PAR LARA GROSS
«Si on veut affoler la population, on doit continuer à agir comme ça! Je peine à comprendre.» En assénant ces mots, Jean-Louis Berney tape du poing sur la table. Le docteur installé à Châtel-Saint-Denis s’est déjà battu par le passé pour le site châtelois. «En 1980, lorsque je suis arrivé, c’était un peu la brousse. Il y avait un étage pour les femmes, un pour les hommes et un dernier étage fourre-tout, se souvient le praticien. Il y a eu une crise à l’heure de créer des services. Puis il y a eu le réseau du Sud, on a abandonné les urgences, puis le service de gynécologie-obstétrique. Nous avons été bons élèves.»
Jean-Louis Berney fait partie des gens qui ont fait l’histoire de l’établissement. Médecin au sein de ce qui était à l’époque l’hôpital Monney, il était en première ligne lors de la dernière planification. Il s’était mobilisé. Tout comme le chef-lieu et le district, prêts à se battre pour «leur» hôpital, aujourd’hui relégué à la périphérie d’une logique de soin cantonal.
En tête du cortège qui avait enterré la maternité en 2000, Anne-Lise Wittenwiler. «Je n’aurais jamais cru revivre ça, douze ans plus tard, du côté de la politique», avoue la conseillère communale. Aujourd’hui, son sang ne fait qu’un tour. «Lorsque je suis arrivée en 1985, le service d’obstétrique était renommé en Suisse, même à l’étranger, raconte la sage-femme indépendante. Au début des restructurations vers 1994-1995, nous avons fait des efforts pour travailler pour le Sud. Il devait y avoir un hôpital à Vaulruz, plus proche de la Veveyse et ça a finalement capoté. En 2000, on nous promettait des postes semblables à Riaz, ça ne s’est pas du tout passé comme ça pour le personnel.»
Personnel désécurisé
La conseillère communale châteloise en est persuadée: il en sera de même pour les 120 personnes travaillant à l’HFR Châtel. «On désécurise le personnel, on leur promet d’assurer leur poste, mais ils ne pourront jamais prendre tout le monde. C’est un leurre de croire que personne ne perdra son emploi. On a l’impression d’être mené en bateau depuis 2000.» Jean-Louis Berney partage cet avis: «L’HFR veut faire des économies, mais 80% des charges sont composées par la masse salariale!»
«De fausses économies»
Les raisons financières évoquées font là aussi bouillir les deux acteurs de la santé. «L’HFR ne maîtrise pour l’heure ni les DRG ni la nouvelle politique hospitalière, analyse Jean-Louis Berney. Au premier souci financier, il prend des décisions hâtives. C’est quoi 15 ou 19 millions de francs? C’est quoi par rapport au dépassement de la route de contournement de Bulle ou encore le pont de la Poya? Le canton, qui ne cesse d’être bénéficiaire, ne peut-il pas soutenir l’HFR?»
Anne-Lise Wittenwiler pense, elle aussi, que l’HFR se précipite dans sa prise de décision. D’autres solutions pourraient être envisagées. «Pourquoi ne pas repenser la dotation de l’HFR dans sa globalité, il y a d’autres secteurs où des économies peuvent être faites. Comment expliquer qu’on investit pour la procréation en gynécologie-obstétrique à Fribourg alors que des centres de compétence existent déjà à Berne et Lausanne?»
«Faire périr le Sud?»
Toujours sur la même longueur d’onde, les deux Veveysans assurent ne pas s’opposer au changement. «On ne dit pas que c’était mieux avant, précise Jean-Louis Berney. L’HFR est un excellent instrument, nous avons tout intérêt à ce qu’il fonctionne bien. Mais sa fonction, publique, est d’assurer des soins.»
Et Anne-Lise Wittenwiler de s’inquiéter pour sa commune qui ne cesse de croître. «La population de Châtel-Saint-Denis a doublé en vingt ans et on y diminue les soins. Comment alors continuer de développer une ville de 6000 habitants?»
