La Gruyère dévoile le parcours de ces acteurs indispensables du sport: les arbitres.
Premier épisode de cette série thématique avec Elena Pilloud, active dans le judo.
La Châteloise a atteint le plus haut niveau suisse malgré des débuts tardifs.
VALENTIN THIERY
Avant elle, le Judo-Club Attalens n’avait jamais eu d’arbitre en ses rangs. C’est chose faite depuis 2017 grâce à Elena Pilloud. Arbitre nationale A, la Châteloise a validé ce plus haut grade sur le sol helvétique après une expérience «détestable» en finale du championnat de Suisse 2023. «J’ai dû disqualifier Binta Ndiaye (n.d.l.r.: un des gros espoirs de ce sport), se remémore Elena Pilloud. Elle aurait dû gagner, mais a commis une erreur involontaire qui a mis son adversaire en danger. J’ai donc arrêté le combat, puis mes collègues à la vidéo m’ont confirmé que j’avais raison. C’était très désagréable, mais je n’avais pas le choix.»
Le pire souvenir de son parcours sur les tatamis. Grâce au plaisir, à l’affirmation d’elle-même et à la confiance que lui apporte sa fonction, la Veveysanne de 30 ans a su prendre ses responsabilités. «Le charisme est important. C’est aussi pour ça qu’on est en costard. Pour sa prestance, l’Italienne Roberta Chyurlia est mon modèle, avec Marlyse Clément, la cheffe des juges à la Fédération suisse de judo. Elle m’a beaucoup suivie durant mon apprentissage.»
Un apprentissage entamé en 2015 lors d’une initiation. Réfléchir, se concentrer, étudier le judo et l’ambiance sympa l’ont convaincue. Pendant deux ans, Elena Pilloud suit des cours et bûche de son côté. «Je suis organisée et consciencieuse, poursuit l’historienne. Et j’aime les règles, pas les gens qui filoutent.»
Code moral
Heureusement, dans la discipline, la triche est rare, le fair-play omniprésent. Le code moral du judo stipule par exemple que les combattants doivent se saluer avant leur duel. «Il contribue à la bonne conduite envers les arbitres. Quant aux parents, ils ne connaissent pas toujours les règles, donc sont moins tentés de gueuler.» La Châteloise n’a jamais eu de mésaventures avec eux, un coach ou un athlète.
Ce sont plutôt des liens qui se sont créés. Au-delà de gagner 25 francs de l’heure et de visiter son pays en allant officier, le côté social lui plaît particulièrement. «Après un tournoi, on va boire un verre entre arbitres. On est amis. On se fait confiance, on se corrige, on se conseille. On peut toujours progresser. Avant mes échéances, je revois certaines subtilités. Il m’arrive d’avoir des doutes.»
Notamment car après des Jeux olympiques, des points importants peuvent être modifiés. Après Rio 2016, le yuko a disparu, laissant seuls le ippon et le waza-ari pour donner des points à un judoka. «J’ai passé trois examens avec trois règlements différents, rigole-t-elle. Il faut donc souvent se mettre à jour.» Ça tombe bien, Elena Pilloud apprécie approfondir. A ses débuts, elle craignait de se tromper et de mal gérer les réactions parce qu’elle connaissait peu la compétition comme sportive. «Je compense par l’expérience.»
Autre direction
Venant d’une famille d’alpinistes, la Veveysanne n’a effectivement découvert le judo qu’à 16 ans. L’envie de changer d’air et le vertige l’ont guidée au JC Attalens. «Se battre contre soi-même et l’adversaire, avec des règles et progresser, c’est motivant. Mais en tournoi, face à des concurrents formés depuis leur enfance, c’était rude. Je préférais l’entraînement. Je me suis vite dirigée vers l’arbitrage. J’y ai trouvé un autre moyen de m’impliquer et de profiter de cette bonne ambiance.»
Aujourd’hui, au dojo du Collège du Petit-Prince, Elena Pilloud enfile son judogi chaque semaine pour le plaisir et s’améliorer comme juge, car «quelqu’un qui n’a jamais fait de judo ne peut pas être arbitre. Il y a trop de détails. C’est aussi pourquoi je ne crains pas que l’intelligence artificielle ne menace notre fonction», conclut celle qui n’est pas «sûre» de rêver des JO, mais qui saisirait l’opportunité.
Il y a un peu moins, je vous le mets?
Elena Pilloud n’aime pas la manie qu’ont les gens de filouter. Le coup classique dans ses fonctions: les judokas qui font exprès de mal nouer leur ceinture pour devoir la réajuster, et donc, pour reprendre leur souffle. Jusqu’à présent, la Châteloise a été épargnée par les tromperies. Pas ses collègues.
Bien avant qu’elle ne découvre l’arbitrage, une histoire de jumeaux avait fait parler. «L’un était un peu plus léger que l’autre. Mais grâce à leur apparence identique, l’un se pesait pour les deux. Ils ont mis un moment à s’en rendre compte. A partir de là, ils leur ont tamponné un cachet sur la main», explique Elena Pilloud.
L’arbitre de 30 ans se prémunit de toute entourloupe lorsqu’elle est responsable de la pesée en compétition féminine par équipes. «Je veille à ce que la sportive se mette bien au centre de la balance, pour ne pas manger les bords. Je fais aussi attention à la distance entre les coéquipières. J’ai déjà entendu dire qu’une fille avait discrètement soulevé sa camarade par les fesses pour lui ôter juste assez de poids.»
Du tac au tac
Si vous étiez…
…une personnalité?
Ruth Dreifuss, la première femme à devenir présidente de la Confédération en 1998. Une personne courageuse dans son parcours et ses décisions.
…un compliment?
Que je suis courageuse, car ça fait aussi partie du code moral du judo.
…un événement sportif marquant?
Les premières ascensions des Alpes, et en particulier la face nord de l’Eiger. Dans ce domaine-là, je trouve que c’est la plus mythique.
…un film?
La vita è bella, de et avec Roberto Benigni. Un monument qui fait rire et pleurer.
…un pays?
L’Italie, car ma maman vient de là-bas. C’est clairement le pays de mon cœur.
…un métier?
Bibliothécaire. Je l’ai été longtemps à Châtel-Saint-Denis. J’ai toujours aimé lire.
…une ville?
Florence. J’y ai étudié pendant un semestre. Après les entraînements de judo pour rentrer chez moi, je faisais toujours un crochet par la place du Dôme pour y voir la cathédrale Santa Maria del Fiore.
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