Jean-Marie Grillon, berger, pianiste et amoureux de l’Inde

| sam, 06. oct. 2012
Ce samedi matin, Jean-Marie Grillon participe à la Désalpe d’Albeuve… avec ses deux pianos. Agé de 51 ans, il a tenu cet été une buvette d’alpage au-dessus des Mosses. A la fin du mois, il roulera jusqu’en Inde pour y bâtir une école.

PAR CHRISTOPHE DUTOIT


Grillon, c’est son vrai nom. Jean-Marie pour les intimes, Grillon pour les autres. Sur le sentier pédestre du Pic-Chaussy, vous ne pouvez pas le rater. Il porte la barbe altière, le cheveu savamment hirsute et une lampe frontale sur son bandana. Depuis la fin mai, il a tenu la buvette des Petits-Lacs, perchée à 1920 mètres d’altitude au-dessus des Mosses. Et ce samedi matin, il participe à la Désalpe d’Albeuve. Non pas pour «défiler» avec des bêtes – il déteste ce terme – mais pour faire la fête avec ses mulets, ses compères et ses deux pianos…
Eh oui! Grillon est de ceux qui se disent un beau matin: «Je ne peux pas amener mon piano par la route. OK, on va l’héliporter!» Ce qui fut fait ce printemps… «Ça fait passer les soirées à l’alpage», s’excuse-t-il presque.
Presque. Car le Jurassien de 51 ans n’est pas né de la dernière pluie. En 1995 déjà, il avait monté son vieux Blüthner Leipzig au Paccot-Dessus, sa première estive sur les flancs de la Dent-de-Lys. Déjà, il jouait des airs de jazz pour le bonheur des génisses sur lesquelles il veillait.


«Je ne suis pas pianiste»
«J’ai vécu quinze ans de la musique», avoue-t-il sans qu’on le torture. Dans des orchestres de bal, en tournée, avec des chanteuses. Un jour, il s’est décidé à prendre des cours. «Quelques jours plus tard, je me suis retrouvé à en donner…» Mais il tempère: «Surtout, ne dis pas que je suis pianiste! La musique, c’est mon drame. Quand je serai à l’AVS, j’apprendrai à la lire.»
En attendant, Grillon est l’invité de la Désalpe d’Albeuve. «On fait un char avec les mulets de Souris (Pierrot Grandjean), qui m’amènent le matériel au chalet.» L’ambiance promet d’être chaude…
Sous ses airs de baba soixante-huitard, Jean-Marie Grillon cache un parcours des plus atypiques. Apprenti mécanicien sur machines agricoles, il a été ambulancier, patron de bistrot (il a tenu Le Chamois, à Vauderens), chauffeur poids lourds. «A l’internationale! A l’âge de vingt ans, j’avais signé pour le Yémen du Sud. Mais ma copine est tombée enceinte et j’ai assumé cette paternité.»
Entre les lignes, on lit également les coups durs et les cabosses d’une vie dans la marge. «Très jeune, j’ai été placé dans des pensions», lâche-t-il laconique. Peut-être ce parcours personnel l’a-t-il conduit à tendre à son tour la main à des âmes à la dérive. Depuis quel-ques années en effet, Grillon accueille des jeunes en rupture, d’abord au Roter Sattel, en dessus de Bellegarde, puis à la buvette des Petits-Lacs.


Accueil à l’alpage
«Je travaille avec des associations comme le Foyer des apprentis, à Fribourg, ou Caritas-Montagnard.» Il s’agit parfois de placements judiciaires ou alors d’initiatives purement privées. «J’ai accueilli un toxicomane qui était dans la rue à Lausanne. Il est resté cinq mois avec moi à l’alpage. Un bon gars. A la fin, je lui ai donné son salaire en lui disant: “Rentre maintenant chez tes parents!” Il aurait pu directement retourner à la Riponne… Il m’a appelé quelque temps après. Il avait décroché.»
Ces dernières semaines, le berger les a passées avec Quentin, qui purge à l’alpage ses trois mois de privation de liberté. «Là-haut, on est les deux dans la même barque. Il ne se lève pas, il ne veut rien foutre, il se rebelle. C’est un adolescent…» Oui, mais un adolescent qui a fait des bêtises et qui paie son dû. «Il y a toujours du positif chez les gens. Il faut le chercher et faire abstraction du reste.»
Maintenant que l’été est achevé, l’armailli prépare sa saison hivernale. «En 2009, je suis allé pour la première fois en Inde. Je pensais rester quatre jours à Bénarès. J’en suis reparti après quatre mois.»
Nombre de pèla gruériens ont vécu cette expérience avant lui. A la différence près que Grillon a monté en Inde une ONG et qu’il réalise chaque année un nouveau projet. «A la buvette, toutes les boissons sont à quatre francs. Avec les trois francs qui me restent, je vais construire cet hiver une école dans la région de Bénarès.» En plus du bénéfice dégagé au chalet, il peut compter sur l’appui de plusieurs entreprises de la région, qui le soutiennent anonymement.
Le 29 octobre, il partira ainsi pour rejoindre Bénarès par la route. «Je parcours 11200 kilomètres en une douzaine de jours, en passant par l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Turquie, l’Iran et le Pakistan.» Comme Nicolas Bouvier à l’époque de L’usage du monde, mais avec des attentes interminables aux frontières et des escortes militaires, comme ces deux Pakistanais, armés de Kalachnikov, qui l’ont accompagné à deux sur un vélomoteur… «Je fais la route en voiture, car je préfère traverser le cœur des hommes que le survoler», dit-il simplement.


Des jumeaux en novembre
Sur place, Grillon rejoindra sa future femme, qui attend des jumeaux pour le mois de novembre. «C’est une nana extraordinaire. On se téléphone tous les jours…» Il retrouvera également le père Francis, «un vrai humaniste. Chez lui, il y a un mur sur lequel il note tous les projets à faire. Quand je vais chez lui, j’en prends un et je le fais.»
Dernière anecdote: sur une autoroute indienne, Grillon se fait arrêter à un péage. «D’où viens-tu?» Fatigué par la route, il répond en guise de boutade: «De la planète Mars!» Après quelques secondes, le gars lui dit: «OK, tu peux passer…»
Peut-être a-t-il pensé que Grillon avait la tête dans les étoiles. Mais il ne savait sans doute pas que ce type-là a bel et bien les pieds sur terre…

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses