La baisse des subventions force les Francos à se repenser

4 décembre 2014 à 03:29

L’édition 2015 des Francomanias est reportée à une date ultérieure. La baisse des subventions de la ville de Bulle est notamment pointée du doigt. «Les Francomanias ne meurent pas, quoi qu’il arrive», affirme leur directeur Jean-Philippe Ghillani.

PAR ERIC BULLIARD ET CHRISTOPHE DUTOIT

Le titre du communiqué est explicite: «Report de l’édition 2015 des Francomanias à une date ultérieure.» Prise le 23 novembre, cette décision est justifiée par l’absence de solutions «pour maintenir le niveau global des subventions» allouées par la ville de Bulle et la Loterie romande (LoRo). «Les délais nécessaires sont désormais trop courts et le budget n’est pas suffisant pour mettre sur pied la manifestation», avouent les organisateurs. Pour mémoire, l’édition 2014 a attiré 6000 spectateurs et a bouclé ses comptes sur un déficit de 39000 francs. Directeur des Francomanias, Jean-Philippe Ghillani revient sur les circonstances qui ont abouti à cette décision.

Dans votre communiqué, vous dites «qu’aucune solution n’a été trouvée pour maintenir le niveau global des subventions». Qu’en est-il exactement?
Jean-Philippe Ghillani: On a demandé le statu quo par rapport à 2013 et 2014 ainsi qu’une visibilité sur trois ans, à savoir jusqu’en 2017. Si on cumule les baisses des subventions depuis 2012, cela représente une différence de presque 300000 francs. La situation est donc devenue critique. On a essayé de trouver des solutions depuis le mois de septembre. En vain. Il y a une dizaine de jours, nous avons décidé de reporter l’édition 2015.

Comment expliquez-vous cette baisse?
Depuis septembre, la raison invoquée était une baisse générale de tous les budgets de la ville de Bulle. La subvention globale (y compris celle de la Loterie romande) n’a pas été entièrement adaptée à notre passage au rythme annuel.

Que représente en chiffres cette subvention?
Avec la part de la LoRo, elle était de 350000 fr. en 2012, puis 270000 fr. en 2013 et 2014. Pour l’année prochaine, elle serait tombée entre 220000 fr. et 240000 fr. (avec la garantie de déficit). Sur un budget total d’un peu moins d’un million.

Vous parlez d’un report à une date ultérieure, mais sans la désigner. Y aura-t-il une édition en 2016?
Le plus court terme, c’est dès 2016. On rediscutera avec tou-tes les parties pour avoir un financement correct, à la hauteur de ce genre de manifestation. Ce ne sera de toute façon pas en mode biennal.

Combien manquerait-il d’argent dans l’idéal?
En 2010, le budget était proche de 1,7 million. Il est en dessous du million à l’heure actuelle. Depuis quatre ans, on n’a pas cessé de réduire dans tous les postes, l’accueil, la décoration, les écrans… La prochaine étape serait de toucher à la programmation. S’il faut en arriver là, ça ne nous intéresse plus. Dans l’idéal, on serait très à l’aise avec un budget de 1,5 million.

En parlant de programmation, les cachets des artistes ont explosé depuis dix ans…
Aujourd’hui, on doit se battre avec de moins en moins de moyens dans un monde qui en demande de plus en plus. La compétition est très forte. En 2006, on pouvait par exemple avoir l’artiste du moment pour 50000 €. Aujourd’hui, il en coûtera 300000 €, soit six fois plus cher. Pour rappel, le plus gros cachet de l’édition 2014 s’élevait à un peu plus de 30000 €.

Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui?
Je suis soulagé. C’est la meilleure solution pour les Francomanias, qui sont bien vivantes et bien actives. On considère cette baisse de subventions comme un fâcheux contretemps. Pour 2015, on ne voulait pas aller au casse-pipe. Cette situation nous permet de travailler sur une édition qui devrait mieux correspondre aux standards dans le domaine. Et qui pourrait se dérouler dans des conditions adéquates, financières et organisationnelles. Cela nous permet de reprendre la main par rapport à une spirale infernale qu’on ne voulait pas voir perdurer.

Comment êtes-vous certain de casser ainsi cette spirale?
On a du temps devant nous. Et nous n’avons pas peur des défis, ni de trouver des solutions, quelles qu’elles soient, pour atteindre notre objectif en 2016.

Ne trouvez-vous pas que les Bullois sont moins attachés aux Francomanias qu’ils l’étaient auparavant?
Je ne dirais pas forcément les Bullois, mais les spectateurs qui ont toujours adhéré aux Francos. Aujourd’hui, ils préfèrent être bien assis dans un théâtre plutôt que d’assister à des grosses productions.

