PAR KARINE ALLEMANN
La course à pied n’est pas le sport le plus doux qui soit pour l’organisme. Et pourtant, ils seront nombreux, les sexagénaires et plus, à prendre le départ de Morat demain. Comme lors de toutes les courses populaires, d’ailleurs. Certains visent encore des temps canon – moins d’une heure dix à 60 ans, quelle santé! – d’autres veulent juste repousser la limite du temps qui passe. Rencontre avec quatre fringants seniors. Quatre histoires différentes avec un même point de départ: le plaisir de se faire du bien.
La 30e avec le petit-fils - Jean-Marc Perroud, Marsens, 75 ans
Jean-Marc Perroud a 46 ans quand, avec des collègues, ils se tapent dans la main pour un même défi: s’inscrire à Morat-Fribourg. C’était il y a trois décennies. Dimanche, à 75 ans, l’ancien infirmier en psychiatrie prendra son 30e départ d’affilée. «Comme je n’avais jamais fait tellement de sport jusque-là, les premiers entraînements ont été très difficiles. Après vingt minutes, j’avais bien mal aux jambes et des courbatures sur l’avant du pied. Un copain m’a dit: “C’est le métier qui rentre!”»
Depuis, le Marsensois s’entraîne deux fois deux heures dans la semaine, et quatre heures le samedi matin. De 50 à 54 ans, il a même participé cinq fois aux 100 km de Bienne. «Ça demande énormément d’entraînement. A un certain moment, on ne peut plus bricoler. Alors j’ai arrêté.»
Que lui apporte la course à pied? «Un bien-être fou! Avant, j’étais vraiment sujet aux maux de tête. Depuis que je cours, je ne sais plus ce que c’est que d’avoir la migraine. Et puis, j’étais souvent tendu au travail. Courir permet d’oublier.»
Comment son corps de 75 ans supporte-t-il les entraînements? «Plutôt bien! Je sens avec les années que le souffle est plus difficile. Et ça m’arrive de souffrir un peu de la hanche. Sinon, je récupère très bien. Tant que j’aurai la force de participer à Morat-Fribourg, j’y serai!» Particularité attachante des grandes courses populaires comme celle-ci, elles se disputent aussi en famille. Dimanche, son petit-fils Edouard sera de la partie.
Une envie née au Brésil - Heidi Fuhrer, Bulle, 64 ans
«J’ai vécu vingt ans à l’étranger, notamment au Brésil. Pour des questions de sécurité, je ne pouvais pas aller courir en nature. C’est une envie qui a grandi en moi toutes ces années.» A son retour en Suisse, en 1992, Heidi Fuhrer peut enfin parcourir la région baskets aux pieds. Elle a 44 ans. «J’y trouve mon compte au niveau de l’équilibre psychique, pour me ressourcer. J’aime aller en montagne. Mais, pour ménager mes articulations, j’évite les descentes. J’aime bien monter à Plan-Francey et redescendre avec le funiculaire.»
Retraitée depuis deux ans, la comptable bulloise a modifié ses habitudes avec les années. «Avant, je courais plus et plus souvent. Maintenant, je me ménage. J’ai gardé trois entraînements par semaine, mais une fois il s’agit de spinning. Je me suis acheté un vélo d’appartement et cela me permet de faire du cardio à un rythme assez poussé. Et puis, je fais de la gym pour le renforcement musculaire. Mais je fais tout cela pour moi, je n’ai pas d’objectif de chrono. Toutefois, je participe à deux ou trois courses dans l’année pour rester motiver et ne pas négliger les entraînements. Depuis une année, j’en avais marre de courir seule. Alors je me suis inscrite à un groupe avec le SA Bulle.»
Trois fois le tour de la Terre - Bernard Terreaux, Vuisternens-en-Ogoz, 60 ans
Bernard Terreaux n’entre pas vraiment dans la catégorie des coureurs populaires. A 60 ans, le sociétaire du CA Farvagny-Gibloux vise moins d’une heure dix dimanche. En vétérans, il a déjà remporté l’Escalade à Genève, bien quelques Corridas bulloises et plusieurs Morat-Fribourg. Et ce, malgré deux opérations pour une hernie discale en 2002 et en 2003. Comment explique-t-il une telle régularité?
«Je viens de la piste. Depuis l’âge de 11 ou 12 ans, j’ai fait l’école de course et énormément de meetings. Alors, j’ai appris à courir et j’amortis mieux les chocs. Au club, je vois que ceux qui arrivent à 40 ans après avoir joué au foot toute leur vie sont assez fragiles. Leur musculature n’est pas adaptée.»
L’homme est aussi d’une régularité sans faille: 60 km par semaine. «A une époque, ce manque de kilométrage m’a empêché de passer en dessous de l’heure à Morat-Fribourg. Il m’a manqué 40 secondes. Mais tant pis.» Evolution due à l’âge: finies les séries sur 500 ou 1000 m. «Elles me créaient des microdéchirures musculaires. Sinon, j’ai la chance de n’avoir aucun problème d’articulation.»
Le Giblousien a quitté la piste de ses débuts pour les routes des semi-marathons vers 35 ans. A 50 ans, il sautait le pas des marathons. Son meilleur résultat, 2 h 49 à Zurich, en 2005. «Longtemps, je n’ai pas vu tellement d’évolution dans les chronos. C’est à 49 ans que j’ai réalisé mon deuxième meilleur temps sur 10000 m (32’51)! Puis, à 58 ans, j’ai perdu un peu d’intensité.»
Bernard Terreaux prendra dimanche le départ de son 37e Morat-Fribourg. «Je me suis amusé à calculer que, depuis que je cours, j’ai parcouru 120000 km (rires).» Trois fois le tour de la Terre, donc.
Félix, ce gamin qui court - Félix Robadey, Epagny, 68 ans
Félix Robadey aime bricoler de vieilles bagnoles, gagner la partie de scrabble du soir contre son épouse et, tous les matins, partir courir. Parce que le retraité d’Epagny court beaucoup. A son palmarès: 42 éditions des 100 km de Bienne (dont le dernier en juin avec un temps de 13 h 27), autant de Morat-Fribourg et un ou deux marathons par année depuis vingt ans. A 68 ans, il s’entraîne six jours par semaine. «Chaque décennie, j’ai ajouté un sport, sourit l’ancien enseignant à l’école professionnelle. Jusqu’à 30 ans c’était la course à pied. Jusqu’à 40 ans, la haute montagne et jusqu’à 50 ans le ski-alpinisme.» Le demi-siècle est un tournant pour le Gruérien, qui se met au… triathlon! «Car, si on ne fait que de la course à pied, ce sont toujours les mêmes muscles qui travaillent.»
Quelle est sa motivation? «Le sport est quelque chose de très égoïste. Si je le fais, c’est pour moi, pour mon bien-être. Mais ce que j’aime, c’est que si la course à pied est un sport individuel, aucun autre ne permet de se retrouver à 41000 pour le départ d’un marathon, comme à Berlin. Sans se connaître, on est solidaires par les regards échangés.»
Pour Félix Robadey, le chrono n’est pas un paramètre important. «Bien sûr que j’ai envie de faire un temps convenable. Mais j’ai des copains qui ont arrêté la course à pied parce que leurs performances diminuaient. Je n’ai jamais été dans cet état d’esprit. Bon, peut-être que j’ai la chance de n’avoir jamais été bon (rires)!»
Comment, à 68 ans, sort-on d’une course comme les 100 km de Bienne? «Franchement, très bien! Je crois que mon corps s’est habitué et, encore une fois, j’y vais à mon rythme. Avec les années, j’ai réduit les distances parcourues à l’entraînement. Je me contente de 20 km. Et puis, le matériel s’est nettement amélioré. Après mes premiers 100 km, je terminais les pieds en sang.»
Une santé de fer qui le pousse à en faire un peu trop parfois – enchaîner les 100 km de Bienne avec Neirivue-Le Moléson la semaine suivante, puis une course le lendemain – et lui vaut de se faire vilipender par son épouse Marie-Rose. Mais Félix Robadey a une explication toute simple: «Dès qu’un gamin apprend à marcher, qu’est-ce qu’il fait? Il court! De ce côté-là, j’ai dû rester un gamin!»
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Comme une voiture de course
On dit qu’il y a un âge pour tout. Peut-on continuer de pratiquer la course à pied à tout âge? «Oui parfaitement! répond le médecin du sport Grégoire Schrago, qui sera dans l’ambulance d’urgence entre Morat et Fribourg dimanche. Mais pour ce spécialiste de l’endurance et de l’intervention médicale sur les manifestations sportives, trois règles sont à respecter.
1. Savoir d’où l’on vient et qui l’on est.
«Si, dans la famille, il y a des problèmes cardiaques, d’hypertension ou de diabète, il faut se faire contrôler régulièrement. De plus, souvent, on décide de se mettre à la course à pied et d’avoir une bonne hygiène de vie quand arrive la quarantaine. Mais il ne faut pas oublier que si le parcours de vie n’a pas toujours été très sain, ce conseil reste valable après s’être mis au sport.» Parce que le corps se souvient de ce qu’on lui a fait subir. Sinon, des contrôles tous les cinq ans suffisent. «Reste qu’en cas de doute mieux vaut passer par des dépistages et des contrôles cardiologiques réguliers.»
Une course comme Morat-Fribourg se prépare sur le long terme. «La dernière semaine est faite pour se reposer. L’autre jour, des vétérans voulaient aller courir 25 km quelques jours avant le départ! C’est insensé.»
2. Une approche biomécanique du matériel.
«Il est possible, chez Castella à Bulle ou chez le coureur David Girardet, à Belfaux, de se procurer des chaussures adaptées et personnalisées. C’est très important. J’ai parlé avec une dame qui s’est mise à la course à pied. Elle s’est acheté de très jolis habits pour courir, mais elle a choisi des chaussures bon marché. Mieux vaut faire l’inverse.»
3. Bouger de manière adaptée.
«La manière de bouger est importante. La course à pied n’est pas innée. Elle s’apprend, comme les autres sports. Alors, peu importe l’âge, il faut commencer par l’école de course. Ensuite, n’importe qui peut se faire filmer par un ami ou sa compagne. La vidéo s’utilise beaucoup chez les pros, mais elle est utile chez les amateurs aussi. Parfois, on peut être très surpris de se voir courir…»
Et Grégoire Schrago de résumer: «Il ne viendrait à l’idée de personne de s’élancer pour les 24 Heures du Mans avec une voiture qui n’est pas passée par tous les contrôles techniques. Il faut réfléchir exactement pareil avec son propre corps.» KA
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