, les préparer pour le suivant, payer les factures, régler les paiements, gérer les demandes d’autorisation, les droits d’auteur, les taxes communales, s’occuper du personnel fixe ou temporaire, traiter les impôts à la source, les impôts tout court, s’évertuer à contenir les dépenses, jouer les obsédés du chiffre pour s’assurer de la bonne gestion financière, établir les plannings, vérifier, consolider, coordonner…

Et puis, à Ebullition, chacun finit par accomplir un peu de tout. Administratrice, c’est aussi ouvrir la salle au livreur de piano ou balayer le trottoir le lundi matin parce qu’il y a de nouveau quelques mégots.

Tout ça en n’étant salariée qu’à 50%…

Les postes d’administrateur et de programmateur ont le même taux d’occupation. Evidemment, on le dépasse. Cela dit, le plus épuisant pour moi, c’est la disponibilité constante dont il faut faire preuve. Davantage que les heures effectives qui s’accumulent. Il faut pouvoir régler les problèmes à tout moment, sinon ça ne tournerait pas. Ces trois dernières années, j’ai pris une seule semaine de vacances complète. Mais bon, on aime tellement ce lieu, on a tellement envie que ça marche…

En sept ans, vous avez vu passer la jeunesse de la région. Comment la percevez-vous?

D’abord, il y a la jeunesse qui travaille ici: je la trouve belle. Les gens qui crient «y’a plus de jeunesse!» ou «les jeunes ne respectent rien!» je les invite à venir voir comment les jeunes travaillent à Ebullition, à quel point ils sont responsables. Ce qui ne les empêche pas de faire la fête. Quand je les vois ces jeunes, je suis émue. Et j’espère que mes enfants pourront se retrouver dans un lieu comme celuilà, à se donner autant. Ensuite, il y a les jeunes qui fréquentent Ebullition: peut-être qu’ils ont un peu peur de moi parce que j’ai l’air d’une vieille cruche, mais je les trouve très respectueux. Vraiment!

Ni violence ni drogue?

Chaque établissement se doit de mettre en place un encadrement du point de vue de la sécurité. Ce n’était pas le cas auparavant. Les 99% du temps, cela s’avère inutile. Mais tout le monde est content si un problème survient. A mon sens, les phénomènes liés à la violence demeurent quelque chose de très cyclique. Il suffit qu’une petite équipe sévisse dans la région. Cela dure une période. A Ebullition, cela fait un bon moment qu’on n’a pas eu de cas sérieux à gérer. Il faut dire aussi qu’on a mis en place une certaine intransigeance: on utilise tous les outils à notre disposition, cela va de la médiation à l’interdiction d’accès à la salle.

Quant à la drogue, ce n’est tout simplement pas un problème qui se pose à Ebullition. Encore une fois, si un soupçon existait, on est aujourd’hui capables de prendre très rapidement des mesures. Enfin, il faut dire aussi qu’une certaine confiance s’est instaurée avec la préfecture et la police: on n’hésite pas à les aborder.

Qu’est-ce qui a changé par rapport aux années que vous avez connues?

Peut-être que la curiosité n’est plus tout à fait la même. Nous, on avait Fréquence Laser, on passait des aprèsmidi devant la sono chez les uns et les autres. Sinon, c’était Ebullition d’office. On y a découvert des groupes et des musiques qu’on pensait ne pas aimer. Des performances en live dont on n’avait pas idée. Or, j’ai un peu l’impression qu’aujourd’hui les jeunes veulent avant tout voir ce qu’ils connaissent et ce qu’ils aiment. D’autre part, ils ont moins cette notion de point de ralliement, de stamm. Avant, qu’on aille boire des verres ou faire des grillades, on finissait toujours par se retrouver à Ebullition. Peut-être que c’est la faute au téléphone portable. Ou parce qu’il existe une offre plus importante. Je ne sais pas.

La Gruyère s’est pas mal peuplée, Bulle a grandi… Comment est-ce qu’Ebullition suit le mouvement?

Tout s’est diversifié, à commencer par la population. Du coup, Ebullition aussi s’est diversifié. Il n’y a qu’à observer la programmation: il y a une multitude de styles et de types d’événements. Cela nous est parfois reproché par des anciens. Pour moi, c’est le challenge que doit relever Ebullition: la fonction intégrative que remplit ce lieu peut et doit encore aller plus loin. Cela demandera une grande réflexion, mais je suis persuadée qu’Ebullition peut voir grand.

Vous passez le flambeau à Jonas Brunetti, un enfant de la maison, quel message allez-vous lui transmettre?

La rigueur est essentielle à ce poste. On se doit de jouer les gardefous. Toutefois, je lui dirais de profiter de chaque instant passé entre ces murs, des murs qu’il connaît d’ailleurs très bien. Il faut y aller à fond. Ebullition, c’est une chance, un lieu qui mérite qu’on donne le meilleur de soimême. ■


Dans son carton à souvenirs Une anecdote rock’n’roll. «The Lords of Altamont sont venus deux fois. C’est un groupe de Californiens qui fait vraiment le show, avec le guitariste qui finit debout sur le synthé. Extraordinaire! La dernière fois, ça s’est poursuivi en grandes discussions dans les loges et comme ils étaient bien décidés à faire la fête, on est tous allés en ville. Fallait voir ces rockeurs psychédéliques au Melocoton, encore tout maquillés pour le concert. Sinon, quand tu reçois Arno, forcément c’est rock’n’roll. Ce gars-là, il lui suffit d’ouvrir la bouche et du rock en sort.»

Une belle soirée. «Récemment, celle avec Jean-Michel Blais. Un pianiste québécois qui fait du modern jazz. Non seulement il joue magnifiquement bien, mais en plus il a un talent incroyable pour mettre le public à l’aise, pour créer une atmosphère chaleureuse et décontractée. Sinon, chaque fois qu’un groupe de la région vient se produire, c’est un moment particulier. Les Darius, les Underschool Element, les Primasch, les Kassettes, tous les enfants d’Ebullition.»

Une soirée horrible. «C’était les 20 ans d’Ebullition, un concert était prévu en soirée et j’apprends deux heures plus tôt que les canalisations ont pété dans les loges. C’était la panique à bord. Mais comme à chaque fois, le pire scénario se transforme en belle histoire. Tout le monde s’est démené pour accueillir les musiciens. La soirée s’est déroulée comme si de rien n’était alors qu’il pleuvait dans les loges et qu’on pensait déjà à tout le boulot qui nous attendrait les jours suivants.»

Le coin d’Ebullition qu’elle préfère. «La cabine des entrées! J’ai dû y passer sept Nouvel-An sur le coup de minuit. C’est le plus petit espace d’Ebullition, il y a de la place pour rien, mais qu’est-ce qu’on s’y marre. Et puis, de là, tu vois tous ces gens arriver avec le sourire.» YG


Bio express

Age. 34 ans.
Origine. Florence Savary, originaire de Botterens, est née à Genève. Elle y a grandi jusqu’à ses 10 ans avant de retourner en Gruyère, à Bulle, puis à La Tour-de-Trême.
Famille. Mariée, deux enfants de 5 et 3 ans.
Formation. Master en communication, politique et société à l’Université de Fribourg.
Elle aime. La musique – «en live surtout» – la famille, les amis, être entourée de gens, «en bref, l’apéro!»
Elle n’aime pas. La mauvaise foi – «bien que j’en sois capable» – l’opportunisme, les projecteurs quand ils se braquent sur elle.
Pour elle, la culture c’est. Un ensemble de créations artistiques qui transmettent des émotions, un formidable créateur de lien social.

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