Dans les éboulis, à la recherche du «Papaver occidentale»

| mar, 26. jui. 2016

Le "Papaver occidentale" ou pavot des Alpes occidentales est une plante vulnérable. La Suisse et surtout le canton de Fribourg
– qui abrite la plupart des stations de cette espèce – ont une responsabilité importante pour sa sauvegarde. Collaborateur du Jardin botanique de Fribourg, le Vuadensois Benoît Clément la traque dans son milieu naturel.

Par Sophie Roulin

Sa fleur est délicate comme du papier de soie blanc, juste chiffonné ce qu’il faut. A ses pieds, le feuillage en rosettes d’un vert soutenu contraste avec l’environnement: autour tout n’est que grisaille et cailloux. C’est que le pavot occidental (Papaver occidentale) pousse uniquement dans des éboulis calcaires inaccessibles, dans les Préalpes fribourgeoises essentiellement. «Pour pouvoir le protéger, il faut savoir où il se trouve», commente Benoît Clément.

Collaborateur du Jardin botanique de Fribourg, le Vuadensois est en mode prospection en cette belle journée estivale. Il a prévu de crapahuter dans les pierriers qui se succèdent au pied de la face nord des Gastlosen. Une promenade de santé pour cet amateur de trails, une expédition pour des randonneurs moins aguerris.
 

Dix jours de terrain
Cet inventaire a débuté en 2012, dans le cadre d’un plan d’action intercantonal. «J’ai commencé par prospecter les stations mentionnées dans la littérature ancienne et dans les inventaires du début du XXe siècle et des années 1960», explique Benoît Clément. Certains groupements de Papaver occidentale ont ainsi pu être retrouvés et de nouvelles stations ont pu être découvertes. C’est le cas de celle visitée ce jour-là, identifiée en 2012.

Bon an mal an, le Gruérien passe une dizaine de jours à arpenter les Préalpes à la recherche de plantes particulières. «Tous les deux ans, le Jardin fait un catalogue de graines qui permet de pratiquer des échanges avec les autres jardins botaniques du monde. Je sors alors sur le terrain avec un autre objectif que la simple prospection.»

Il lui arrive aussi d’aller chercher des graines ou des plantes pour les cultiver ex situ – hors du milieu naturel – au Jardin botanique. «Cela nous a permis, par exemple, de renforcer la population de nénuphars nains du lac des Joncs.» Une telle opération est-elle envisagée pour le pavot occidental? «Non, actuellement, les populations découvertes ne subissent pas de menace immédiate», répond le jardinier.

La pression humaine est en effet faible sur leur habitat, comme le souligne le plan d’action intercantonal, qui ne prévoit pas pour l’heure de mesures de gestion. «Si on envisageait une multiplication ex situ, il faudrait le faire de manière distincte pour chaque station étant donné qu’aucune étude génétique n’a encore été menée.» Mais là n’est pas le travail du jardinier.
 

Treize ans à Genève
Depuis quinze ans, son quotidien à lui, c’est de veiller sur le secteur alpin et sur celui des plantes menacées, dans le Jardin botanique de Fribourg. Natif du Mouret, il avait déjà réalisé son apprentissage d’horticulteur paysagiste dans cette institution. «J’aimais bien les plantes, mais j’aimais surtout être dehors.» Il travaille ensuite comme paysagiste dans le privé, avant de répondre à une annonce qui lui ouvre les portes du Jardin botanique de Genève. «Pendant treize ans, je me suis occupé de l’Alpinum. On faisait déjà des multiplications et des travaux de réintroduction pour la sauvegarde.»

Le jardin du bout du lac avait des moyens que n’a pas forcément celui de Fribourg. «Mais ma femme est de Vuadens et elle s’ennuyait de ne pas voir le Moléson», rigole Benoît Clément. Quand l’occasion se présente, la famille revient en Gruyère. Et le jardinier retrouve son terrain de prédilection: les Préalpes.

Dans la montée vers le pierrier, on s’étonne de ne pas le voir s’arrêter plus souvent pour admirer les innombrables fleurs qui colorent les pâturages. «Quand je fais de la prospection pour une plante spécifique, je ne m’arrête pas dans la forêt ou les marais. Sinon, je n’avance pas.» Mais il assure que parfois il prend le temps de regarder les plantes et même de communiquer certaines observations via le site infoflora.ch, site interactif sur lequel les usagers peuvent prendre part aux inventaires en cours.
 

En cuissettes et baskets
Reste que, sur les sentiers préalpins, Benoît Clément est souvent pressé. La date du prochain trail n’est jamais bien loin dans l’agenda et les balades sont généralement des entraînements. Sûr que le Jardin botanique a trouvé en lui un collaborateur qui ne perd pas de temps. Ce matin-là, on s’est d’ailleurs demandé si on arriverait à suivre ce jardinier à l’équipement minimaliste.

Il a attendu de nous laisser au coin d’un sentier pour quitter son survêtement et partir à la course en cuissettes et bas-kets, avec sur le dos un sac qui pouvait contenir tout au plus deux abricots et un demi-litre d’eau.

Au programme: la visite d’autres pierriers jusqu’au bout de la chaîne des Gastlosen à la recherche du fameux Papaver occidentale. Le sportif pensait ensuite boucler le tour des Gastlosen pour revenir à son scooter parqué au Petit- Mont…

 

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Une plante hautement spécialisée

Le pavot des Alpes occidentales (Papaver occidentale) est une plante hautement spécialisée qui ne se rencontre que dans quelques éboulis calcaires de l’étage alpin. Son aire de répartition s’étend du Dauphiné aux Alpes bernoises. En Suisse, on le retrouve essentiellement dans les cantons de Fribourg et de Vaud. Il partage avec les espèces du complexe Papaver alpinum la forme générale d’un petit pavot à feuillage en rosette et à tiges uniflores, munies de poils blancs, alors que le calice porte des poils bruns. La description scientifique précise encore que ce pavot dégage une odeur caractéristique de girofle.

«On les retrouve toujours dans des orientations nord-nord-ouest, précise Benoît Clément. Ils s’installent dans des éboulis qui ne sont pas stabilisés. On peut donc en déduire qu’ils possèdent un système racinaire profond qui leur permet de résister aux mouvements de l’éboulis.» Le pavot occidental est une plante vivace à vie courte.

«Il existe trois pavots vivaces dans les Alpes suisses: un jaune et deux blancs. Ils se sont distingués les uns des autres au moment des glaciations, probablement à cause de l’isolement des populations.» Peu menacé par les activités humaines sur son habitat, le pavot pourrait être mis à mal par le réchauffement du climat. La petite taille de ses populations et leur faible nombre font que, malgré l’absence de menace directe sur ses biotopes, le pavot occidental figure sur la liste des espèces à traiter en priorité.

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