La forge de La Tzintre, un atelier à l’épreuve du temps

| mar, 09. juin. 2015

Témoin du passé rural de la vallée de la Jogne, la forge de La Tzintre intéresse les acteurs touristiques régionaux et les associations professionnelles du métal.

PAR SOPHIE MURITH

La forge a été préservée telle qu’elle était dans les années 1930. Frédy Roos, fils du dernier forgeron et conservateur dans l’âme, fait le tour du propriétaire.

Passé le pas de la porte, 2015 part en fumée. Retour dans les années 1930, la forge de La Tzintre a conservé son aspect d’alors. L’expérience est d’abord olfactive. Effluves de vieille graisse, de suie, de corne brûlée, de feu et de poussière s’entremêlent dans cet espace de 48 m2, noir comme le charbon de houille qui y est consumé. Héphaïstos lui-même ne renierait pas ce foyer.
Si rien ne semble avoir bougé, la nostalgie, elle, fuit les lieux. Frédy Roos, héritier d’une lignée de forgerons maréchaux-ferrants, contribue à le faire vivre. Retraité de l’ingénierie électrique, il avait promis à son père Athanase de ne jamais laisser le feu de la forge s’éteindre.
«Mon père a travaillé ici jusqu’à ce que les forces lui manquent, jusqu’en 1998.» Il avait 80 ans. «Par amour et par reconnaissance pour lui, je tiens à la maintenir telle quelle.»


Prête à l’emploi
«Toutes les machines fonctionnent encore. Un forgeron pourrait arriver demain et y travailler à nouveau.» Frédy Roos les entretient et les utilise encore pour de menus travaux personnels ou pour rendre service. Ce métier, il l’a dans les doigts. A la sortie de l’école – tant pis pour les parties de foot – et durant tous ses congés, il a appris à dompter le fer.
Il sait travailler la matière devant le feu et l’enclume, le marteau et les pinces en main, comme en prolongement du bras: «Pour être précis, l’outil doit être adapté à chaque ouvrage.» Rendre le fer malléable exige de le chauffer à des températures situées entre 800 et 1000 degrés. Immédiatement trempé dans l’eau, l’objet devient plus solide.
Frédy Roos est intarissable lorsqu’il s’agit d’expliquer le fonctionnement des machines venues, au fil du siècle passé, prêter main-forte au forgeron.
L’estampeuse permettait, par exemple, au fer plat de devenir rond en deux passages, calibré en neuf diamètres possibles. Presque une révolution, d’autant qu’elle cisaille et poinçonne de même.
Un unique moteur, datant de 1925, entraîne la fileteuse, la scie à métaux mécanique, fabriquée au Technicum, la meule émeri et le marteau-pilon pneumatique. Une fois la machinerie en marche, le silence cède le pas au chuintement des courroies de cuir de l’arbre de transmission qui fendent l’air.
La cintreuse et la machine à refouler, plus anciennes et manuelles, dormaient dans la grange depuis cinquante ans quand Frédy Roos a remis la main dessus. «La machine à refouler permet de diminuer la circonférence des cercles de roue de char.» Ces derniers s’élargissaient à l’usage. «A l’époque, la soudure électrique n’était pas connue. Rapondre un cercle de char demandait une heure de travail. Cette machine pouvait enlever le surplus de matière et raccourcir le cercle sans le couper.»
Outre la consolidation des roues et le ferrage des bêtes de trait, le maréchal confectionnait les outils nécessaires au bûcheron et au paysan: hache, cherpies, couteaux à bardeau, enclume pour faux, gouges à creuser chenaux et bassins.
Mais aussi au citadin: «Les chaînes qui délimitent les squares de la ville de Genève proviennent en grande partie de la forge de mon père. Tous les maillons ont été soudés au feu», explique Frédy Roos, incapable cependant de savoir comment le mandat a bien pu lui revenir.


Un centre commercial
Témoin du développement rural de la vallée de la Jogne, la forge faisait partie intégrante du pôle commercial de La Tzintre. Dans le hameau, la boulangerie, l’Auberge des XIX cantons, disparues aujourd’hui, et la cave faisaient partie d’un circuit très fréquenté par les armaillis. Les mules à la forge dès le petit matin, les fromages à la cave, du pain à la boulangerie et du réconfort à l’auberge. «Souvent, à 16 h, les animaux étaient encore devant la forge.»
Les clients de la vallée étaient avant tout des amis. Les paquets de cigarettes et de cigares d’alors, encore posés sur le rebord de la fenêtre, allèguent du souci du confort de chacun, de l’envie du moment de convivialité. «Ils venaient payer le dimanche après la messe, se souvient Frédy Roos. Et ils ne repartaient qu’après le repas.»


Peut-être ouverte au public
Cette forge-musée, la seule aussi bien conservée de la région, a suscité l’intérêt des acteurs touristiques régionaux et des associations professionnelles du canton de Fribourg, actives dans les métiers du métal. Elle lui reconnaissent de l’importance dans le maintien du savoir-faire traditionnel.
Une réunion aura lieu la semaine prochaine dans le but, à terme, de mettre sur pied des démonstrations pour les touristes, mais aussi pour les jeunes en formation. De quoi perpétuer durablement l’œuvre d’Athanase, le forgeron de La Tzintre.

Commentaires

Félicitations et reconnaissance pour l'engagement à maintenir ces témoins de l'activité économique du passé, pourtant pas si lointain. Merci à Frédy et à Mme Murith pour ce bel article. Cordialement.

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