8 octobre 2016 à 04:30
Vendredi matin, près de 200 lots d’objets séquestrés par la police après des vols ont été vendus aux enchères à Morlon. Une cinquantaine de curieux, de brocanteurs ou de spécialistes ont déboursé jusqu’à 1500 francs pour faire une affaire. Les recettes de cette vente serviront à couvrir les frais de procédures contre les malfrats.
PAR CHRISTOPHE DUTOIT
9 h, vendredi matin, dans l’abri PC de Morlon. Une cinquantaine de badauds défilent avec curiosité le long des tables mises en place par l’Office des poursuites de la Gruyère. Deux policiers en gilet pare-balles veillent au grain: ce serait bien le comble qu’il se passe un vol. Une grappe de solides gaillards s’est formée tout à droite, là où une dizaine de montres attisent toutes les convoitises. Patien-ce. Leur heure viendra.
Pour la seconde fois cette année, Pascal Lauber et ses collègues procèdent à une vente mobilière pour le compte de la Police cantonale fribourgeoise et du Ministère public. «Nous nous en chargeons depuis une dizaine d’années, explique le préposé de l’Office des poursuites de la Gruyère, également syndic de Morlon. Ces temps, nous en organisons deux par année. En mars, nous avions encore davantage d’objets. Beaucoup d’habits, mais aussi des télévisions et de l’outillage volé sur des chantiers.»
9 h 05. Pascal Lauber troque son habit de préposé pour celui de commissaire-priseur. La vente aux enchères peut commencer: «A tous prix, sans aucune garantie, au plus offrant après trois criées. Et la surenchère minimale est fixée à 1 franc. Pour ne pas chipoter.» Pour peu, on se croirait chez Drouot. Premier lot, une valise: 5 francs, 10, 20, 30 à gauche, 35 à droite. «35 première, 35 deuxième, 35 troisième. Adjugé à 35 francs.» Le monsieur de gauche est un habitué. Pas bête d’acheter un attaché-case pour «ranger» ses gains à venir.
Invendables détruits
«Ces ventes ne sont pas bien connues du grand public, explique Antoine Bürke, responsable des séquestres à la police cantonale. La plupart du temps, il s’agit de vols à l’étalage. Lorsqu’on interpelle un suspect, on contrôle son appartement et on trouve souvent d’autres objets volés que l’on séquestre. Après enquête, on les réattribue à leur propriétaire. Mais il arrive qu’on ne trouve pas à qui appartient telle ou telle pièce. Parfois, les voleurs ne savent plus d’où elles proviennent. Les invendables sont détruites. Et les autres seront vendues.»
Les enchères se poursuivent. «Pour ce lot de shampoing et d’adoucisseur, qui lance la mise?» «Un franc!» «Adjugé à un franc.» Avec humour et tact, Pascal Lauber prévient amicalement les enchérisseurs: tout droit disparaître avant d’en arriver aux montres. Il y parviendra, presque. Devant trois télécommandes et un écran d’ordinateur, il ne peut cacher sa circonspection. «Là, vous m’avez lancé un sacré défi! Personne pour 1 franc? Tant pis.» Ces quatre pièces-là finiront sans doute à la déchetterie.
«A 3 francs, c’est la panique! avoue cette jeune femme après avoir misé sur un trio pack de rasoirs féminins. Fallait-il que je monte jusqu’à 4 francs? Ça vaut une fortune, ces rasoirs, dans la vraie vie.» Sacrée affaire.
En cas de cambriolage, la police procède à des recher-ches plus approfondies. «Nous avons un délai de cinq ans. Nous cherchons à contacter les plaignants pour leur restituer leurs biens, explique Antoine Bürke. Les produits de ces ventes sont reversés au Ministère public ou aux tribunaux, en déduction des frais de procédures.»
Red Label et Jack Daniel’s
Hier matin, le public présent à Morlon n’a pas eu de peine à se partager le butin des voleurs anonymes. Plusieurs lots de mascara ou de bijoux de pacotille sont partis à 1 franc. Les whiskies autour entre 15 fr. et 20 fr. les deux bouteilles. Correct pour du Red Label et du Jack Daniel’s: les voleurs à la petite semaine ne semblent pas portés sur les single malt écossais…
Après une heure à tenir le crachoir, Pascal Lauber cède son rôle de crieur à son substitut Alexandre Astorina pour la suite de la matinée. Deux smartphones sont vendus à une cinquantaine de francs. Arrivent enfin les montres tant attendues: une quarantaine de lots de cinq Swatch, qui ne manquent pas d’éveiller les souvenirs des quadragénaires présents dans le bunker. En moins d’une demi-heure, toutes les toquantes trouvent nouveau poignet. Entre 10 et 65 francs les cinq. «J’ai 11 petits-enfants, lance ce monsieur à l’achat de son troisième lot. Ça fera toujours l’affaire pour des cadeaux de Noël», rétorque un autre, dans l’hilarité. «A ce prix-là, elles ont été données, se désole presque Antoine Bürke. Mais, c’est comme ça.»
Mont-Blanc à 110 francs
«Une quarantaine de montres avaient fait l’objet d’estimations et nous avons fixé un prix de départ pour cinq d’entre elles», explique Pascal Lauber. Ainsi, une magnifique Breitling Automatic a trouvé preneur au prix de 1500 francs. «Moins de la moitié de l’estimation, précise le préposé. Mais c’est un prix correct. Les autres lots ont été vendus entre 10% et 15% de leur valeur… Seul un stylo Mont-Blanc a été acquis plus cher que son estimation, au prix de 110 francs.»
En revanche, une Charriol n’a intéressé personne à un prix de départ de 500 francs. «On la garde et on la remettra dans le circuit la prochaine fois», explique Pascal Lauber. Au total, les enchères auront rapporté plusieurs milliers de francs. Peut-être moins que sur eBay ou Ricardo. «Nous n’avons pas encore de cadre légal pour organiser des enchères en ligne. Mais, on s’en approche certainement.» Ce serait assurément moins sympathique.