PAR ERIC BULLIARD
Le patois vit toujours, mais, pour qu’il perdure, encore faut-il que ceux qui le savent continuent à le parler… C’est une des conclusions de l’étude que Clemens Kienzle a réalisée pour son master en sciences et didactique du plurilinguisme, à l’Université de Fribourg. Il la présentera vendredi à Cerniat, commune qu’il a plus précisément auscultée.
Il aura donc fallu un étudiant de 24 ans, issu de l’extérieur du canton, pour qu’une première étude soit réalisée sur le patois. Venu de Rheinfelden, Clemens Kienzle avoue qu’il ne savait pas grand-chose de cette langue à son arrivée à l’Université de Fribourg. «Je savais qu’elle existait, mais je croyais qu’elle avait presque disparu, qu’elle n’était plus parlée que par quelques personnes très âgées.»
Première surprise: il apprend l’existence de cours de patois, dispensés par l’Université populaire. «Je suis allé à celui que donne Placide Meyer et je me suis rendu compte que ce n’est pas du tout une langue morte. J’ai vu des jeunes enthousiastes, qui ont encore un père ou un grand-père qui parle patois.» Clemens Kienzle choisit alors Cerniat pour son étude. Parce que le recensement de 2000 montrait que la commune a le plus haut pourcentage d’habitants indiquant le patois comme langue parlée habituellement (15,1%).
Il commence par surmonter une certaine méfiance: «Dès que je parlais du patois, les gens s’ouvraient… Au départ, je craignais qu’on ne me dirige que vers des personnes âgées, ce qui est un phénomène connu dans ce type d’étude, alors que le regard des jeunes sur le patois m’intéresse aussi.»
Le paradoxe
Sur 250 questionnaires distribués, 76 lui ont été retournés. «C’est beaucoup: en général, on en récolte 10%.» Parmi les conclusions de son étude, Clemens Kienzle remarque notamment que «plus de la moitié des jeunes regrettent de ne pas parler mieux le patois. Mais ils sont peu nombreux à se dire prêts à investir du temps. En fait, ce n’est pas une priorité.» Clemens Kienzle relève en outre un paradoxe: «Aujourd’hui, il y a encore des gens qui parlent très bien le patois et qui aimeraient qu’il se perpétue. Ils ne se rendent pas compte que c’est à eux de faire l’effort de le parler, par exemple avec leurs petits-enfants.»
Clemens Kienzle estime toutefois que le cadre familial ne suffit pas. Il faudrait imaginer («si on rêve un peu») une immersion avec des cours en patois, dès les plus petites classes. Quelques heures par semaine, avec, par exemple, des retraités qui viendraient assister les enseignants. «Pour donner non pas des cours de langue, mais des cours dans la langue.»
Autre suggestion, concernant l’enseignement du patois à l’Université populaire: «Il y a un grand intérêt pour ces cours et ceux qui les donnent sont motivés. Malheureusement, ils n’ont pas de méthode à disposition. Ce serait bien qu’un lien se crée avec l’Université, avec les didacticiens, pour aboutir à un enseignement plus efficace.» Ce qui demanderait une volonté claire et rapide: «Si on veut transmettre le patois, on le peut encore. Dans vingt ans, ce sera trop tard.»
Cerniat, Hôtel de la Berra, vendredi 13 janvier, 20 h
Le français n’aime pas les patois
Le déclin du patois gruérien n’est évidemment pas unique: le français, contrairement à l’allemand ou à l’italien, supporte mal la concurrence… «C’est une idéologie répandue dans l’espace francophone, qui remonte au Moyen Age: une seule langue est bonne, tout ce qui est différent est mauvais», explique Clemens Kienzle, auteur d’un master à l’Université de Fribourg sur le patois à Cerniat. A Fribourg, l’interdiction du patois à l’école remonte à 1886. «Les écoles fribourgeoises avaient de moins bons résultats que d’autres et on a mis la faute sur le patois. Aujourd’hui, on sait qu’il n’était pas responsable.»
Malgré l’interdiction, à Cerniat comme dans d’autres villages, on continue à le parler pendant de nombreuses années. Le basculement a lieu dans les années 1930, estime Clemens Kienzle. «Pendant des décennies, on a répété que patois et école n’allaient pas ensemble. L’idée a fini par s’imposer que c’était mauvais pour les enfants de leur parler patois. On continuait à l’utiliser entre adultes, mais parents et grands-parents se sont forcés à passer au français avec les enfants, parce que ça faisait partie d’une bonne éducation. J’ai l’impression que des oncles parlaient plus volontiers le patois. C’est aussi l’époque où les villages se sont ouverts davantage, où ils ne sont plus uniquement agricoles.»
Comme le latin?
Dès les années 1950, on arrive ainsi au cas classique où les parents parlent français avec leurs enfants, mais patois avec leurs propres géniteurs. Et aujourd’hui? «Si on continue avec juste des cours et quelques événements culturels comme le théâtre, dans quarante ans, beaucoup connaîtront quelques phrases, mais presque plus personne ne le parlera couramment. Dans cent ans, à part certains qui auront appris quelques mots, il ne restera plus que des gens qui l’étudieront comme le latin ou le grec ancien.» N’empêche que la disparition du patois n’est pas aussi rapide qu’on l’avait annoncé. C’est l’un des enseignements du travail de Clemens Kienzle: «Il y a 25 ans, une étude de Pierre Knecht affirmait qu’il n’avait plus que 50 à 60 ans à vivre. Or, c’est aujourd’hui que nous sommes dans la situation qu’il décrivait alors.»
Les chiffres de l’étude
L’étude de Clemens Kienzle (dont un résumé est paru dans le bulletin communal Reflets de Cerniat) montre que 15% des Cerniatins parlent couramment le patois, alors que 11% en ont une bonne maîtrise. Ils sont également 11% à avoir un niveau moyen, 27% un niveau élémentaire et 36% à ne pas le parler du tout. Un quart des habitants savent donc s’exprimer en patois. Sans surprise, la proportion change avec l’âge: plus de 60% des personnes nées avant 1946 le parlent couramment. Pour la tranche 1946-1970, la proportion passe à à peine plus de 10% et disparaît ensuite.
Logiquement, ils sont plus nombreux à en avoir une connaissance passive: 37% le comprennent parfaitement, 9% comprennent presque tout, 21% l’essentiel et 25% des expressions et des mots courants. Seuls 8% avouent ne pas comprendre du tout le patois. On remarque également que 62% des habitants de Cerniat aimeraient mieux le parler, alors que 20% estiment le parler suffisamment bien et que 18% ne sont pas intéressés à s’améliorer. En revanche, ils sont peu nombreux à se dire prêts à investir du temps pour s’améliorer.
Commentaires
Alberto Lima Ab... (non vérifié)
ven, 13 Jan. 2012
José Carlos F.B... (non vérifié)
jeu, 12 Jan. 2012
Dzakye (non vérifié)
ven, 18 avr. 2014
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