Le cercueil swiss made doit se battre pour sa survie

| jeu, 31. oct. 2013
Les producteurs suisses de cercueils ne se comptent plus que sur les doigts d’une main. La pression vient d’Italie, mais aussi des pays de l’Est. Le canton de Fribourg a connu une fabrique, à Rosé.

PAR THIBAUD GUISAN


«A l’époque, dans chaque village, le fabricant de cercueils, c’était le menuisier.» Aux Pompes funèbres Ruffieux à Bulle, Michel Ruffieux parle d’un temps bien révolu.
En 2013, à la veille de la Toussaint, un constat s’impose: le cercueil suisse doit se battre pour ne pas finir enterré. Les spécialistes estiment que, sur plus de 60000 défunts annuels, un tiers environ repose dans une bière produite hors du pays. «Par e-mail, on reçoit de plus en plus d’offres de fournisseurs étrangers», confie André Bongard, Pompes funèbres à Châtel-Saint-Denis.
La concurrence est d’abord arrivée d’Italie. Elle provient aujourd’hui aussi de pays de l’Est. Cette pression sur les prix a eu raison de la dernière fabrique fribourgeoise, voici un peu moins de trente ans. «C’est comme pour tout bien industriel. L’Europe est petite et le marché suisse est intéressant pour les producteurs étrangers», explique-t-on auprès de l’Association suisse des services funéraires.


Le géant de Beromünster
Réaction: la fabrication de cercueils s’est concentrée. En l’occurrence du côté alémanique. Et c’est à Beromünster – connue aussi pour son émetteur radio – qu’il faut se rendre pour trouver le plus grand producteur du pays: Egli AG, qui fabrique environ 28000 pièces par an. Fondée en 1962, l’entreprise lucernoise compte 42 employés. «Il y a eu jusqu’à une vingtaine d’entreprises qui produisaient des cercueils en Suisse. Aujourd’hui, nous ne sommes plus que trois ou quatre», explique Andreas Egli, directeur d’Egli AG. Son principal concurrent, basé à Lindau, dans le canton de Zurich, dit usiner quant à lui 16000 pièces par an.


Le salut par les robots
Le salut du cercueil suisse passe aussi par un appareil de production à la pointe. «Nous devons continuellement investir, souligne Andreas Egli. Une grande partie de la fabrication est automatisée. Nous avons des robots qui travaillent jour et nuit.»
A ce rythme, le géant de Beromünster produit entre 100 et 120 cercueils par jour. Principalement en sapin et en peuplier contreplaqués. «Il faut compter cinquante minutes pour un cercueil avec les finitions. Nous sommes obligés de tenir cette cadence pour rester compétitifs, tout en gardant la qualité. Nous devons nous battre contre la concurrence étrangère, particulièrement de Roumanie et de Croatie. La situation n’est pas toujours facile. Nous avons des coûts salariaux suisses et des normes environnementales à respecter.»
Pour gagner en compétitivité, Egli AG s’est aussi spécialisée. «Depuis vingt ans, on ne produit plus que des cercueils. Avant, on était une menuiserie généraliste. On faisait d’autres choses, comme des meubles ou des caisses militaires.»


«De quoi enrager!»
Les cercueils lucernois approvisionnent de nombreuses entreprises de pompes funèbres de la région et de toute la Suisse romande. «Nous sommes fiers de notre étiquette swiss made. Nous nous fournissons en bois suisse, dans les cantons de Berne et de Schaffhouse en particulier. Heureusement, de nombreuses sociétés de pompes funèbres veulent travailler avec une marchandise suisse. Mais il y en a aussi, et même des publiques, qui se fournissent dans les pays de l’Est. Là, il y a de quoi enrager!»
Egli AG importe aussi une partie des cercueils d’Italie. «Il s’agit de produits de luxe, avec un vernis spécial ou des sculptures», explique Andreas Egli, qui commercialise aussi des urnes et des croix.


Incinérés à 90%
Mais la tendance est plutôt à l’achat de modèles sobres et meilleur marché. L’entrée de gamme, en peuplier, se situe aux alentours de 900 francs, alors qu’il faut compter dans les 1200 francs pour un modèle en sapin et au moins 2000 francs pour un bois plus noble comme le chêne ou le frêne.
Le changement de mœurs est lié au succès impressionnant de l’incinération. Les deux entreprises de pompes funèbres interrogées notent une proportion de près de 90%. A Bulle, Michel Ruffieux s’occupe de 240 deuils par an. A Châtel-Saint-Denis, André Bongard de 120 décès. «Il y a vingt ans, c’était 80% d’ensevelissements, se rappelle le Veveysan. A cette époque, on vendait beaucoup de cercueils en chêne. Aujourd’hui, c’est le sapin qui est le plus demandé.»
Le prix joue son rôle. Mais il serait doublé d’un effet psychologique. Les familles semblent en effet hésiter à acquérir un cercueil haut de gamme qui finira brûlé.

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La saga de Rosé SA
Le canton de Fribourg a eu son usine de cercueils. La fabrique, Rosé SA, était installée au lieu-dit Maison Rouge, près de Rosé, le long de la route cantonale menant à Payerne. Elle a œuvré durant un peu moins de vingt-cinq ans, entre les années 1960 et la fin des années 1980. «Une bonne dizaine d’employés ont produit jusqu’à plus de 3000 cercueils par an», explique Jean Murith, directeur de Pompes funèbres Murith SA, à Genève.
L’entreprise aux racines gruériennes est à l’origine de la saga. «Notre entreprise possédait une usine au centre-ville de Genève. Mais ça devenait problématique pour les camions de livrer le bois. Mon père Henri Murith qui était menuisier-
ébéniste de formation a cherché en vain une solution dans une zone industrielle de Genève. Il est alors tombé sur les locaux de Maison Rouge qui étaient mis aux enchères. La production a été délocalisée.»
Les cercueils de Rosé n’étaient pas seulement destinés à la société de pompes funèbres genevoise, mais à toute la Suisse romande. «Environ 500 pièces étaient livrées à Genève. Les 2500 cercueils restants étaient destinés aux cantons de Fribourg, du Valais et du Jura.»
La production s’est arrêtée progressivement. «Avec l’ouverture des marchés, les grandes chaînes italiennes ont commencé à livrer en Suisse. Avec nos coûts de main-d’œuvre et notre petite production, nous n’étions plus concurrentiels. Vers la fin, en 1986-1987, Rosé ne faisait plus que du montage et de la finition sur des éléments importés d’Italie. Nous n’avions plus que deux ou trois employés. Après, nous avons encore fait quelque temps de la distribution de cercueils importés d’Italie, mais nous avons assez vite abandonné ce créneau.» La société a été vendue, avant de faire faillite quelques années plus tard.
Aujourd’hui, l’ancienne usine de cercueils est voisine d’un garage. Sur l’une des façades, on peut encore lire l’inscription Rosé SA. «C’est l’ombre des Murith», sourit Jean Murith. TG

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