15 septembre 2012 à 04:44
La politique agricole 2014-2017 ne favorise pas la production. Les paysans espèrent d’importantes modifications. Le changement permanent ne permet plus de vision à long terme pour les paysans.
PAR CHARLY VEUTHEY
Mercredi prochain, le Conseil national se penchera sur la Politique agricole 2014-2017 (PA 14-17) dans un débat qui s’annonce fleuve. Une multitude de propositions vont être traitées et les paysans sont décidés à faire le forcing pour inverser une tendance qui favorise l’écologie et le paysage au détriment de la production agricole.
A l’image de ses collègues, Dominique Savary, président de la Fédération suisse d’élevage holstein et paysan à Sâles, est remonté et dépité. Il l’a fait savoir via son site internet.
Des jardiniers amateurs
«Le projet contient tout ce qu’il faut pour achever la métamorphose des paysans et les transformer en jardiniers amateurs, peut-on lire. Aujourd’hui, on me dit: “Produis surtout rien car tu nous coûtes trop cher“. Fais juste semblant de faucher un peu tes prés et de garder quelques animaux pour amuser les citadins et les touristes.»
La PA 14-17 révolutionne le système des paiements directs et introduit «une contribution à la qualité du paysage» sur laquelle les mécontentements se focalisent. Les projets pilotes menés en Suisse pour mettre en application cette nouvelle contribution ont mis de l’huile sur le feu.
«La multifonctionnalité de l’agriculture est acceptée par le monde paysan, explique Jacques Bourgeois, président de l’Union suisse des paysans. Nous n’avons pas fait bloc contre les contributions à la qualité du paysage. Mais l’application de cette notion dans les projets pilotes prouve qu’on fait fausse route.» Les paysans notent aussi qu’ils contribuent depuis toujours à la qualité du paysage et que le contrôle des mesures envisagées en sa faveur fera augmenter les charges de gestion, chez les paysans et dans l’administration.
Produire ou décorer
L’irritation du monde paysan est grande. Le conseiller national radical Jacques Bourgeois résume la situation: «Si on veut assurer une partie de notre autoapprovisionnement à l’avenir, malgré l’augmentation des habitants, la pression européenne et la perte des terres, il faut que les moyens à disposition de l’agriculture soient utilisés pour la production.»
Fritz Glauser, le président de l’Union des paysans fribourgeois, partage cette analyse: «La planète est placée devant le grand défi de nourrir une humanité qui augmente. La Suisse doit aussi y participer. Les paysans ont déjà fait d’énormes efforts écologiques. Mais cette PA 14-17 va trop loin dans ce domaine. Maintenant, on doit arrêter de geler les terres. Se permettre de déplacer les efforts de production vers d’autres pays est une politique d’enfants gâtés.»
Les paysans sont aussi blessés d’être réduits au rôle de petits nains jardiniers. Dans le texte déjà cité de Dominique Savary, on peut lire: «Cette nouvelle politique agricole va clairement à l’encontre de mes convictions de contribuer à nourrir le pays. Elle prend à mon grand regret la direction d’une agriculture de petits jardiniers impuissants.»
Insécurité permanente
De manière générale, analysent Jacques Bourgeois, Fritz Glauser et Dominique Savary, on fait également fausse route en changeant sans cesse les bases légales. «Nos investissements sont mis en danger. Si tout change de quatre ans en quatre ans, on ne peut plus rien planifier sur le long terme», selon Dominique Savary.
Fritz Glauser résume la vision des paysans du canton: «Ils sont dynamiques, ils investissent, ils prennent des risques, ils croient à l’avenir. Alors, ils ne peuvent plus supporter tous ces changements.» «A l’avenir, il faudra plus de stabilité», conclut Jacques Bourgeois.
Débat au national
L’avenir proche, c’est mercredi avec le débat au National. Les paysans veulent tenter d’inverser la tendance et trouver une solution plus convaincante pour la répartition des 13,67 milliards de francs destinés au soutien à l’agriculture durant la période 2014-2017.
L’USP souhaite que l’on revoie complètement les clés de répartition des paiements directs en élevant le niveau des contributions à la sécurité de l’approvisionnement, qui doivent être la pierre angulaire du système, en abaissant la part des contributions de transition à 10% au maximum, en renonçant aux contributions à la qualité du paysage…
Dominique Savary espère que les paysans seront entendus: «Nous allons vers une agriculture avec toujours moins de paysans et toujours plus de fonctionnaires qui s’en occupent.»
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Contributions de transition
paiements directs. L’élément central de la Politique agricole 2014-2017 tient dans le nouveau système des paiements directs, qui devrait permettre, selon l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) «d’améliorer l’efficacité et l’efficience de l’allocation de fonds». Les nouvelles «contributions de transition» ne convainquent pourtant personne. Francis Egger, responsable des dossiers politique au sein de l’Union suisse des paysans (USP) les juge complètement surdimensionnées.
Dominique Savary avoue sa peur: «On donne à l’OFAG la clé du coffre. C’est tellement vague. La première année, ces contributions seront données automatiquement. Elles pourront représenter entre 20 et 40% des revenus des paysans. Mais ces contributions baisseront chaque année. Les revenus futurs dépendront donc de l’adaptation à la nouvelle politique en faveur des mesures d’écologie et de qualité du paysage. On nous dit que les paysans peuvent choisir de suivre la nouvelle politique. C’est un mensonge. S’ils ne le font pas, ils seront pénalisés.»
En s’adaptant, les paysans perdront également une partie de leur moyen de production, souligne Fritz Glauser: «L’OFAG dit que ça ne changera rien, puisque l’enveloppe globale est la même. Ce n’est pas vrai. Les paysans devront abandonner une partie de leur outil de production au profit de l’écologie et du paysage. Ils feront donc une perte sur le produit des ventes.»
Conséquences à Fribourg
Fritz Glauser résume les conséquences pour Fribourg: «C’est une question difficile, car l’évolution des revenus dépendra beaucoup de la situation actuelle de chaque exploitation. Mais, synthétiquement, on peut dire que les producteurs de lait seront les grands perdants, que les grandes cultures perdront aussi. Seules les régions de montagne bénéficieront de la nouvelle politique. Mais, pour elles, tout le monde est d’accord que c’est une bonne chose. La correction, en ce qui les concerne, est nécessaire.»
Lors de la procédure de consultation sur la PA 14-17, le Conseil d’Etat fribourgeois avait aussi mis en doute les contributions de transition, qui vont «augmenter l’insécurité et rendre difficiles les prises de décisions des familles paysannes.»