17 août 2013 à 03:44
Le lama veille sur des troupeaux de moutons et de chèvres. Deux alpages gruériens sont concernés par ce projet pilote national. Le camélidé dévoiles ses forces, mais aussi ses faiblesses.
PAR THIBAUD GUISAN
Le premier alpage, Les Chaudzes, est perché à 1500 m au-dessus de Lessoc. Le second, Le Cheval Blanc, s’étend entre 1800 m et 2100 m, blotti dans la vallée du Petit-Mont, qui part de La Villette. Leur point commun: ils sont arpentés par un lama.
Black and white et Lusko ont deux ans. Ils ont pour mission de protéger chèvres et moutons des attaques du loup, du lynx ou d’autres prédateurs. Les camélidés laineux, deux mâles castrés, ont l’honneur de participer à un projet pilote national.
Sur les flancs pentus des Chaudzes, Black and white cohabite avec 120 chèvres laitières, 31 cabris et Dino, le border collie chargé de conduire le troupeau. Thierry Beaud, le fromager d’Albeuve, passe son septième été à l’alpage. Il jette un regard mi-amusé mi-perplexe vers son nouveau pensionnaire. «Il ne m’embête pas autrement. Il est discret et, contrairement aux chèvres, il supporte la pluie. Après, à savoir s’il est utile, c’est le grand mystère. C’est un test.»
Un petit grognement dissone au milieu des bêlements des chèvres. Le lama est curieux. En général, il pointe son museau à l’écurie à l’heure de la traite. «Mon souci était qu’il s’échappe, explique Thierry Beaud. Le parc est électrifié, mais un lama peut sauter jusqu’à 1,6 mètre de haut, sans élan. Et il a une bonne vue, avec ses grands yeux.»
Au Cheval Blanc, Lusko veille sur 250 moutons de la région du Mouret, du district du Lac et du canton de Berne. «On est plus de trente propriétaires, explique German Schmutz, de Cormon-des-le-Petit. Nous avons un contrat avec le teneur d’alpage, Didier Charrière, pour la garde de nos moutons.» Ingénieur électricien de profession, German Schmutz a placé dix-sept moutons. Il est aussi le président de la Fédération suisse d’élevage ovin. «Ces tests sont une première pour le canton de Fribourg. Il valait la peine d’essayer.»
Acclimatation en plaine
Les deux lamas ont rejoint leurs compagnons d’estive avant la montée à l’alpage. Thierry Beaud a accueilli Black and white début avril dans sa ferme des hauts d’Albeuve. «Les chèvres étaient impressionnées. Le lama cherchait le contact. Il courait après les chèvres qui le fuyaient.»
Une solution a été trouvée avec l’éleveur Didier Blanc, d’Echarlens. «On a créé un petit box à l’intérieur de la chèvrerie pour le lama. Comme ça, les chèvres pouvaient venir le sentir. On a fait comme ça durant une semaine. Après, on l’a sorti et c’était bon: il faisait partie du troupeau.» Lusko a, lui, séjourné durant quatre semaines chez German Schmutz. «Au début, le bélier était un peu méchant et les moutons avaient peur. Mais ils se sont vite habitués.»
Sur les deux alpages gruériens, tous deux clôturés, le camélidé est seul. Et pour cause: «S’ils sont deux, les lamas restent ensemble et se désintéressent du troupeau.»
Signaux encourageants
Les teneurs d’alpage des Chaudzes et du Cheval Blanc touchent du bois: leur troupeau n’a jamais été attaqué. Aucun animal de protection – le patou, chien de montagne des Pyrénées, est le plus utilisé – n’officiait d’ailleurs les années précédentes. Cet été, deux moutons sont morts au Cheval Blanc. Mais victimes de la foudre.
