«Rien ne fait autant parler»

26 novembre 2013 à 01:42

Directeur général de Fribourg-Gottéron, Raphaël Berger évoque l’évolution du club, le dossier de la patinoire, l’investissement pour les jeunes et son rôle bien particulier de CEO le plus exposé du canton.

Par Karine Allemann
De ses dix saisons de LNA, Raphaël Berger a gardé une cicatrice au-dessus de la lèvre, une parfaite connaissance de l’allemand et de l’anglais, et aussi une carapace plutôt hermétique aux critiques. «Ma qualité principale? Je ne suis absolument pas susceptible.» A 34 ans, le Jurassien est le directeur général de Fribourg-Gottéron SA, une grosse machine dont le chiffre d’affaires a atteint 21 millions de francs la saison dernière. Grand passionné de littérature classique – «je lisais deux romans par semaine à l’époque où je jouais» –, discret et peu enclin à parler de lui, il est aujourd’hui le CEO le plus exposé du canton.

Racontez-nous votre quotidien de directeur général de Fribourg-Gottéron…
Pendant la saison, il y a beaucoup de représentation liée aux matches. Hors championnat, je ne fais quasiment que de la vente et du sponsoring. J’ai la chance de faire un job très varié: je peux m’occuper de la formation d’un jeune, d’un rendez-vous avec un sponsor, en passant par une séance de chantier ou une question de RH à régler. Sans oublier les contacts quotidiens avec Hans Kossmann. Tout ça, dans une même journée.

Vous êtes arrivé à Fribourg en 2000 en tant que joueur. Comment le club a-t-il évolué en treize ans?
Tous les clubs se sont développés à une vitesse folle. Le sauvetage, il y a sept ans, a été un facteur déterminant pour nous. C’est sûr qu’il y avait un Gottéron avant l’assainissement et un Gottéron après. L’évolution principale est que, désormais, l’équipe a les moyens d’être beaucoup plus compétitive. Et puis, dans tous les domaines, on peut multiplier les chiffres par deux. Le staff s’est étoffé à tous les niveaux. Mais Fribourg-Gottéron reste le club avec le plus petit staff administratif de la Ligue, alors que nous réalisons le deuxième chiffre d’affaires de cette Ligue.

Le budget peut-il encore augmenter?
Aujourd’hui, le budget est de 13 millions pour la SA, 1,5 million pour le mouvement juniors et 2,5 millions pour la gastronomie. Ce qui fait un total de 17 millions. La saison dernière, grâce à la finale, nous avons atteint 21 millions de chiffre d’affaires. Les play-off sont notre seule marge de manœuvre. Sinon, au niveau du sponsoring et du ticketting, nous sommes au maximum de l’exploitation. Seules de nouvelles infrastructures nous offriront des entrées supplémentaires et nous permettront de nous agrandir.

On en arrive donc à la nouvelle patinoire. Qu’est-ce qui est déjà acquis dans ce dossier et qu’est-ce qui ne l’est pas?
En plus d’un projet de rénovation de l’actuelle patinoire, il existe celui d’une nouvelle construction, dans le périmètre du Centre sportif de Saint-Léonard. C’est vers ce projet que penche le club. Car une rénovation serait hyperdangereuse pour la bonne marche de Gottéron. Imaginez dix-huit mois de travaux alors que nous sommes déjà à l’étroit!

Reste que, pour l’instant, la seule chose qui est connue est l’échéance de la Ligue de hockey. Nous devons lui présenter un projet ficelé et un calendrier de réalisation en 2015, et nous aurons alors trois ans pour la construction. En résumé, si nous n’entrons pas dans notre nouvelle patinoire en 2019, le club sera vraiment dans la mouise. Dès 2019, la Ligue va lister des critères très précis. S’il reste des points non adaptés, la situation deviendrait ingérable. Et ce serait sans moi.

Il y a quelques années, certains jeunes talents partaient pour Berne. Aujourd’hui, est-ce que Fribourg-Gottéron dispose de tous les atouts pour former des joueurs?
Huit personnes travaillent à temps plein pour le mouvement juniors, soit cinq entraîneurs, un chef de formation, une gouvernante et un chef matériel. Une soixantaine de personnes travaillent en plus sur mandat pour encadrer les 180 jeunes et la centaine d’enfants de l’école de hockey. Aujourd’hui, nous sommes en élites dans toutes les catégories. Avec le système Sport Art Formation, ceux qui choisissent quand même de partir ne sont plus subventionnés par le canton. C’est une bonne chose. Mais il y en a toujours qui croient que l’herbe est plus verte ailleurs.

Une belle carrière en LNA est la promesse de gagner beaucoup d’argent. De quoi rendre certains parents nerveux?
Dès l’âge de 14 ans, les joueurs ont des agents pour négocier les contrats. Reste que, pour un club, la dernière chose à faire est de discuter avec les parents. On essaie de faire le mieux possible pour développer ces jeunes. Mais, pour certains, cela ne suffit pas. Si, globalement, les choses se passent très bien, comme dans tous les sports, la plupart du temps tu n’as pas de problème avec le sportif, mais avec son entourage.

