Ces vaisseaux fantômes si difficiles à reconvertir

26 novembre 2013 à 01:04

L’agriculture a toujours moins besoin de ses ruraux et leur rénovation est délicate. Un projet de recherche de l'Ecole d'ingénieurs et d'architectes de Fribourg fait le point. Patrimoine Gruyère-Veveyse organise une conférence sur le sujet.

Par Jean Godel
Les ruraux abandonnés sont toujours plus nombreux à hanter les villages et les campagnes. A l’heure de la densification, ces immenses vaisseaux fantômes deviennent un enjeu de taille. Mais force est de constater que les interventions déjà réalisées donnent rarement satisfaction. Très actif dans le domaine, Patrimoine Gruyère-Veveyse organise demain, à Echarlens, une conférence publique sur ce thème. La Gruyère a rencontré les trois participants invités.

Pour le nouveau chef du Service des biens culturels (SBC), l’architecte Stanislas Rück, ce phénomène est d’abord lié à la mutation profonde de l’agriculture: à Fribourg, le nombre d’exploitations est ainsi passé de 4493 en 1996 à 3033 en 2012 (-32,5%). A l’échelon suisse, c’est 33000 exploitations de moins durant la même période!

Surtout, les techniques évoluent: on ne stocke plus le foin en vrac dans les granges, mais en lourdes balles compactées que les structures légères des vieux ruraux ne supportent plus. Résultat: des montagnes de ballots enrobés de plastique en envahissent les abords. Un spectacle devenu aussi fréquent que désolant.

Pression démographique
Mais que faire de ces granges dont l’agriculture ne veut plus? La pression démographique, et donc immobilière, est demandeuse de nouveaux logements, constatent les auteurs du projet «RurBat» de l’Ecole d’ingénieurs et d’architectes (EIA) de Fribourg, l’architecte Stefanie Schwab et Grégory Jaquerod, collaborateur en architecture à l’EIA (ils le présenteront demain à Echarlens).

«La reconversion de ces granges est si compliquée, constate la première, que le marché préfère les raser pour reconstruire du neuf.» Autre cas de figure: par souci de densification, les villages définissent des zones à bâtir envahissantes où sont érigées des constructions qui dénaturent ce bâti. «Notre défi est de montrer que rénover et reconvertir ces granges est non seulement possible, mais aussi rentable», soutient Stefanie Schwab. «Et souvent plus profitable pour la commune que d’ouvrir de nouvelles zones.»

Cela dit, la prise de con-science commencerait à opérer, estime Stanislas Rück. On comprend que la disparition de ces granges serait une grande perte patrimoniale, une banalisation rampante du paysage bâti. D’autant plus dans un canton rural comme Fribourg.

Appel aux communes
Les architectes y sont eux aussi plus sensibles, attirés par cet immense marché de la restauration. «Mais ils restent encore largement sous la pression des promoteurs», reconnaît Stanislas Rück. Qui en appelle à un engagement accru des communes, notamment dans la coordination entre les acteurs: propriétaires, promoteurs, services de l’Etat, autorités.

Elles pourraient aussi planifier à large échelle la requalification du cœur des villages, voire se lancer elles-mêmes. Comme à Cressier, dans le district du Lac, où la commune vient d’acheter un hameau pour la reconversion duquel elle a lancé un concours d’architecture.

Mais elles sont encore rares à le faire, admet le chef du SBC: elles sont souvent débordées et n’ont pas toujours le savoir-faire pour de tels chantiers. «Au moins pourraient-elles se réunir pour engager un bureau technique!» En attendant, les privés qui se lancent dans l’aventure se découragent souvent face au parcours du combattant qui les attend. D’où l’intérêt du projet «RurBat» qui devrait déboucher, l’été prochain, sur un outil de gestion de la transformation de ruraux désaffectés. Une sorte de carnet de recommandations que publiera le SBC.
«Le patrimoine rural entre abandon et conversion», Echarlens, auberge de la Croix Verte, mercredi 27 novembre, 20 h 15

 

Conseils pour une rénovation réussie
Stanislas Rück, chef du Service des biens culturels (SBC) a cette image: définir un projet de rénovation d’un rural, c’est comme définir le profil politique d’un candidat à une élection à l’aide de son smartvote. Sur la toile d’araignée, il faut placer les différents aspects de la rénovation: écologie, économie, usage, patrimoine et technique. «L’idéal étant de ne pas tirer trop vers un seul de ces pôles au risque de déséquilibrer tout le projet.»

Mieux vaut donc viser une optimisation équilibrée de chaque domaine plutôt que de s’astreindre, en tout, à un strict respect des normes les plus élevées. Ainsi du bilan énergétique: on peut vouloir atteindre le label Minergie, mais dans un bâtiment ancien, cela peut s’avérer très complexe et très cher. Privilégier le compromis avec les différents services de l’Etat est possible, assure le chef du SBC – «ils sont prêts à discuter».

Ne pas trop en demander
Plus concrètement, les auteurs du projet «RurBat», Stefanie Schwab et Grégory Jaquerod, préconisent quelques pistes. Comme de ne pas en demander trop au bâtiment existant, même si ses volumes sont immenses: «Tout remplir coûte plus cher.» Surtout qu’il faut alors toucher à la structure ancienne, promesse de véritables défis techniques. Eux recommandent d’imaginer des boîtes qui s’insèrent dans le volume, sans le toucher. Ainsi, contrairement aux idées reçues, rénover de manière trop dense pousse à suréquiper, donc à accroître la complexité et le prix de l’objet final. En plus, la qualité de vie n’en est pas meilleure pour autant, au contraire. Et le rendement en souffre.

Enfin, c’est le bâtiment qui dicte ce que l’on peut en faire: d’abord bien lire sa structure et respecter sa cohérence. Et non définir les besoins avant d’y adapter l’enveloppe, comme on le ferait avec du neuf. Une approche pas encore assez ancrée dans la culture des architectes, selon le chef du SBC: «On leur enseigne encore trop le concept de la grande idée…»

Enfin, ce dernier conseil de Stanislas Rück à tout candidat à la rénovation d’une grange: «Faites un croquis rapide de votre projet et venez nous le montrer tout de suite: en une heure, on l’orientera dans la bonne direction.»