Quelles sont vos solutions pour gagner des nouveaux publics?
Après chaque édition, on se pose beaucoup de questions. Cette année, on s’est dit qu’il fallait absolument rajeunir le public. Il faut s’ouvrir à des musiques bien plus actuelles et couper ce cordon ombilical obligatoire avec la chanson française. Il n’y a plus beaucoup de festivals qui respectent leur nom et nous comprenons de plus en plus leurs raisons. Le nom du festival, c’est une identité. Pas un credo.


Le prix des billets n’est-il pas trop élevé pour attirer un public plus jeune?
Justement. Pour 2015, on avait l’idée de différencier l’accès aux deux scènes. Mais, c’est en opposition avec cette diminution des subventions, car le risque est encore plus grand.

Parmi ces solutions, celle de ne plus aller à Espace Gruyère a-t-elle été envisagée?
On a organisé des concerts dans les autres salles de la commune et on a souvent perdu de l’argent. A l’époque, les concerts à Espace Gruyère permettaient de compenser ces pertes. A l’heure actuelle, c’est la seule salle susceptible d’accueillir une manifestation de cette importance. Elle est très bien à partir de 1500 personnes. En cas de gros succès, elle permet d’avoir une grande marge de manœuvre.

Mis à part l’aspect financier, avez-vous l’impression d’être soutenu par la ville de Bulle?
On collabore avec les élus depuis longtemps. Ils ont toujours eu une oreille attentive à nos besoins depuis vingt-cinq ans. Leur sentiment personnel est plutôt positif. Dans ce sens, on est soutenu. En revanche, au niveau politique, la situation vue de l’extérieur ressemble à s’y méprendre au fait de nous montrer la porte de sortie.

Cette annonce ne donne pas une image très positive des Francomanias. Le festival est-il à bout de souffle?
Ce n’est pas du tout notre conviction. Ce n’est ni la fin des Francos, ni celle des concerts à Bulle. Ce n’est pas la première fois que les difficultés semblent insurmontables et qu’on nous enterre. Et ce ne sera pas la première fois qu’on trouvera une solution qui prenne tout le monde à contre-pied. Les Francos jouissent d’une réputation incroyable au niveau des médias et des professionnels. Imaginez ce que ça aurait été si on avait bâclé l’édition 2015, avec le risque de prendre un bouillon. La ville grandit à une vitesse incroyable et les nouveaux habitants n’ont pas encore accroché.

Est-ce à dire que vous imaginez organiser le festival ailleurs qu’à Bulle?
Rien n’a encore été imaginé. Mais tout est imaginable. La ville de Bulle garde notre entière confiance. Mais, évidemment, des discussions vont être très vite entamées pour savoir le fin mot de l’histoire. Est-ce que le Conseil communal voit un avenir des Francomanias à Bulle ou pas? A partir de là, la ville nous donnera les conditions nécessaires dès 2016. Sinon, on trouvera d’autres solutions. Notre message est: «Les Francomanias ne meurent pas, quoi qu’il arrive!» Nos finances sont saines. Les choses vont s’éclaircir. Les parties vont devoir se déterminer s’ils veulent ce festival ou non. Je sais déjà qu’il y en a d’autres qui en voudraient.

 

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«Pas la faute de la commune de Bulle»
«Le festival a pris une sage décision s’il estime ne pas avoir les moyens pour organiser l’édition 2015, réagit Marie-France Roth Pasquier, conseillère communale bulloise responsable de la culture. On le regrette, car les Francomanias sont un événement majeur pour la ville de Bulle.»
A propos de la baisse de la subvention communale, elle «reste, avec 140000 francs, la plus grosse pour un événement bullois». Depuis 2012, lors du passage au rythme annuel, la commune a moins soutenu le festival, «car on ne pouvait se permettre de donner le même montant chaque année. Et, pour 2015, il y a eu un certain nombre de mesures d’économies, y compris dans la culture, ce que je regrette. Pour l’heure, le Conseil communal ne peut pas dire s’il pourra donner davantage en 2016. On continuera à aider le festival.» En revanche, la Loterie romande n’a pas suivi ce passage au rythme annuel. «On a récemment rencontré deux membres du comité pour essayer de les faire changer d’avis. Mais on ne peut pas les forcer à donner davantage», plaide l’élue bulloise.
Quant à l’image négative de ce report, Marie-France Roth Pasquier est très claire: «Ce n’est pas la faute de la commune de Bulle si les Francomanias n’ont pas lieu en 2015! Ils ne peuvent pas nous reprocher de ne pas avoir fait l’effort de les soutenir. Je reste positive. Les Francomanias font partie de Bulle. J’espère qu’ils ne vont pas arrêter ni déplacer le festival.»
Du côté de la Loterie romande, son président fribourgeois Jean-Paul Monney avoue qu’il n’y a pas eu «une très bonne coordination» dans ce dossier, mais qu’il reste «sensible à la situation». EB/CD