«Réveil», un conte choral et instrumental entre terre et ciel

| jeu, 02. mai. 2013
Le spectacle-création se présente comme un moment phare de la grande fête d’Estavannens. Découverte de l’œuvre en compagnie des auteurs.

PAR YANN GUERCHANIK


Au début du conte, l’hiver est peint dans des tonalités abstraites. C’est le temps du sommeil, du froid et de la glace. On remonte le fil du printemps «jusqu’au moment où les cloches ont enfin le droit de s’exprimer au cou des vaches». Jusqu’au jour de la poya. Ce voyage dans le temps et l’espace, c’est celui auquel est convié le public le 8 et le 10 mai à Estavannens. Réveil, conte musical pour un matin de mai est le spectacle-création qui s’annonce comme un moment phare de la Poya 2013.
Cent vingt choristes et dix-huit instrumentistes dirigés par Michel Corpataux, deux solistes (Marie-France Baechler et Michel Brodard) et un comédien (Vincent Rime) dans le rôle de Roger le lutin. Assimilable au bonnet rouge des légendes gruériennes, Roger est le pivot qui articule les douze pièces du spectacle.
«Espiègle et farfelu, il a tout compris de la nature et des hommes, explique l’auteur du texte, Pierre Savary. Il s’immisce dans les plis de la montagne, il en connaît les saisons, les secrets, les forces obscures.» Le poète bullois en parle comme on parle d’un compère. «Le personnage m’a accompagné tout au long de la création. Je l’ai vu évoluer et s’intéresser à des choses auxquelles je ne pensais pas qu’il prêterait attention.»
Plus secrètement, l’auteur rend hommage à un vieil ami qui a vécu sous le même prénom. Un homme qui avait pris l’habitude de se parler à lui-même pour mieux s’adresser aux autres. Pierre Savary, plume d’ange et patte de renard. Ce Roger s’avère la plus belle ruse de son texte. «Il me permet de conserver une certaine distance.»
Réveil se garde de faire discourir les hommes et préfère laisser l’armailli s’exprimer en chantant. Au premier plan, la nature et un lutin aussi vieux que les montagnes. Ensemble, ils ont vu passer l’aventure humaine, ils savent ses merveilles et ses laideurs. Ils peuvent la commenter à loisir en prenant de la hauteur.


Vrai et léger
Quand il parle de son texte, Pierre Savary dessine. D’abord, une ligne droite. C’est la ligne temporelle qui court du début à la fin de l’histoire. Dessus, une série de traits qui montent et qui descendent. Ce sont les monologues de Roger et les pièces chorales qui exposent des thématiques chères à l’auteur. Et voilà le dessin d’une chaîne de montagnes comme par enchantement. Pierre Savary a l’art de tout raconter comme si de rien n’était. Certains disent qu’il cache des lapins dans le creux de ses mains.
Journaliste à La Gruyère depuis trente-cinq ans, aujourd’hui à la mise en pages du journal, Pierre Savary a vécu les dernières fêtes de la Poya comme «observateur professionnel». Pour écrire ce spectacle, le comité d’organisation lui a laissé carte blanche, tout comme au compositeur Henri Baeriswyl.
«Je ne me suis pas posé de questions existentielles sur la Poya. Disons que je savais où je ne voulais pas aller, je ne voulais pas d’un spectacle purement lyrique qui chante la grandeur d’un lieu, je ne voulais pas entrer dans une vision de carte postale…» Le poète a pris garde à un seul piège, celui qui l’empêcherait d’exprimer la vérité qu’il possède en lui.
Loin des faux mythes qui pèsent comme des enclumes, l’auteur a laissé s’échapper, légers, les souvenirs d’enfance. Quand il menait les génisses de Charmey au Gros-Mont: «Il y a des odeurs, des sonorités… quand les cloches résonnent entre deux rochers, c’est quelque chose qu’on n’oublie pas.» Le poète a su s’appuyer sur l’épau-le d’une famille paysanne, ses vers tracent un sillon continu entre un vécu gruérien et un imaginaire lointain.