Une bonne partie de ce qui est investi pour les jeunes réduit les dépenses de la LNA.
Oui, dans la mesure où nous n’aurons pas de frais à payer pour la licence d’un jeune. Après, il faut couper court à la légende urbaine selon laquelle les joueurs formés chez nous coûtent moins cher. Leur demande est la même que les autres au niveau des salaires. Par contre, l’identification à l’équipe est plus grande.

Vous étiez joueur de LNA quand de petits jeunes comme Julien Sprunger et Andreï Bykov débarquaient en première équipe. Quels rapports avez-vous avec ceux qui sont aujourd’hui les stars du club?
C’est vrai qu’il y a encore pas mal de joueurs avec qui j’ai joué, ou que j’ai croisés. Ce sont des copains, c’est donc assez spécial. Mais cela ne me gêne pas. Quand j’ai quelque chose à dire dans le cadre de ma position, je le dis. Toutefois, le vrai patron des joueurs, c’est le coach. C’est lui qui doit gérer l’équipe. Après, s’il y a des choses à régler, qui ne sont pas forcément négatives, d’ailleurs, c’est sûr que je suis leur chef. Quand je leur demande de faire quelque chose, ils ont intérêt à le faire.

Vous avez commencé par travailler dans les bureaux du club en plus de votre job de joueur. Puis vous avez franchi tous les échelons jusqu’à devenir directeur général. Comment expliquez-vous cette reconversion pour le moins réussie?
C’est vrai que j’ai eu une progression linéaire. A chaque fois, j’ai fait mes preuves et donné satisfaction à mes supérieurs. Après, il faut aussi être là au bon moment. Il y a eu une conjonction de deux éléments: l’assainissement du club et ma fin de carrière en raison d’une blessure à un genou. J’ai passé d’une étape à l’autre en suivant la réorganisation du club. J’ai eu de la chance.

Mais pour décrocher ce poste, vous devez bien avoir des qualités, non?
Je me suis formé, j’ai une bonne connaissance du milieu et, surtout, j’arrive à rester serein et calme quand il s’agit de prendre une décision. Ce n’est pas le rôle d’un dirigeant de s’exciter quand tu gagnes ou tu perds. C’est pour les supporters. Ensuite, il faut aussi savoir expliquer les décisions, faire passer les messages. Parce que, dans mon job, si tu as des problèmes avec les supporters, les médias et les sponsors, ça devient très difficile.

Etre le chef du plus grand club du canton, en tête de LNA, adulé et supporté par tous, c’est le rêve!
C’est vrai. C’est le job de rêve à mon âge. Parfois, je me demande ce que je ferai dans dix ans. Après, je suis aussi le directeur général quand l’équipe est huitième en septembre et que tout le monde panique en se demandant comment on va se qualifier pour les play-off…

On est dans un monde où beaucoup sont prêts à te mettre la canne dans les patins pour te faire trébucher. A chaque fois que l’équipe entre sur la glace, elle a face à elle des gens qui vont tout faire pour lui prendre sa place. La pression populaire et médiatique est très forte. Aucun autre chef d’entreprise ni aucun politicien n’est autant jugé et scruté. Dans le canton, rien ne fait autant parler que Fribourg-Gottéron.

 

Bio Express
Date de naissance. Le 7 février 1979.
Domicile. Corminboeuf.
Situation familiale. Marié, père d’un garçon de 6 ans et d’une fille de 4 ans.
Formation. Maturité commerciale et diplôme de manager du sport Swiss Olympic.
Carrière de hockeyeur. Formé à Ajoie, pro en LNB à Ajoie en 1996. En LNA à Zoug de 1997 à 2000 (champion de Suisse en 1998), à Fribourg-Gottéron de 2000 à 2007.
Un péché mignon. «J’aime bien les plaisirs de la table. Mais est-ce un péché?»
Un livre. Don Quichotte.
Un film. La trilogie Indiana Jones.

 

Les coulisses de l'interview

Le rendez-vous est pris à la patinoire, au Sport Café. Raphaël Berger est un gars sérieux. Mais, ce jour-là, il n’a pas pensé à prendre sa veste de Fribourg-Gottéron pour la photo. Il emprunte au passage celle d’Olivier Roschi, coach des novices élites. Le Jurassien se révèle étrangement peu à l’aise au moment de prendre la pose. «Je ne sais pas quoi faire de mes mains…» Retour au café. L’interview est interrompue par un client qui vient prendre des nouvelles du club auprès du directeur. «Ça n’arrête jamais. Gottéron, c’est du 1er janvier au 31 décembre, partout, tout le temps.»

C’est la fin de l’entraînement. Les joueurs défilent pour venir prendre leur repas de midi. «Salut les jeunes!» rigole Berger. «Quelqu’un m’appelle? J’ai entendu le mot “jeune”!» Christian Dubé est d’humeur taquine. Les Dragons ne savent pas qu’ils perdront un peu bêtement à Genève. Raphaël Berger n’a pas assisté au match. Il était en séminaire dans «son» Jura pendant tout le week-end avec le conseil d’administration. Et puis, de toute façon, s’exciter après une victoire ou une défaite, ce n’est pas le genre du patron.

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