PAR SOPHIE MURITH
Bulle, un eldorado. Avec sa concentration de constructeurs métalliques unique en Suisse et en période de crise et de rigueur européenne, le chef-lieu gruérien attise les convoitises d’entreprises européennes, notamment dans le secteur du verre.
Du côté des fournisseurs locaux, le phénomène est bien connu. «Mais il s’est amplifié», reconnaît la Gruérienne Chantal Robin, directrice administrative de Sofraver SA, à Rosé, et présidente du Groupement industriel fribourgeois. «Aujourd’hui, on se déplace d’Allemagne pour effectuer des travaux de menuiserie.»
Même son de cloche chez Glaströsch, numéro un du verre en Suisse. «Les sociétés espagnoles et portugaises doivent élargir leur marché, note François Robadey, directeur de Glaströsch à Bulle. Elles sont passées par la France, elles cherchent toujours plus loin et se rabattent sur notre région. Ce n’est pas facile de se battre contre toute l’Europe.»
L’un de leurs adversaires dans le partage du gâteau s’appelle Vicer, basée dans le district de Porto. La société portugaise, qui fabrique du verre depuis cinquante-deux ans, prospecte activement dans la région depuis plusieurs mois.
Frais de livraison élevés
Selon son représentant, Pedro Rocha, l’entreprise lusitanienne ne cherche pas à ratisser le marché. «Nous ne voulons pas faire de nombreux travaux, seulement des chantiers spéciaux.» Il assure que leur façon de faire est semblable, par la pensée et la qualité des produits, aux producteurs helvétiques. «Nous utilisons seulement des produits de qualité comme le silicone Sika et des machines suisses comme Bystronic par exemple», précise Pedro Rocha.
Est-ce vraiment intéressant financièrement de se déplacer si loin de son siège? «Les frais sont importants, reconnaît-il. Mais nous avons une bonne gestion logistique. Les délais de livraison sont courts parce que nous avons une grande réactivité pour la production.» L’entreprise peut compter sur une usine de 15000 m2 et plus d’une cinquantaine d’employés.
La livraison, le nerf de la guerre. Les producteurs suisses espèrent bien sortir leur épingle du jeu grâce à leur flexibilité, leur réseau et leur proximité et à la qualité du service. «Nous pouvons livrer sur demande, de façon échelonnée, directement sur le chantier», énumère François Robadey. «Être basé à 120 km de Genève, ou à 2000, cela n’est pas exactement pareil pour gérer les chantiers.»
Pour Chantal Robin, les prix bas sont un facteur important pour les clients. «Certains voient juste les chiffres. Mais, lorsqu’il y a de la casse, ils se tournent vers nous pour les dépanner.»
Automatiser ou délocaliser
La plupart du temps, les entreprises suisses du verre doivent s’aligner sur les prix. «Nous subissons une telle pression que sur certains projets nos prix sont inférieurs à ceux des Européens», déclare Chantal Robin. La seule solution: l’automatisation poussée au maximum pour réduire les coûts liés à la main-d’œuvre. «Depuis 2006, nous avons déboursé 40 millions de francs, explicite François Robadey. Nous nous battons, mais c’est hyperdur.»
Chantal Robin en vient même à prononcer le vilain mot de «délocalisation», sans pour autant l’envisager pour l’entreprise qui l’emploie. «Nous versons des salaires quatre fois plus élevés qu’au Portugal, dix fois plus que dans certains pays de l’Est. Il y a un problème clair de compétitivité. On ne court pas sur le même circuit.»
Le représentant de Vicer se défend de concurrence déloyale. «Ce n’est pas notre cas, parce que nous avons un niveau de travail spécialisé, nous faisons des chantiers complexes de haute qualité et cela a un prix», explique Pedro Rocha.
François Robadey, qui a déjà remporté un chantier à Genève contre cette entreprise concède: «Contre Vicer, nous avons une chance, mais contre les fenêtres PVC (voir ci-contre) déjà vitrées, nous ne pouvons rien faire.» Et d’ajouter: «Nous ne demandons pas de protectionnisme. Il faut simplement sensibiliser les gens. Quand les entreprises suisses n’auront plus de travail, cela va aussi coûter cher.»
Commentaires
Pedro Rocha (non vérifié)
ven, 26 avr. 2013
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