PAR JEAN GODEL
Vieux sage pour les uns, vieux lion un peu fou pour les autres, Franz Weber peut rugir de plaisir: dimanche, peuple et cantons ont accepté son initiative populaire limitant à 20% par commune le taux de résidences secondaires (R2). L'opposition réunie du Conseil fédéral, du Parlement, des cantons, des milieux touristiques et économiques n'aura pas suffi. Les régions urbaines et de plaine ont imposé leur loi. A Fribourg, ce clivage ne saute pas aux yeux: des communes de plaine refusent l’initiative alors que d’autres, de montagne, l’acceptent, comme Charmey, Crésuz ou Bellegarde.
«Je suis fier de la Suisse, content que les Suisses aient voté pour leur propre intérêt. C'est extraordinaire d'avoir gagné malgré les mensonges des opposants!», savoure Franz Weber. Pour Pro Natura et le WWF, le «oui» montre que les Suisses ont pris conscience de la pression qui pèse sur le paysage.
Tenir les promesses de campagne
Dans le camp du «non», on prend ce vote pour ce qu’il est: une claque! La conseillère fédérale Doris Leuthard a avancé en conférence de presse que la construction de nouvelles résidences secondaires sera limitée «dès maintenant». Avant de préciser qu’il s’agit encore de «définir quels logements seront concernés» dans le cadre de l’élaboration de la loi d’application. Quant aux permis de construire déjà délivrés, ils resteront valables. Selon elle, il faudra aussi vérifier la possibilité d'appliquer des exceptions.
Les opposants avouent leur inquiétude. Leur comité interpartis (qui regroupe l’UDC, le PLR, le PDC, le PVL et le PBD) appelle les initiants à respecter leurs promesses en épargnant les R2 touristiques occupées une grande partie de l’année, celles pour étudiants et travailleurs étrangers ainsi que la transformation d’un logement principal en résidence secondaire à la suite d’un héritage.
Les Valaisans ont fait du tort
Très engagé dans la campagne du «non», Jean-Pierre Doutaz prend acte: «Le message est clair.» Dans un canton de Fribourg qui a dit «oui» du bout des lèvres, le syndic de Gruyères regrette amèrement le peu d’implication des milieux concernés: «Le cas valaisan, trop médiatisé, a fait peur à tout le monde. Et, là-bas, il faut reconnaître qu’il n’y a pas eu que des projets heureux depuis trente ans…» Certes, avec la station de Moléson, Gruyères dépasse le fameux plafond de 20% de R2 (23,1% selon le syndic). «Mais nous avions déjà pris des mesures, comme l’octroi d’un permis pour autant que ces résidences soient mises en location dès lors qu’elles sont inoccupées.» Par ailleurs patron d’une entreprise d’agencement intérieur et d’ébénisterie, Jean-Pierre Doutaz ne craint pas de se réorienter: actif à hauteur de 15 à 20% dans le secteur des R2 (dont beaucoup de rénovations), il attend pour voir. «S’il le faut, on se réorientera. Mais il ne faut pas paniquer.»
Félix Grossrieder, son homologue charmeysan, estime que dans son village (37,3% de R2), prise de conscience il y a déjà. Peut-être est-elle venue tardivement, l’an dernier, en début de législature, reconnaît Félix Grossrieder. Mais dans le cadre de la révision en cours du Plan d’aménagement local, la question a été soulevée: «Il s’agit de savoir si, pour les terrains encore disponibles, Charmey ne devrait pas donner la priorité aux résidences principales avec une densification de l’habitat.»
Le «oui» des Charmeysans (pour 19 voix) n’est pas un vote contre le développement touristique de la station, estime pour sa part Jean-Pierre Thürler. Le président de Charmey Tourisme y voit surtout la marque de réflexes particuliers dans un village qui a fortement grandi. Pour le reste, «il est légitime de penser à économiser le sol», estime-t-il, tout en regrettant la perte d’autonomie communale.
Résidences secondaires marginales
Et qu’en disent les entreprises de construction? A Charmey, à entendre Jean-Pierre Thürler, elles ne rempliraient pas leur carnet de commandes avec la construction de R2, elles qui sont souvent actives bien au-delà du marché local. Chez ARSA, le segment des R2 ne pèse que 6 à 7% du chiffre d’affaires. On ne craint donc pas grand chose: «Tout dépendra de la mise en œuvre de l’initiative», tempère le directeur Claude Repond, qui s’attend tout de même à une légère baisse d’activité. Même attentisme chez le voisin Michel Mooser, patron d’une menuiserie-charpenterie active à hauteur de 15% dans les résidences secondaires. «Mais à Charmey, elles sont marginales: la commune fait de gros efforts pour attirer des résidents à l’année. Notre grande richesse, c’est la vie de village. Nous sommes loin de Gstaad ou Verbier…» Pour autant, le patron n’écarte pas la possibilité de licenciement, mais pas dans l’immédiat.
«On a sorti le bazooka»
«Cette initiative est une mauvaise réponse à un vrai problème: là, on a sorti le bazooka!» Maurice Ropraz le regrette d’autant plus que, selon lui, le constat est largement partagé: «Les Suisses veulent un développement territorial de qualité, ils sont conscients que leur pays est limité et qu’il y a lieu de densifier les constructions, en plaine comme en montagne. Ils ont donné là un signal, même émotionnel, de leur mécontentement.»
Pour autant, le nouveau conseiller d’Etat en charge des constructions et de l’aménagement du territoire n’admet pas le reproche de laxisme: des outils politiques existent déjà, bien plus contraignants qu’avant. D’autres sont discutés, comme la compensation financière des dézonages. Mais force est de constater qu’au moment de les mettre en œuvre, ils passent moins bien auprès des populations…
Evolution de fond
Sa collègue Marie Garnier voit dans ce «oui» un «bon signal», y compris pour l’initiative sur le paysage sur laquelle le peuple devra bientôt se prononcer. «Certes, l’initiative de Franz Weber est un outil un peu taillé à la hache, mais elle a le mérite d’être claire.» La conseillère d’Etat en charge de l’Intérieur, de l’agriculture et des forêts veut y voir le signe d’une évolution de fond: «Les Suisses commencent à comprendre que le territoire n’est pas infini. Y compris les agriculteurs qui voient leurs bonnes terres disparaître.» La ministre verte planche d’ailleurs avec ses services sur un mécanisme de taxes qui favoriserait la densification des constructions pour épargner les bonnes terres arables.
Commentaires
Yerly JP (non vérifié)
sam, 17 mar. 2012
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