Entre allégorie et réalité
Allégorique, Réveil conte la relation de l’armailli et de la montagne (le duo entre le baryton et la mezzo-soprano). Les nuages évoquent l’ailleurs, la montagne comme lieu de passage. La fonte des neiges, avec cette eau qui alimente loin à la ronde, renforce l’idée d’un lien avec l’extérieur. Les monologues de Roger savent se montrer moins abstraits. Ils expriment, entre autres, une montagne qui bascule entre deux civilisations: de la civilisation du travail à la civilisation des loisirs.
«Il sera d’ailleurs intéressant de voir de quel côté penchera cette Poya», se demande Pierre Savary, le temps d’un sourire. Pour un peu, on jurerait avoir vu passer un bonnet rouge au-dessus de sa tête. Ultime coup de malice: le spectacle est en parfaite adéquation avec la fête d’Estavannens.
Réveil prend fin lorsque débute la poya. Il prépare le terrain pour l’événement qui va suivre. Un voyage de février à mai, de la fonte des neiges au jour de la montée à l’alpage. Juste avant le tintement des cloches, celles-là mêmes qui résonneront dimanche, le jour du grand cortège.

Réveil, conte musical pour un matin de mai, Estavannens, le 8 et le 10 mai, 21 h, prélocations sur www.ticketcorner.ch.
Voir www.poya2013.ch

 

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Une musique sans mode d’emploi
A Pierre Savary le soin de tisser l’histoire et les images poétiques, à Henri Baeriswyl celui d’apporter les couleurs musicales. Le compositeur fribourgeois a travaillé d’arrache-pied pendant dix mois. Dans ses mains, Réveil, conte musical pour un matin de mai prend la forme d’une imposante partition de direction de 218 pages. «Cela veut dire qu’il y en a eu davantage au stade du brouillon», s’amuse l’ancien enseignant au Conservatoire de Fribourg.
Cette musique, seuls les interprètes la connaissent à ce jour. L’auteur et le compositeur ont avancé ensemble. «De façon à obtenir un programme expressif, explique Henri Baeriswyl. Le musicien n’a pas besoin de savoir si l’auteur parle de la montagne, des nuages ou de l’armailli, mais il doit connaître le rythme du spectacle, le rythme de l’émotion. Sans émotion, il me serait impossible d’écrire une œuvre, d’autant plus qu’elle est destinée à tout le monde.»


Un langage direct
Voilà un point sur lequel insiste le compositeur: «Ce n’est pas de la musique pour un public en particulier, c’est de la musique tout court. Elle doit être de qualité, le fruit d’une recherche constante de la beauté.» Même lorsque le texte évoque la guerre qui retentit derrière les montagnes, «la quête du beau doit être présente. Les choses doivent être dites avec soin et élégance. Il faut que la musique soit digne, toujours!»
Pour Henri Baeriswyl, «c’est une façon de ne pas tomber dans l’anecdotique, de respecter les auditeurs, à commencer par les premiers d’entre eux, à savoir les in-terprètes». Le Fribourgeois parle souvent d’une musique sans mode d’emploi. «A mon avis, le langage doit être direct, c’est-à-dire compréhensible presque spontanément.» En cela, le compositeur est parfaitement servi par le texte de Pierre Savary qui déploie une savante spontanéité.
Il suffit d’aborder ce sujet pour qu’Henri Baeriswyl monte sur l’un de ses chevaux de bataille: «Si un texte n’est pas suffisamment poétique, je suis amené à décrire. Or, la musique est une langue à part entière qui n’est pas de l’ordre de la description. Avec la poésie, la musique partage la perception de l’intime. Elle est suffisamment diffuse pour toucher et émouvoir tout un chacun.»
Pour Réveil, Henri Baeriswyl a dû composer avec une acoustique particulière. Une cantine abritant entre 2000 et 3000 spectateurs possède une résonance faible. «Le son de chaque instrumentiste devrait être transporté de façon adéquate.» Un budget important a été dévolu à cet effet. Pour le reste, le compositeur s’est appliqué à exprimer sa personnalité musicale dans cet oratorio: «L’attachement à la mélodie, à une pulsation claire, à une prosodie soignée, à une harmonie directe et enrichie par des apports de l’histoire – Schubert, Beethoven, Brahms ou César Franck.» YG
 

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