Portes ouvertes sur un monde de silence et de solitude

mar, 16. oct. 2018

L’abbaye de la Fille-Dieu organisait samedi une journée portes ouvertes.

Les sœurs souhaitaient marquer ainsi leurs 750 ans de présence à Romont.

Des centaines d’amis et de curieux ont pu découvrir de l’intérieur cet univers de prière et de sérénité.

Par ÉRIC BULLIARD

Drôle de samedi, pour celles qui vivent dans le silence et la prière. Amis, voisins et curieux sont venus en nombre (plusieurs centaines) à la journée portes ouvertes que l’abbaye de la Fille-Dieu organisait pour ses 750 ans de présence à Romont. Preuve, s’il en fallait, de la fascination et de la sympathie que suscitent les moniales et leur site, tout de sérénité.

«Nous nous sommes dit: “Pourquoi ne pas montrer à tout le monde, une fois, ce qu’il y a derrière ces murs?”», glisse, en guise de bienvenue, Sœur Marie-Claire Pauchard, mère abbesse de la Fille-Dieu depuis 1999. La communauté compte actuellement une dizaine de conventuelles et trois jeunes. «Pour pouvoir chanter à trois voix, il en faudrait plus!» Fondé en 1268, quelques décennies après la ville de Romont, la Fille-Dieu a consacré sa première église en 1346. Certains fragments de fresques de l’époque restent visibles, en particulier celles du prophète Isaïe. Elles laissent à penser que l’ensemble des murs de l’abbatiale devait être recouvert de telles peintures, représentant des prophètes.

En pénétrant (par groupes d’une trentaine de personnes) ces lieux habituellement interdits, une impression domine: ils respirent la simplicité. Pas de décoration ostentatoire dans ces couloirs blancs, ni dans ces salles sobrement boisées. Le scriptorium, par exemple, avec sa bibliothèque et ses modestes bureaux, invite à l’étude en évitant les distractions. Sur les places de travail, des livres comme Le Saint-Esprit, sceau de la Trinité, ou Commentaire de la règle de notre père saint Benoît. Les rayonnages sont étiquetés Cîteaux, Monachisme, Ecriture sainte, Vie religieuse…

Avec humour, Sœur Marie-Jeanne, une des moniales qui ont assuré les visites, en profite pour décrire la vie conventuelle, rythmée par le travail, l’étude et, surtout, les sept prières quotidiennes. La première, appelée Vigiles, a lieu à 4 h. La dernière, Complies, à 19 h 15. S’ajoutent encore des lectures, notamment dans la salle du chapitre. Chaque matin, après Laudes (7 h) et l’Eucharistie, les sœurs s’y réunissent pour lire un chapitre de la règle de saint Benoît.

Régime végétarien et bio

Autre lieu marquant, le réfectoire, où les moniales mangent sur des tables séparées (ou à deux places), en silence. Seule s’élève la voix de l’une d’elles, chargée de faire la lecture pendant les repas. Pas de viande au menu («sauf, parfois, pour les jeunes», précise Sœur Marie-Jeanne), dans cette communauté affiliée à l’ordre cistercien de la stricte observance, autrement dit à la tradition trappiste. Mais des œufs, du fromage, du poisson, des pommes de terre. Et beaucoup de légumes. De préférence bio, précise Sœur Marie-Jeanne, qui vit ici depuis plus de quarante ans.

A l’extérieur, en traversant un verger qui offre une magnifique vue sur la colline de Romont, on découvre un bâtiment annexe où sont préparées les hosties. Depuis quelques années, la fabrication a trouvé place dans l’ancien poulailler, transformé lors d’une des campagnes de restauration rendues possibles par l’Association des amis de la Fille-Dieu. Les hosties, confectionnées à l’aide de machines modernes, constituent la principale source de revenus de l’abbaye.

Les difficultés des jeunes

La visite révèle encore des cuisines refaites à neuf, une salle de rencontre et de dialogue, avec, dans une armoire, une vieille télévision «morte depuis longtemps, souligne Sœur Marie-Jeanne. De toute façon, on ne la regardait qu’à Pâques et à Noël. Mais les jeunes ont la possibilité de regarder des films.» Il reste aussi internet, même si son utilisation demeure réservée à «un groupe de sœurs, pour les nécessités de la maison». Si l’on a élevé des murs autour du couvent, ce n’est pas pour les traverser via le cyberpouvoir…

A l’arrivée de Sœur Marie-Jeanne, l’abbaye comptait 36 sœurs. «Et je me demande où on les mettait», sourit-elle en racontant le dortoir de l’époque (elles vivent aujourd’hui dans des cellules individuelles) et ses matelas de paille. C’était aussi un temps où les autorisations de sorties étaient beaucoup plus rares.

Au gré des questions, la guide du jour donne également moult explications sur la crosse de la mère abbesse, sur son élection (à bulletins secrets), sur le rôle de l’aumônier qui vient dire la messe, ou encore sur les difficultés que rencontrent beaucoup de jeunes attirées par cette vie monastique.

On les dispense par exemple de Vigiles – l’office de 4 h du matin – pour qu’elles s’habituent petit à petit à ce rythme de vie. «Certaines veulent venir, par générosité, mais elles risquent de craquer.» A 20 h, les jeunes ne sortent plus de leur cellule. «Il faut qu’elles dorment…» Régulièrement, les sœurs doivent signifier à l’une ou l’autre que cette vie ne sera pas faite pour elle. «C’est toujours très dur…»

Si le grain ne meurt

Dernière étape avant le passage par la modeste boutique: le cimetière. Herbeux, avec de simples croix de bois, étonnamment peu nombreuses, vu la longue histoire des lieux: c’est que les tombes sont régulièrement rouvertes pour ensevelir de nouvelles défuntes. Elles sont enterrées sans cercueil, par fidélité au fameux verset de Jean 12: 24, sur le grain de blé qui doit mourir en terre pour porter «beaucoup de fruits».

Visiter la Fille-Dieu permet ainsi de ressentir le lien, direct et profond, tissé avec des siècles de tradition. Ce sentiment que, malgré les vicissitudes de l’histoire, le fil ne s’est jamais brisé, depuis 750 ans, et qu’il survit à notre monde de bruit et de fureur. «Au milieu des tempêtes, demeurer dans la goutte d’eau vive», écrivait Georges Haldas. Une goutte faite de silence et de prière, qui nous relie à ce qu’il appelait la Source. ■

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses