La limite pluie-neige passera de 1000 à 1400 m d’ici à 2050

2 février 2013 à 03:04

Une étude vaudoise précise la menace qui pèse sur les stations de basse altitude. L’ARG a déjà lancé une réflexion. Les responsables misent sur les canons à neige.

PAR JEAN GODEL

En 2035, les conditions actuelles d’enneigement à 1000 m se retrouveront 200 m plus haut. En 2050, il faudra monter jusqu’à 1400 m. Tels sont les faits marquants révélés en janvier par une étude de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), commandée par les régions touristiques vaudoises et l’Etat de Vaud. Intitulée Changements climatiques, quel avenir pour les destinations touristiques des Alpes et du Jura vaudois? l’étude confiée à la géographe Gaëlle Serquet et à la climatologue Martine Rebetez confirme la poursuite de l’élévation de la limite pluie-neige: entre les années 1960 et la fin des années 1990, l’isotherme 0°C est en effet monté de 300 m, passant de 600 à 900 m.

Ce sont des constats, pas des projections. En cause: l’augmentation de la température. Elle a été en moyenne de 0,57°C par décennie depuis trente ans en Suisse (0,38°C l’hiver, 0,86°C l’été). D’ici à 2035, les modèles récents prévoient une augmentation d’environ 1 à 1,5°C. La proportion neigeuse des précipitations diminuera donc à basse altitude. Et la limite pluie-neige continuera de monter: «Par degré d’augmentation de la température hivernale, la limite moyenne de l’enneigement subira un décalage de 150 à 230 m.»

Quant au nombre de jours favorables à la production de neige artificielle, il diminuera. Cette situation touchera particulièrement les zones entre 1100 et 1400 m: malgré la grande variabilité des situations, «elles risquent d’atteindre le seuil d’un jour sur deux de précipitations sous forme de pluie durant les mois de décembre, janvier et février.» A ces altitudes, les stations du Sud fribourgeois sont concernées sur la plus grande partie de leurs domaines: Charmey et la Berra culminent à 1600 m, Bellegarde, Rathvel, Les Paccots et Plan-Francey, la station intermédiaire de Moléson, à 1500 m.

Maintenir ou non le ski?

Dans leurs recommandations, les auteures estiment qu’à moyen terme (2035), pour ce qui est du Jura vaudois, «une réflexion concernant le maintien ou non du ski doit avoir lieu». Une remarque qui doit tout de même faire réfléchir dans toutes les stations de basse altitude… Cette étude apporte aussi une bonne nouvelle: l’été, les grandes chaleurs pousseront les citadins du Plateau vers les hauteurs. La saison estivale verra donc son potentiel grossir. Idem pour le printemps et l’automne, toujours plus propices aux activités de plein air. D’où l’intérêt d’une reconversion au moins partielle des stations sur les activités non hivernales.

 

 

----------------------

«Rivaliser avec Zermatt, mais l’été»

Sur le bureau de l’Association Régionale la Gruyère (ARG) se trouve une demande de subvention de 224000 francs provenant de la Berra pour sa troisième étape de canons à neige. L’ARG a déjà financé à hauteur de 432000 fr. des canons à la Berra et à Bellegarde, rappelle son président Patrice Borcard. Qui, du coup, a souhaité élargir le problème: «J’ai demandé à toutes les stations de nous faire part de leurs projets de canons à neige pour les dix années à venir.» Résultat: le montant articulé est substantiel. «Nous devons donc réfléchir à une stratégie», confie le préfet de la Gruyère.

Trois options s’offrent à l’ARG: soit elle continue sur sa lancée et finance les canons. «Mais alors nous ferons tout pour que le canton participe aussi», annonce Patrice Borcard. Un canton qui a financé le renouvellement de remontées mécaniques orientées sur l’hiver: «Il serait logique qu’il aide à compenser le manque de neige.» Problème: il n’a aucune base légale pour le faire.
Soit l’ARG se pose la question d’une réorientation vers d’autres priorités: avec les températures en hausse, il y a une nouvelle clientèle non hivernale à séduire. «Ce serait inconscient de ne pas intégrer les données scientifiques à nos réflexions», pose Patrice Borcard. Surtout que de gros projets toutes saisons attendent d’importants financements, comme le centre sportif régional. Dernière option: un moratoire sur les aides aux canons à neige.

L’ARG a demandé des analyses complémentaires, notamment sur le modèle vaudois où le canton finance les canons. Le fonctionnement des stations qui en sont dotées intéresse aussi: combien de millions pour combien de jours d’exploitation en plus? Les résultats tomberont d’ici à quelques mois.


Le cas épineux de Charmey

Cette étude vaudoise apporte de l’eau au moulin du syndic de Charmey. Cela fait quelque temps déjà que Félix Grossrieder pose la question du soutien étatique à l’exploitation des remontées mécaniques que le canton a contribué à renouveler (La Gruyère des 20 septembre). Il rappelle aussi, sans trop y croire, les standards de la branche qui visent l’équilibre du chiffre d’affaires hiver/été (75/25 à Charmey) pour s’en sortir économiquement. «Même avec un bon hiver, la télécabine a besoin des 250000 fr. du fonds de compensation communal», fait-il remarquer. A deux reprises, les citoyens ont même rajouté 200000 fr., en 2011 et 2012. «Une question de fond se pose: Charmey n’a-t-il pas une autre mission à remplir?», demande son syndic. Qui constate que les Bains de la Gruyère font 200000 entrées par année, la Maison Cailler 350000, sans lien direct avec la pratique du ski.


L’exemple de Gruyères
Raoul Girard ne dit pas autre chose: «L’hiver, on ne peut pas rivaliser avec Zermatt. L’été, oui.» La preuve: Gruyères reçoit plus d’un million de visiteurs, surtout l’été. Le président de La Gruyère Tourisme qui, à l’instar du rapport Scherly de 2003, prônait la fusion des remontées de la région, constate en 2013 qu’elles ont toutes été rénovées sans être réunies: «Le canton a saupoudré pour faire plaisir à tout le monde. On doit faire avec. Maintenant il faut augmenter les revenus. Mais ça se fera l’été, avec une stratégie régionale pour toute l’année. Sinon, je ne vois pas comment faire tourner autant de stations dans un si petit périmètre.»

Quant aux canons à neige, il peine à envisager leur financement public sans qu’on apporte la preuve que les stations qui s’en équipent seront rentables. Or jusqu’ici, point de business plan à l’horizon… C’est d’autant plus inquiétant que ces canons coûtent cher à l’exploitation: «S’ils servent à maintenir le chiffre d’affaires, ça ne suffit pas. Il faut qu’ils l’augmentent.» JnG