Quinze ans après avoir assassiné une jeune Bulloise, C. D. fait de même avec une jeune Payernoise, Marie. Son corps a été retrouvé mecredi matin dans une forêt près de Châtonnaye. Pourquoi cet homme jugé dangereux était-il libre de ses mouvements?
par Jérôme Gachet et Sophie Roulin
«Il faudra expliquer au Conseil d'Etat comment il se fait qu’un prédateur sexuel soit dans la nature.» Cette phrase, lâchée hier matin par la conseillère d’Etat vaudoise Jacqueline de Quattro, trouve un écho particulier en Gruyère.
Le 14 janvier 1998, alors qu’il n’avait que 22 ans, le Tourain C. D. avait séquestré, violé et assassiné Pascale, une jeune Bulloise qui avait été sa petite amie, dans le chalet familial à La Lécherette, après lui avoir fait vivre l’enfer. Marie a été à son tour la victime de C. D. âgé aujourd’hui de 36 ans. Lundi vers 19 heures au golf de Payerne, il a contraint cette jeune femme de 19 ans, avec qui il entretenait une relation intime depuis peu de temps, à monter dans sa voiture. Son corps a été retrouvé sans vie mercredi vers 3 heures du matin dans la campagne glânoise.
La police ouvre le feu
Après son crime, C. D. a tenté de fuir. Repéré mardi vers 13 h 20 à la Montagne-de-Lussy par un hélicoptère, il a tenté de semer la police. Attendu par un barrage de la police fribourgeoise entre Vuisternens-devant-Romont et la croisée de Sâles, il a brûlé un feu rouge et forcé le passage, manquant de peu de faucher des ouvriers qui travaillaient au bord de la route. Face à son refus de s’arrêter, la police a ouvert le feu. S’en est suivi un accident spectaculaire – la voiture a glissé sur le toit sur près de 60 mètres – dont C. D. est sorti contusionné.
Après un bref passage à l’hôpital de Riaz, il a été questionné par les enquêteurs. Il a rapidement avoué avoir enlevé Marie et a indiqué où se trouvait son corps sans vie. Guidée par C. D., la police l’a finalement retrouvé dans une forêt située entre Châtonnaye et Villarimboud.
Selon la police vaudoise, le prévenu ne s’est en revanche pas étendu sur ce qu’il a fait subir à Marie après l’avoir enlevée. La police a pu exclure l’utilisation d’une arme blanche ou d’une arme à feu. On sait tout au plus qu’il l’a neutralisée avec du scotch lorsqu’elle se débattait. Hier, l’interrogatoire se poursuivait.
Indignation et colère
La nouvelle a créé un choc dans toute la Suisse romande et en particulier en Gruyère. Dans la rue ou sur les réseaux sociaux, les réactions ont fusé. En 2000, lors du procès, son jeune âge – il n’avait que 22 ans – avait valu à C. D. d’échapper à la réclusion à vie. Aujourd’hui, c’est l’indignation et la colère face à cet homme qui a bénéficié d’une seconde chance, mais aussi de l’incompréhension face aux décisions de la justice.
En août 2012, après s’être vu refuser à deux reprises la liberté conditionnelle, il était au bénéfice d’arrêts domiciliaires. En clair, il pouvait travailler, sortir, mais devait être rentré chez lui, à Payerne, à une heure donnée. S’il ne respectait pas le timing, le bracelet électronique qu’il devait porter déclenchait l’alarme. Il était le seul criminel de ce type dans le canton de Vaud a en être porteur.
Là où le bât blesse, c’est qu’en novembre l’Office vaudois d’exécution des peines a renvoyé C. D. en prison en raison d’un comportement inadéquat: ce dernier tenait des propos à connotation sexuelle sur un blog à l’encontre de son ex-épouse – il l’avait mariée en prison – et proféré des menaces de mort contre autrui.
C.D. avait fait recours et le 14 janvier 2013, dans le doute, le juge d’application restituait l’effet suspensif: le Tourain pouvait quitter la prison et se retrouver en arrêts domiciliaires en attendant le verdict sur son risque de récidive.
«Une décision inadéquate»
«Au vu de ce qui s’est passé cette semaine, il s’agissait d’une décision non adéquate», affirme devant la presse Jean-François Meylan, le président du Tribunal cantonal vaudois. Accompagné hier après-midi de la conseillère d’Etat Béatrice Mettraux, il a annoncé l’ouverture d’une enquête administrative pour connaître le bien-fondé de cette décision au moment où elle a été prise. Un expert extérieur sera mandaté à cet effet. Ses conclusions sont attendues avant cet été.
Sa personnalité avait attiré l’attention
«J’ai été glacé d’apprendre les faits.» Quatorze ans ont passé. Pourtant, Bruno Charrière, avocat de la famille de la première victime de C. D., n’a pas oublié le procès de 2000. «Au-delà de l’horreur des actes, c’est la personnalité de C. D. qui avait focalisé l’attention. Il n’a jamais laissé voir aucun remords, aucune empathie. Sa froideur était extrême. Le procureur avait utilisé le terme de serpent pour le décrire.»
C. D. était alors jugé pour l’enlèvement, le viol répété et l’assassinat de son ex-petite amie, une Bulloise de 30 ans. L’affaire est connue sous le nom du drame de La Lécherette. Le Tourain, alors âgé de 22 ans, avait emmené et séquestré son ex-petite amie dans le chalet familial, après l’avoir harcelée et menacée durant des mois. Il n’avait pas supporté que la jeune femme le quitte. Ce 14 janvier 1998, alors qu’elle essayait de lui faire face avec un spray au poivre, il l’avait abattue avec une arme à feu.
En fin de matinée, C. D. informait son entourage par téléphone de l’acte qu’il venait de commettre. Avant de fuir. La police s’était lancée à sa recherche et l’avait intercepté à Lausanne le jour même vers 19 h, après qu’il eut tenté d’éviter un barrage policier.
«C’est pas possible à quel point les affaires sont similaires», souffle Bruno Charrière. Une relation qui se termine, une présence insistante de C. D., notamment sur le lieu de travail de Marie, la jeune femme de Payerne, retrouvée morte hier…
«Peu probable»
Dans les deux cas, le meurtrier a emmené sa victime de force dans sa voiture. Et dans les deux cas, il se fait prendre alors qu’il est en train de forcer un barrage de police. Seul le rythme semble plus rapide dans la nouvelle affaire.
«Je me suis replongé dans le dossier pour voir quelle était l’appréciation des experts et ce qui ressortait à propos du risque de récidive», reprend l’avocat bullois. Le spécialiste avait déclaré qu’il était peu probable que C. D. se retrouve dans une situation semblable à celle qui l’avait amené à tuer son ex-petite amie. Mais tout risque de récidive n’était pas exclu en raison du trouble grave de la personnalité du prévenu qui se traduisait par une absence de remords et une froideur glaçante. «Aucune mesure n’avait cependant été demandée. Cela semble curieux a posteriori, mais les experts ne le préconisaient pas.»
«Beaucoup de questions»
Et l’avocat de s’interroger sur les procédures, sur la place que prennent les avis d’experts dans les décisions de justice, sur la réclusion à domicile… «Avec le cas de Lucie, c’est la deuxième affaire de récidive qui touche de près la région. On sait que le risque zéro n’existe pas, mais quand même, ça pose beaucoup de questions sur le système.»
Ajouter un commentaire