Reste une question: loup, lynx ou autre prédateur ont-ils eu peur de l’épouvantail exotique? Les teneurs d’alpage n’ont pas de preuve. Mais les signaux seraient encourageants. «Un jour, un chien s’est approché. Le lama s’est montré protecteur. Il a commencé à taper des pieds», raconte Thierry Beaud. Au Cheval Blanc, Lusko a quitté le troupeau trois jours. «Le garde-génisses a dit qu’il avait certainement chassé un renard», explique German Schmutz.
«Il donne très peu de travail»
L’opération a démarré durant l’été 2012. Quatre troupeaux de moutons – dont un aux Mosses, sur l’alpage de Champillon – ont été surveillés par un lama. L’expérience s’est étendue cette année à douze alpages dans toute la Suisse. Daniel Mettler est le coordinateur du projet pilote géré par Agridea, l’Association suisse pour le développement de l’agriculture et de l’espace rural.
Comment avez-vous eu l’idée d’utiliser des lamas pour défendre les troupeaux?
Aux Etats-Unis et en Australie, le lama est utilisé pour protéger les troupeaux contre les coyotes, les chiens errants ou les dingos. Les résultats sont contradictoires. Nous voulions nous faire notre propre opinion. Au début des années 1990, lorsque les loups ont fait leur retour en Suisse, des ânes ont été utilisés. Mais ils ont vite montré leurs limites par rapport à la taille du troupeau et à la topographie. Depuis, les chiens de protection se sont imposés.
Quel est l’avantage d’un lama par rapport à un chien comme le patou?
Le lama donne très peu de travail. C’est un animal robuste, résistant aux maladies. Il coûte environ 1500 francs, un prix similaire à celui d’un chien de protection. Mais, après, le lama n’engendre pratiquement pas de frais d’entretien. Il broute et complète la pâture des moutons. De plus, dans les zones touristiques, très fréquentées par des randonneurs et des cyclistes, le potentiel de conflits est moins grand.
Comment le lama se comporte-t-il face à un prédateur comme le loup?
Seules des observations ont été effectuées face à des chiens. Le lama émet un cri, comme un gros rire, puis fait face à l’intrus. Il tape ensuite avec ses pieds, ce qui fait peur au prédateur. En revanche, tous les lamas ne crachent pas.
Les chiens ont donc un concurrent. Vont-ils se retrouver au chômage?
Non, les lamas ne vont jamais remplacer tous les chiens de protection. Ils restent l’élément clé de la défense contre les grands prédateurs. Les lamas pourraient en revanche être une alternative.
Dans quelles conditions le lama est-il utile?
L’expérience de cet été nous aidera à connaître ses limites. Sur de grands alpages et avec une topographie difficile, le chien reste plus efficace. Il est plus agile et plus mobile, surtout dans un terrain vallonné avec des broussailles et de la forêt.
Combien de moutons ou de chèvres un lama est-il capable de surveiller?
Là encore, l’expérience de cet été donnera des indications. Mais, sur un territoire restreint, un lama devrait être capable de gérer jusqu’à cent moutons. Le lama pourrait être particulièrement utile au printemps et en automne, quand les troupeaux séjournent sur des terrains plus petits qu’en estivage. Il serait efficace contre les renards et les chiens errants.
Dominant, mais petit mangeur
A Echarlens, Didier Blanc est éleveur de lamas. Il propose aussi des balades avec ses camélidés. Partenaire du projet pilote, c’est lui qui a sélection-né Black and White et Lusko, les deux lamas actifs sur les alpages gruériens. Il a participé à leur intégration avec les troupeaux en plaine et il effectue un suivi durant l’été. «Il fallait choisir un animal dominant qui défende son territoire, explique Didier Blanc. Un lama peureux n’aurait pas fait l’affaire. On a fait des tests avec un chien.» L’éleveur est convaincu des qualités de gardien du lama. Avantage du camélidé, il est un petit mangeur. «Il faut un lama et demi pour manger ce que broute un mouton par jour. Un lama ne mange que 3% de son poids vif. C’est un animal très économique.» Sur la balance, un mâle adulte affiche entre 150 et 180 kg.