Là-haut, les armaillis tentent de rattraper le temps perdu

18 juin 2013 à 04:23

A cause d’un printemps pourri, l’herbe n’a pas poussé à son rythme normal sur les hauteurs, retardant la montée à l’alpage. Le point avec l’armailli Charly Boschung.

PAR ANGELIQUE RIME

Tout semble être rentré dans l’ordre lorsque l’on pousse la porte du chalet de la Grosse Orgevalette, sur les hauts d’Albeuve. Charly Boschung, l’armailli, tourne les meules de gruyère qu’il a fabriquées la veille, alors que 1100 litres de lait chauffent dans la chaudière. Pourtant, le début de l’année a été spécial. A cause des températures anormalement basses du mois de mai et de la pluie incessante qui s’est abattue sur la région, le Gruérien a dû retarder sa montée à l’alpage de quinze jours. «Nous sommes arrivés lundi 10 juin, alors que, normalement, nous sommes au chalet à partir du 25 mai. Mais ça ne servait à rien de précipiter les choses. Le résultat n’aurait été que du boulot supplémentaire.»
Certains paysans ont néanmoins pris le pari, non sans risques. «Ceux qui sont montés trop tôt pourraient en pâtir. La première herbe a été mangée, le terrain abîmé, la pousse de la seconde herbe sera donc moins bonne, explique Jean-Pierre Häni, conseiller en fromagerie et responsable de CASEi. La plupart des armaillis sont montés entre la semaine passée et celle qui vient.»
Avec son tablier de fabrication blanc noué autour du ventre, Charly Boschung observe les alentours de son chalet. Il se dit assez satisfait de la quantité d’herbe. Même si les quelques névés qui s’accrochent encore aux pentes avoisinantes rappellent que l’hiver a été long, note son épouse Judith.
«Depuis lundi, j’ai vu une grosse différence. La situation est en train de se normaliser. Le terrain s’est bien asséché grâce aux températures clémentes de ces derniers jours. Lorsque nous venions clôturer il y a un mois, il n’y avait pas grand-chose.»
Le manque de nourriture pour ses 51 vaches et 140 génisses ne l’inquiète donc pas outre mesure. De plus, il bénéficie d’un avantage que n’ont pas tous les paysans. «Au fil de la saison, nous changeons de chalet. Mon frère et moi possédons sept alpages. Nous commençons ici, à 1400 mètres, puis nous montons un peu plus haut au chalet du Creux pour dix ou quinze jours. Le but final étant l’alpage de Chenaux, à 1700 mètres. Mais nous n’y serons pas avant la mi-juillet, au plus tôt. C’est donc plus facile de gérer les surfaces herbeuses.»


Moins de rendement
L’armailli s’inquiète surtout des taupinières qui ont proliféré sur ses terres. «Il y en a toujours beaucoup. Lorsque le sol est mouillé, le terrain s’abîme encore davantage à cause de ces galeries souterraines.» Charly Boschung déplore également la qualité de l’herbe. «Elle a grandi sous la pluie. Elle est gorgée d’eau et elle est moins riche en matières grasses. Les rendements au niveau du fromage sont diminués. Cela peut aller de 500 à 800 grammes, voire 1 kilo de moins par pièce.»
Sans compter que les quinze jours de retard pendant lesquels aucun fromage n’est sorti de sa chaudière ne pourront pas être rattrapés. «Je pourrai peut-être prolonger la saison de quatre ou cinq jours. Mais début septembre, les vaches seront en fin de lactation et sans doute taries. Je pense que, par rapport aux sept tonnes que je produis généralement durant l’estivage, je fabriquerai entre 35 et 40 fromages de moins cette année.» Avec une perte financière à la clé.


Qualité encore incertaine
Les contingents fixés par l’Interprofession du gruyère ne seront certainement pas atteints. «En 2012, nous les avons dépassés et nous avons payé des amendes. Cette année, nous serons en dessous. L’Interprofession devrait peut-être songer à mettre en place un système de moyenne sur deux ou trois ans», propose Charly Boschung.
Directeur de l’Interprofession du gruyère, Phillipe Bardet précise que «pour l’instant, on ne sait pas encore ce que sera la saison et si les contingents seront atteints ou pas. S’ils ne le sont pas, une compensation financière n’est pas prévue, mais il n’y en a jamais eue. Je suis toutefois désolé que la montée à l’alpage ait été si tardive.» Pour ce qui est de la qualité, il est encore trop tôt pour se prononcer, juge Jean-Pierre Häni. Optimiste, il prédit que «si l’été se fait, on aura vite oublié ce mauvais printemps».