PAR YANN GUERCHANIK
«Le cinéma a présenté la vie de Molière. Jamais le théâtre. C’est dire le caractère exceptionnel de notre projet.» C’est un papillon de propagande qui l’annonce. C’est dire le toupet des auteurs. Le pluriel sert d’ailleurs à parer de modestie un seul et unique conducteur: Jean Winiger à la manœuvre.
Le franc-tireur de la scène théâtrale fribourgeoises (une pétition circule les soirs de représentation qui dénonce les critères selon lesquels le Conseil d’Etat délivre les subventions) propose un rendez-vous estival qui n’a pourtant rien d’exceptionnel. Avec ce Molière toujours, L’Aire du Théâtre présente son 14e spectacle d’été. C’est dire la ténacité de la troupe.
Ce qui tient de l’exception en revanche est l’ampleur du travail fourni par Jean Winiger. Mettre en scène Molière tout entier, c’est courir le risque de le mettre en pièces. Le Fribourgeois fournit un admirable travail de compilation et d’écriture. Sur les planches, le résultat est néanmoins inégal.
Art du montage, le cinéma a pour lui tout un arsenal de techniques qui lui sert à découper un récit de façon à bien en faire comprendre la trame. La chose n’est pas impossible au théâtre. Mais elle est une gageure quand les moyens sont réduits. Et ils le sont visiblement à Vuippens. Le décor n’offre pas les artifices qui permettraient de mieux scinder les péripéties.
Le spectateur a du mal à suivre le fil de la pièce, entre évocations de faits réels et extraits de scènes originales. Ceci d’autant plus que les évocations de son cru, Jean Winiger les compose en imitant l’écriture de l’époque. Si l’exercice de style est plaisant, il donne du fil à retordre au public. Ce dernier n’a pas la même oreille que son homologue du XVIIe. Le langage châtié devient un châtiment dès lors qu’on se met en tête de coudre plusieurs intrigues de la même veine.
Et puis, l’alexandrin ne supporte guère l’amateurisme. Dans Molière toujours, plus d’un comédien s’y casse les dents. Le spectateur picore. Il prend du plaisir de-ci de-là quand bien même il se perd dans l’ensemble. Tout ce qui présente un frein à la compréhension donne au moins l’impression d’une énergie incontrôlable. On pourra ainsi arguer que Molière toujours s’applique à restituer une vitalité propre au jeu de l’époque.
Un mot de plus sur le décor: à quoi bon se trouver au pied du château si c’est pour l’utiliser si peu? Ses pierres, pour certaines contemporaines de Molière, sont reléguées dans le lointain. Et encore, dans un demi-fond de la scène.
La pièce sur ses épaules
Jean Winiger a sans doute autant travaillé à l’écriture de la pièce qu’il n’y apparaît peu. En retrait sur son trône de Louis XIV, presque un strapontin, il n’intervient qu’à quelques reprises en commentateur. Davantage d’interventions auraient sans doute donné plus de liant à la pièce, en même temps que sa puissante énonciation aurait fait du bien au milieu des voix souvent fluettes.
Reste que l’auteur ne ménage pas son monde. Les rôles de comédiens qui jouent la comédie sont difficiles. Dans Molière toujours, certains s’en sortent bien (notamment Christophe Schuwey en jeune premier, Daniel Schröpfer en vieillard ou en valet, Denise Aron-Schröpfer en Madeleine Béjart) tandis que d’autre se prennent les pieds dans le tapis du surjeu (tout aussi notamment, James Dietsche en bourgeois, Lorianne Cherpillod en Mlle du Parc et en coquette).
Le plus admirable dans Molière toujours, c’est Molière. Jean-Baptiste Poquelin d’abord, dont on savoure les vers originaux dans des segments qu’on voudrait moins segmentés. Renato Delnon ensuite, qui incarne un Molière à la fois bondissant et pondéré, suivant qu’il l’interprète acteur, auteur ou metteur en scène.
Le comédien porte le spectacle sur ses épaules. Un spectacle honnête, mais laborieux. Le théâtre n’a jamais présenté la vie de Molière? C’est peut-être qu’au théâtre Molière avait tout dit.
Vuippens, château, jusqu’au 25 août. www.aire-du-theatre.ch
Commentaires
Philippa (non vérifié)
dim, 25 aoû. 2013
Alexandra (non vérifié)
lun, 12 aoû. 2013
Sumi G-A. (non vérifié)
dim, 11 aoû. 2013
Louis Armand (non vérifié)
sam, 10 aoû. 2013
Louis Armand (non vérifié)
sam, 10 aoû. 2013
Serge (non vérifié)
mer, 14 aoû. 2013
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