PAR FLORENCE LUY

Ueli Steck est reconnu comme étant l’un des meilleurs alpinistes actuels. Il s’est fait remarquer en particulier pour ses ascensions express. Il a ainsi bouclé en 7 h 04 les trois faces nord mythiques des Alpes: l’Eiger, le Cervin et les Grandes Jorasses. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. Rencontre avec ce Bernois de 36 ans avant qu’il ne vienne présenter son nouveau film, lundi, à Bulle.

Votre record de 2 h 47 pour l’ascension de la face nord de l'Eiger a été battu l’année dernière par un Suisse de 27 ans, Dani Arnold, qui a amélioré de vingt minutes ce record de vitesse. Auriez-vous envie de faire encore mieux?
Une nouvelle génération prend la relève. C’est normal. Encore faut-il noter que Dani Arnold n’a pas réussi son exploit en libre, alors que je fais tout en libre. Je n’ai cependant pas envie de retenter quelque chose dans la face nord de l’Eiger. J’ai envie d’avancer, de relever de nouveaux défis.

Nous allons donc vers une génération d’alpinistes qui vont être toujours plus rapides, avec du matériel et un équipement de plus en plus légers?
La vitesse est un facteur d’évolution important. Elle ouvre de nouvelles perspectives. Mais l’aspect «chronomètre» demeure un jeu. Il n’est pas le but premier de l’alpiniste. Il est surtout intéressant de constater que l’Eiger peut aujourd’hui se gravir en deux heures, alors qu’il se faisait en deux jours il y a encore quelques années.

Vous n’arriverez sans doute pas à convaincre les générations de montagnards qui estiment qu’alpinisme ne peut pas rimer avec chronomètre… Que dites-vous à ces gens-là?
Quand je réalise un record, j’ai une satisfaction immense. C’est tout autre chose que de prendre le temps de grimper, de profiter de la montagne. La démarche n’est pas la même. Dans un tout autre domaine, on peut très bien imaginer un marathonien s’accomplir en courant et aimer faire une balade tranquillement.
 
En ce qui concerne le matériel, vers quelle évolution allons-nous? Quels sont les défis à relever de la part des fabricants?
Il y a toujours moyen d’améliorer le matériel. A titre d’exemple, le piolet traction sans dragonne a été une grande évolution. Ou encore, pour mon dernier voyage en Himalaya, grâce à un équipement conçu sur mesure, j’ai réduit son poids total de six kilos. C’est énorme! Sans parler des chaussures… il y a pas mal à faire encore dans ce secteur.

Après vos réussites dans les Alpes, vous vous êtes attaqué à l’Himalaya. Avec les ascensions de plusieurs 8000 m. Puis, dans le massif de l’Annapurna, vous avez renoncé à un projet pour porter secours à deux Espagnols (un est décédé). Cet événement a-t-il changé votre regard?
Non, cela n’a pas modifié ma façon de penser ou de faire. Aller en montagne représente un risque en soi. Je mise toujours sur la sécurité, mais un accident reste possible. Comme cela a été le cas pour Erhard Loretan. Il faut assumer les choix que l’on fait. Quant à porter assistance à quelqu’un, cela me semble être une évidence. Si je me retrouvais à l’Annapurna aujourd’hui, je referais la même chose.

N’êtes-vous pas devenu un peu prisonnier de votre image d’homme aux records? N’est-ce pas courir le risque d’aller au-delà de vos limites, ne serait-ce que pour répondre aux attentes des sponsors?
Tout le monde subit des pressions au cours de son existence. Je ne fais pas exception!  Je dois avouer que ma position vis-à-vis des sponsors est pour l’instant assez confortable. Par ailleurs, je travaille sur mon mental avec un professionnel, notamment pour gérer les pressions. Cela m’aide à rester centré et à savoir dire non quand cela est nécessaire.  
 
Les limites justement… Vous étiez parvenu au point de ne plus vous accorder de temps pour boire un café pour ne pas manquer un entraînement. Vous êtes désormais suivi par un coach pour mieux gérer votre besoin d’exercice physique…
L’entraînement physique a toujours fait partie de ma vie, depuis très jeune, donc j’ai toujours considéré cela comme une activité normale. Mais il y a cinq ans environ, j’ai réalisé que malgré tous mes efforts, je n’avançais plus. C’est à ce moment que j’ai sollicité l’aide d’un coach. Il établit le planning de mes activités. Il y a ainsi des périodes avec très peu d’entraînement. Je me sens beaucoup mieux maintenant. C’est important de s’entourer de spécialistes.
 
C’est ce que vous recommanderiez à tout sportif de haut niveau?
Oui, dès que l’on fait un sport de façon professionnelle, il faut savoir s’entraîner de façon appropriée. Peu est fait dans le domaine de l’alpinisme à ce sujet. Cela commence enfin avec le ski-alpinisme.
 
Et si demain vous fondiez une famille, quels changements cela impliquerait dans votre existence ?
Nous n’avons pas ce projet avec ma femme, pour l’instant. Si cela devait changer, il va de soi que je ne pourrais plus vivre comme maintenant.
 
Quand on atteint ce niveau de performance technique et de capacité physique, combien de temps peut-on le conserver?
La performance va évidemment en diminuant. La façon de s’entraîner ne peut plus être la même avec l’âge. Il faut faire plus attention, consacrer plus de temps à la récupération. Ma carrière de recordman, si je peux dire, est quasiment finie. C’est aussi pour cela que je m’intéresse davantage aux 8000 m, même si mon but actuel n’est pas de tous les gravir.

Quels sont vos prochains projets?
Je pars en avril pour la vallée du Khumbu, au Népal, afin de faire quelques 6000 m. Ensuite, j’ai prévu de faire une nouvelle tentative à l’Everest.