Sur scène, la Poya s’éveille

| ven, 10. mai. 2013
Photo Benjamin Ruffieux
Mercredi soir, le spectacle-création a sonné le début de la fête d'Estavannens dans une cantine bien remplie. Les mots et les notes ont touché un public plongé dans le recueillement.

PAR YANN GUERCHANIK

Ni toit ni murs de pierre. A Estavannens, le sacré s’approprie l’espace à sa guise. Après la messe à ciel ouvert, la Poya réinvente l’église. En 2013, l’édifice s’érige drapé de bâches blanches. Mercredi soir, le public a investi nombreux la grande cantine pour la première de Réveil, conte musical pour un matin de mai. Le spectacle-création, qui marquait le début de la fête, a plongé quelque 2000 spectateurs dans un étonnant recueillement.
Pourtant, le public avait l’air crispé au début. L’enjeu semblait peser sur les épaules. Enfin commençait cette Poya dont le spectacle s’annonçait comme le fer de lance. La peur d’être déçu? La crainte de perdre son héritage dans un trop gros pari? Tournés de trois quarts sur des tables et des bancs comme des boulevards, les spectateurs n’ont pas mis longtemps avant de tourner leur cœur vers la scène.
Cette attention de plus en plus profonde est favorisée par l’œuvre elle-même. Au début, le conte musical dépeint l’hiver et le sommeil. Au fur et à mesure, il dégage la chaleur du printemps. Comme si le spectacle pressentait le souci du public. Comme si auteurs et spectateurs ne faisaient qu’un. Ainsi, la voix minérale de la mezzo-soprano Marie-France Baechler retient un temps l’émotion qui vacille. Mais bientôt, le souffle chaud du baryton Michel Brodard la libère pour de bon.
Alors que les chœurs suivent crescendo une ligne plus mélodique, les monologues de Roger le lutin, eux, ont déjà fait fondre des blocs de glace. Au sixième chant, des notes égrainent un extrait de Lyoba, puis l’armailli entame son solo: ça y est, le frisson parcourt les échines. Certains spectateurs posent leurs mains sur leur poitrine… comme pour reprendre leur souffle, un souffle coupé par un éclat d’authenticité.


Un texte qui parle
Le public est conquis, mais la conquête se fait presque dans un silence de cathédrale. Chacun se concentre sur ce texte qui lui parle. Nous avons dit ailleurs (La Gruyère du 2 mai 2013) à quel point les mots de Pierre Savary visaient juste. Les voir toucher en plein cœur 2000 personnes réunies, voilà qui les rend plus beaux encore.
Au service de ce texte, le comédien Vincent Rime a tout compris. Jusqu’au fond de la cantine, on le voit faire pétiller son personnage d’esprit et de malice. C’est sans doute que les vers du poète lui parlent à lui aussi. Né à quelques kilomètres, du côté d’Epagny, il joue les pieds sur scène ce qu’il a vécu les pieds sur terre.
Réveil a su déjouer les pièges: il aurait pu s’embourber dans la mythologie distillée par les Poyas successives, il aurait pu peindre une vision de carte postale, il aurait pu faire défiler l’armailli sur scène, au risque de le rendre gauche et lui prêter de faux discours. Au contraire, l’auteur regarde l’homme de la montagne avec la distance nécessaire. Il en saisit la grandeur sans lui épargner le miroir.
Réveil touche du doigt ce qui le rend fier comme ce qui le rend mélancolique. Et le public ne s’y trompe pas. Mercredi soir, on le lisait dans les éclairs de rires qui parcouraient la cantine, on le voyait dans ces «petits yeux plein de grandeur» qui tantôt s’écarquillaient tantôt se plissaient.


