La Gruyère retrace le parcours de ces acteurs indispensables du sport: les arbitres.
Deuxième épisode de cette série thématique avec Raffaele Nicastro, officiel en rugby.
Cet Italien du RC Fribourg assume une rigueur qu’il estime nécessaire sur un terrain.
QUENTIN DOUSSE
La figure de l’arbitre vénéré de tous entre les poteaux, un mythe ou une réalité? «Le rugby est sûrement plus respectueux que le football, mais il a aussi ses problèmes.» Pour les régler, un homme souvent seul au milieu de trente «golgoths». Raffaele Nicastro est l’un d’eux. L’un des deux arbitres affiliés au Rugby Club Fribourg et l’un des sept officiant en Ligue nationale A (LNA).
Ce Milanais établi dans la capitale cantonale se tient donc chaque week-end en première ligne, tout ce qu’il y a de plus normal pour le talonneur qu’il était. Jusqu’en 2011 et au début de son doctorat en biotechnologie. Ne pouvant plus s’entraîner régulièrement, «Nic» prit le sifflet, qu’il n’a plus lâché depuis. «Je suis quelqu’un d’assez carré, qui aime apprendre et appliquer les règles.»
Critiques en hausse
Cela tombe bien, puisque le rugby est régi par 370 règles (!), répertoriées dans 21 lois du jeu. Lesquelles évoluent régulièrement et ne sont pas maîtrisées par tous. «Il faut rester calme et équilibré (sic), parce qu’on entend souvent de grandes bêtises. En bientôt treize ans d’arbitrage à un niveau amateur, j’ai vu les critiques augmenter. Surtout venant de certains supporters, qui pensent m’influencer et ne connaissent pas les limites.»
Au point que Raffaele Nicastro s’est parfois demandé pourquoi il consacrait chaque saison une vingtaine de samedis à l’ovalie, de Lugano à Avusy (GE). «J’arbitre par passion et pas pour l’argent (n.d.l.r.: un arbitre touche 100 francs par match en LNA). Je le fais aussi pour garder une relation avec mes anciens coéquipiers et adversaires.»
Qu’on ne s’y trompe pas: le Fribourgeois d’adoption ne siffle pas pour se faire des amis. «Sur le terrain, je laisse passer peu de choses et je suis donc considéré comme un arbitre assez dur, admet ce célibataire sans enfant. Maintenant, si certains joueurs ou entraîneurs ne m’aiment pas, je m’en fiche franchement.» Intransigeant dans le feu de l’action, le Milanais explique volontiers ses décisions à la mi-temps, la troisième de préférence.
Aidé par les micros
Un bon arbitre est un arbitre respecté. Un arbitre compris également, d’où les micros ouverts chez les professionnels depuis une vingtaine d’années déjà. Expliquer la faute en direct permet de mieux faire accepter la décision aux joueurs comme aux (télé-) spectateurs. Pour rien au monde l’ovalie ne couperait le son aujourd’hui.
«Avec les micros, tout le monde se montre plus pro dans son comportement», souligne Raffaele Nicastro, qui l’a expérimenté notamment lors des deux finales de Ligue nationale B qu’il a dirigées. Il l’emploierait plus fréquemment s’il grimpait d’un niveau et officiait lors de matches internationaux. «J’ai pu l’espérer par le passé, mais je suis trop vieux aujourd’hui.»
Rêvait-il d’arbitrer le choc Nouvelle-Zélande-Afrique du Sud? «Même pas! Un duel Malte-Finlande me plairait bien, car il s’agit de rugby international ayant gardé un état d’esprit de base.»
Biochimiste à l’Université de Fribourg, Raffaele Nicastro s’intéresse logiquement à la science et aux technologies. Craint-il un arbitrage automatique tel que le tournoi de tennis de Wimbledon l’instaurera en 2025? «Je vais vous surprendre, mais je trouverais ça magnifique (sic). Pour éviter la confusion possible sur des situations d’essais et de mêlées où beaucoup, beaucoup de choses, de fautes, se passent en même temps. L’arbitre reste un être humain, qui se trompe parfois.» Exactement comme les joueurs, avec qui Raffaele Nicastro cherche toujours à «s’allier» dans un but commun: offrir du spectacle plutôt qu’un pugilat.
Du faux sang pour un vrai scandale
L’année même où l’intégrité était définie comme «valeur de base du rugby», l’ovalie connut son plus grand scandale sportif. Le 12 avril 2009, les Harlequins anglais butent sur les Irlandais du Leinster. Tom Williams croque alors dans une capsule de faux sang et se fait entailler la lèvre afin d’être remplacé par son buteur, Nick Evans.
Ni vue, vaine, mais finalement reconnue, la tromperie avait valu une lourde amende au club londonien, ainsi que plusieurs suspensions. Sans parler du dégât d’image pour le sport. «Les gens s’en rappellent encore aujourd’hui, c’est incroyable! s’exclame Raffaele Nicastro. Il faut dire que ce cas flagrant de tricherie était vraiment choquant.»
Comment l’arbitre fribourgeois aurait-il agi face à ce Tom Williams en sang? «N’étant pas docteur et n’ayant rien vu en direct, je n’aurais pas pu refuser le changement. Cela arrive aussi lors d’un choc à la tête (commotion). Dans le doute, l’arbitre doit absolument prioriser la santé du joueur.» Quitte à se faire duper par l’un des rares tricheurs des mêlées.
Du tac au tac
Si vous étiez…
…une personnalité?
Isaac Asimov, un écrivain américain de science-fiction.
…un compliment?
Que je suis doué dans mon travail de biochimiste. A vrai dire, ça m’embarrasse, et je n’aime pas trop l’entendre.
…un événement sportif marquant?
En tant qu’Italien, je dois penser au foot et à la Coupe du monde remportée en 2006. Avec des amis, on avait sauté dans les fontaines de Milan et fêté comme des fous durant toute la nuit. J’aimerais bien avoir un tel souvenir en rugby.
…un film?
Jurassic Park.
…une émotion?
Je mets de la passion dans tout ce que je fais et je suis assez souvent «enragé».
…un tic?
Quand je marche dans le labo, je claque toujours des doigts avec les deux mains (il mime). C’est drôle!
…un objet du quotidien?
Le casque audio. Le métal, c’est mon truc.
…un superpouvoir?
Etre invisible. Pour entendre ce que les rugbymen disent de moi sur le terrain par exemple (sourire).
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