Avec cet art de la présence

| mar, 15. oct. 2013
Lauréate de l’Anneau Hans-Reinhart, Yvette Théraulaz illumine les scènes de sa présence magnétique depuis plus de cinquante ans. Rencontre avec la comédienne et chanteuse, qui revendique ses racines fribourgeoises.

PAR ERIC BULLIARD


Un quartier populaire des hauts de Lausanne. Des enfants dans la cour voisine, un digicode. «Bonjour, entrez!» Yvette Théraulaz a beau se dire «un peu bousculée», elle garde le sourire chaleureux. La veille au soir, elle recevait l’Anneau Hans-Reinhart, la plus haute distinction du théâtre en Suisse. Des bouquets de fleurs en témoignent, dans son modeste deux-pièces.
Depuis quelques jours, elle est partout, dans les journaux, en livre, à la télé, à la radio. «Je ne pourrais pas avoir meilleure couverture médiatique.» Pas de fausse modestie, mais, peut-être, un voile de lassitude. Ce sentiment que l’essentiel reste ailleurs: la comédienne est surtout à nouveau sur scène, là où tout se passe, où tout se vit. Son tour de chant (Les années), tout juste créé à Vidy, part en tournée. Ce jeudi, il fera escale à Nuithonie. Au printemps, ce sera L’Arbanel à Treyvaux, puis La Gare aux sorcières, à Moléson. Une forme de retour aux sources.
Yvette Théraulaz le revendique: née à Lausanne en 1947, elle demeure fribourgeoise. Gruérienne, même. «Je n’ai jamais vécu en Gruyère, mais mon père vient de La Roche.» Enfant, elle passe ses vacances à Chénens, dans la ferme de ses grands-parents. Anecdote? Pas seulement: «Ma mère m’a appris toutes les chansons fribourgeoises.» Ses premiers pas musicaux.


Débuts avec Benno Besson
A part ce répertoire populaire, sa famille, modeste, n’est guère versée dans les arts. Foin des clichés: les parents de la jeune Yvette Théraulaz se montrent néanmoins compréhensifs face à ses envies de théâtre. «J’ai commencé très tôt: à 16 ans, je suis partie à Paris. Peut-être que si j’avais été un garçon, mes parents m’auraient dit qu’il me fallait un métier sérieux… Ma sœur a fait des études, elle est devenue prof de français: ça contrebalançait.»
Appelons ça la vocation: à l’adolescence, le théâtre et la scène apparaissent comme une évidence. «Je joue depuis cinquante-deux ans. Je n’ai jamais rien fait d’autre…» Un temps. Un de ses silences qui ponctuent sa conversation. «Très jeune, je voulais être sainte…» Coïncidence? Sa première pièce, à 14 ans, s’appelle Sainte Jeanne des Abattoirs, de Brecht, dans une mise en scène de Benno Besson. Il y a pire comme début… «Je voulais aussi aller en Afrique, pour aider. Finalement, pour me consoler, je me suis dit que la scène est aussi un lieu de partage, de don de soi.»


Des choses à dire
Dans le rétroviseur, elle compte aujourd’hui plus de cent pièces et une dizaine de tours de chant. Son parcours embrasse un demi-siècle de création théâtrale en Suisse, avec, notamment, l’aventure du Théâtre populaire romand (TPR), qu’elle intègre au milieu des années 1960, aux côtés, entre autres, de Charles Joris et d’un autre Fribourgeois, Roger Jendly. L’époque est à la vie en communauté, aux discussions artistiques et idéologiques jusqu’au bout de la nuit.
A la fin des années 1970, Yvette Théraulaz ajoute la chanson à son répertoire, parce qu’elle a «envie de dire certaines choses. Je ne savais pas du tout ce que valaient mes chansons et tout s’est enchaîné très vite. Même si certains n’ont pas du tout aimé.» Dans l’excellent livre qu’elle vient de lui consacrer*, Florence Hügi raconte qu’en 1982 Yvette Théraulaz partage l’affiche du Printemps de Bourges avec Léo Ferré et The Cure. Gros succès. Le directeur du festival lui propose de chanter à L’Olympia. Elle refuse.