Un spectacle rassembleur
En ouvrant la septième Poya d’Estavannens, cette création a relevé, mine de rien, un sacré défi: mercredi soir, on aurait dit qu’un vaste public communiait à un même idéal. De tous âges, de la ville et des villages, il célébrait en somme les valeurs de l’armailli. D’abord l’indépendance: celle de Pierre Savary qui a su concilier le thème de la montée à l’alpage avec des problématiques qui lui sont chères (la pression exercée sur la montagne par la civilisation des loisirs, la montagne comme lieu de passage, le monde agricole en mutation, la nature comme un temple).
D’autre part, le savoir-faire et le goût de l’effort: des qualités dont ont témoigné les choristes et les musiciens. A défaut d’exaltation, l’ensemble dirigé par Michel Corpataux a montré beaucoup de rigueur à exécuter la partition d’Henri Baeriswyl. Ce dernier livre une composition recherchée et volontiers complexe dans son refus de se prêter à la simple illustration. De tous les chants, le dernier sera sans doute le plus repris dans les chorales une fois le rideau tombé sur la Poya.
Si quelques notes apparaissent comme lissées dans ce grand édifice de bâches blanches, la restitution du son est dans l’ensemble plus qu’honorable. L’allégresse survient en fin de représentation, toutes lumières éteintes: les spectateurs se laissent alors enfin transporter par une musique à part, celle d’un troupeau qui s’en va et des cloches qui tintent.

 

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Une fête que rien ne saurait gâcher
C’était un bon signe, le bus qui attendait le premier train de la Poya en gare de Grandvillard, hier vers 13 h, est arrivé bondé à Estavannens. Pour cette première demi-journée d’animation dans le village, l’affluence a dépassé les attentes. Pas encore de chiffres à disposition, mais les rues étaient déjà bien remplies. Les familles étaient nombreuses.
Il faut dire que les enfants sont gâtés. Il était difficile, hier, d’embrasser l’ensemble du programme qui leur était réservé. Les organisateurs ont d’ores et déjà gagné leur pari sur ce point et c’est l’une des très bonnes surprises de la Poya 2013.
L’autre bonne surprise, oui, c’est le temps. De chien, certes, avec ce crachin breton incessant, ce ciel et ces températures à marée basse. Faut-il s’en plaindre? Les armaillis, dont tout le monde se réclame, n’ont pas le beau tout l’été. Et Estavannens reste d’une sublime beauté sous la pluie. L’ambiance était étonnamment calme, et l’atmosphère, du coup, un brin inquiétante sous la montagne dont on sent la présence pesante, là, juste en dessus, dans le gris.
Le temps ne fait rien à la richesse des animations. Avant celle du troupeau dimanche, il fallait voir la poya des visiteurs remontant vers le village d’en haut, à la redécouverte d’un monde pas si lointain au fil des postes.
Enfin, la pluie a réussi ce miracle: épargner à Estavannens la balafre d’une mer de carrosseries. Les prés y resteront verts ce week-end.


Plan d’urgence
C’est d’ailleurs le seul événement à signaler. Les organisateurs ont décidé d’appliquer le plan d’urgence et les parkings prévus dans les prés sont abandonnés. Du coup, les voitures seront d’abord aiguillées vers la place d’armes et la gravière de Grandvillard. Ensuite, les automobilistes seront retenus dans la zone artisanale d’Enney (Ladurée, carrière Grandjean et Sudan SA). En cas de besoin, la zone artisanale d’Epagny, proche de l’aérodrome, sera ouverte. La phase ultime consistera à parquer les voitures sur la route Epagny-Broc, qui deviendra à sens unique. Des bus navettes seront mis en service depuis tous ces parkings de secours.
Au total, la capacité atteindra
4000 places, au lieu des 8000 disponibles sur l’herbe. La police insiste donc: il est impératif de respecter la signalisation. Surtout, elle recommande d’utiliser les trains depuis Bulle (départs aux 52 et 11), lesquels pourront aussi prendre à La Tour-de-Trême les passagers qui auront utilisé le parking du CO2. JnG

Commentaires

Dans la tribune libre d’hier du 16 mai 2013, j’ai écrit un petit texte relatif au Réveil - Réminiscence d’une folle semaine - lors de la Poya. Je voulais juste préciser, que certes la partition a été difficile pour nous, mais dès le début, on a ressenti une oeuvre magnifique et très prenante où la beauté et l’émotion primaient. Et comme déjà dit, avec un orchestre et des solistes de cet acabit, cela donne une toute autre envergure, comme avec le Tout en haut de l’été. Bonnet rouge a su faire sourire le public et nous, reprendre notre souffle. Barbara Tinguely, Vuadens

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