Les Veveysans ont cédé leur maternité au profit d’une logique de soins à l’échelle du Sud. Aujourd’hui, ils se sentent une nouvelle fois le parent pauvre. Se rendre dans les établissements médicaux de la Riviera n’est pas une solution. «Nous avons le droit d’être reconnus. Nos impôts financent l’HFR, on attend d’avoir une médecine convenable. On paie notamment l’entretien du scanner de Meyriez qui ne devait même pas être maintenu, rappelle Jean-Louis Berney. Les hôpitaux de Morat et Tavel avaient aussi usé du chantage en menaçant de se tourner vers Berne. Vous savez, depuis le Moyen Age, Fribourg pille le Sud du canton et ça ne change pas!»
Quant à l’idée de se rendre à Fribourg pour être soigné – et non plus à Riaz si les soins aigus y sont supprimés – elle n’enchante guère les Veveysans. «Il faudra alors améliorer les conditions d’accès. Essayez de rejoindre l’hôpital aux heures de pointe, il y a d’interminables bouchons. C’est un devoir de l’Etat d’assurer des soins.»
La messe semble pourtant dite, le sort de l’hôpital de Châtel-Saint-Denis est quasiment scellé. Ne faut-il pas penser à l’avenir de l’établissement (lire encadré)? «La messe n’est pas dite, le district va se mobiliser», assure Anne-Lise Wittenwiler. «Vous en êtes sûre?», s’inquiète Jean-Louis Berney. «La mobilisation se prépare, les choses se mettent en place.»
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En Veveyse, la riposte se met en place
Ils y croient encore. Malgré l’espoir très mince d’éviter la fermeture de l’hôpital de Châtel-Saint-Denis, politiciens et magistrats organisent la contre-offensive. Une pétition a d’ailleurs été lancée, d’abord par le Parti libéral, puis reprise par l’ensemble des partis. Un mouvement auquel s’associent les députés. «Il s’agit de montrer que les Veveysans sont unis pour sauver leur hôpital», explique Michel Chevalley. Si lui-même ne peut pas, comme préfet, être le fer de lance de ce mouvement, il en sera le porte-parole «afin de transmettre les réactions des Veveysans». Les députés et les syndics se rencontreront le 21 juin lors de la conférence des syndics. Une séance agendée avant l’annonce de l’Hôpital fribourgeois (HFR), mais où il va forcément être question du sujet chaud du moment. «Les syndics étudient la possibilité d’envoyer une nouvelle lettre au conseil d’administration», explique Michel Chevalley.
Un district minoritaire
D’autres démarches ont été lancées. Le PDC de la Veveyse se désole du sort du district. «Il fait les frais comme district minoritaire d’une pseudo-rationalisation d’un système cantonal.» Puis, plus loin: «A la lecture du rapport du Conseil d’Etat, on comprend que notre système de santé fribourgeois« est à la dérive financière de longue date et qu’il serait faux d’incriminer un changement de législation pour justifier cette dérive». Le PDC veveysan estime d’ailleurs que l’hôpital de Châtel «est un des plus raisonnables et les mieux optimisés dans son coût journalier». En Veveyse, on estime que la fermeture de Châtel ne représente que des «économies de bouts de chandelle» inutiles et inadaptées.
Une autre question revient: le bâtiment lui-même. Le canton devrait le restituer – gratuitement? – aux communes.
Depuis l’annonce, lundi, de la probable fermeture de l’établissement, les réactions de colère, d’indifférence et aussi d’abattement, se multiplient au sein de la population. «J’ai reçu énormément de messages de personnes me faisant part de leur désarroi. L’hôpital fait partie de l’identité du district», reprend Michel Chevalley.
En Gruyère et dans la Glâne, plusieurs actions ont été entreprises, mais principalement pour défendre le Sud dans son ensemble. C’est notamment le cas de la section glânoise du PDC et des Vert’libéraux du Sud fribourgeois qui appellent «les élus locaux et cantonaux, ainsi que les autres partis à les rejoindre sur une plateforme d’échanges sous la conduite des préfets concernés». Le Parti libéral-radical de la Gruyère va quant à lui organiser un débat public le 2 juillet (19 h 30) à la salle communale du Pâquier. JG
Commentaires
J.-F. Pilloud (non vérifié)
lun, 11 juin. 2012
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