Le féminisme, cette évidence
«J’avais rencontré des gens de théâtre qui m’intéressaient ici, explique-t-elle, et je n’avais pas envie d’aller dans le show-biz. Le théâtre et la chanson sont ma vie, mais je tenais à rester une artisane. En Suisse, il n’y a pas de vedettariat et c’est très bien ainsi.»
Parce que le théâtre et peut-être plus encore la chanson ont aussi été des lieux de combat, on évoque un de ceux qui lui tiennent à cœur, le féminisme. Le mot a aujourd’hui mauvaise presse, mais elle ne le renie pas, même si elle refuse tout dogmatisme.
«Le féminisme est un humanisme, lâche-t-elle. Ça ne m’intéresse pas de ressembler aux hommes, mais je ne comprends pas comment on peut ne pas être féministe, alors que les femmes n’ont toujours pas toute leur place dans la société.» Au passage, elle souligne qu’«on vient de loin, en Suisse», en rappelant l’époque «indigne» et pas si lointaine où elle n’avait pas le droit de vote, alors qu’elle travaillait au TPR.


Continuer à apprendre
Dans son étroite cuisine, Yvette Théraulaz parle du temps qui passe, de ces actrices de cinéma qui «se font toutes retoucher. Pourquoi un visage qui vieillit ne serait-il pas beau?» De son côté, les années et la reconnaissance ne l’empêchent pas de continuer à chercher, à fouiller son art, à avancer. «Je suis toujours en train d’apprendre. Je me sens encore dans la position de l’élève.»
C’est l’occasion d’aborder le sujet de la relève, de ce jeune théâtre romand qui l’enthousiasme: «Il y a, en ce moment, des comédiens et des metteurs en scène absolument magnifiques.» De quoi transmettre non pas un témoin, mais une flamme. Celle d’un théâtre intelligent, qui produit du sens sans ennuyer pour autant. «Divertir est important. Mais si quelques personnes peuvent sortir de la salle avec une soif de changements, d’idées nouvelles…»


Villars-sur-Glâne, Nuithonie, jeudi 17 octobre, 20 h. www.equilibre-nuithonie.ch
*Florence Hügi, Histoire d’elle, Editions de L’Aire

 

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L’éternelle gourmandise
Elle aurait tant d’histoires à raconter. On imaginait Yvette Théraulaz intarissable, on la découvre pudique, discrète. Silences et mots pesés, précis. Affleurent des souvenirs, quand même, des rencontres avec les metteurs en scène André Steiger, Joël Jouanneau, Philippe Morand, Martine Paschoud, Anne Bisang… «Plus que le rôle, ce qui m’importe, c’est de savoir avec qui et comment je vais jouer. Si le rôle est mal mis en scène, à quoi bon?»
Elle en a toutefois joué, des personnages importants. Nora dans La maison de poupée, d’Ibsen, Lioubov dans La cerisaie, de Tchekhov, un de ses auteurs fétiches. Elle cite aussi Penthésilée de Kleist,  Doux oiseau de jeunesse, de Tennessee Williams, Emilie ne sera plus jamais cueillie par l’anémone, une merveille signée Michel Garneau, montée en 1989 et reprise dix ans plus tard. Elle interprétait Emily Dickinson, alors que Véronique Mermoud jouait la sœur de la poétesse.  «Dans un théâtre contemporain extrêmement noir, tout à coup, il y avait cette pièce lumineuse. Je l’ai beaucoup aimée: en la jouant, j’étais apaisée.»


Ce phrasé si personnel
De ses souvenirs, Yvette Théraulaz extrait aussi Jenny-tout-court, de Michel Beretti, monté au TPR. Peu de théâtre classique, en revanche, et encore moins de cinéma. «Je crois que je suis une comédienne trop théâtrale…» Point commun de ces pièces: une exigence qui ne se confond pas avec l’hermétisme et un amour des mots. Il faut la voir, sur scène, s’emparer d’un texte, l’habiter de son phrasé si personnel, de sa présence magnétique.
Yvette Théraulaz a embrassé tous ces rôles avec la même gourmandise. «J’essaie de trouver dans chacun la part de force, de lumière.»  Au printemps, elle jouera Oh les beaux jours, de Beckett, dans une mise en scène d’Anne Bisang. Pour la suite, elle rêve d’un spectacle autour d’Aloïse Corbaz (1886-1964), auteure d’art brut. «Cette femme me plaît depuis longtemps.» EB

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