Après quinze ans au Gouvernement, Pascal Corminboeuf prend sa retraite. Dans sa tête, les souvenirs se bousculent.
PAR DOMINIQUE MEYLAN
L’indépendant du Conseil d’Etat fribourgeois a cessé de diriger la semaine dernière la Direction des institutions, de l’agriculture et des forêts. Pascal Corminboeuf avait été élu en 1996. Agé de 67 ans, il quitte le Gouvernement après trois législatures, comme l’exige la Constitution. Le Broyard avait forcé la porte du Conseil d’Etat sans passer par le Grand Conseil. Il s’était fait connaître en œuvrant de longues années au Conseil communal de Domdidier.
Avec son départ, le Gouvernement fribourgeois perd une particularité, celle d’abriter un indépendant en son sein. Pascal Corminboeuf s’improvisait volontiers philosophe et chanteur. Son indépendance (ou serait-ce son caractère) lui a permis de garder une grande liberté de parole, au plus près de ses convictions. Nous l’avons rencontré dans les cartons. A la mi-décembre, le Broyard avait déjà empaqueté dix caisses de livres.
Quel est votre sentiment à quelques jours de laisser les clés de votre département?
C’est un sentiment double. D’un côté, je porte un regard assez passionné sur ce qu’il m’a été donné de vivre et de l’autre, je m’interroge sur mon avenir. J’ai changé trois fois de métier dans ma vie. J’ai d’abord été enseignant, puis paysan et enfin conseiller d’Etat. A chaque fois, mon emploi du temps était plus rempli. La retraite est un mot que je déteste.
Comment allez-vous occuper votre temps?
L’année prochaine, je vais donner un coup de main sur l’exploitation de mon frère. J’ai aussi acheté deux ânes et je me suis occupé de leur faire un parc, durant les rares bouts de samedi qui me restaient. Je vais également conserver quelques conseils d’administration, notamment ceux de la raffinerie de sucre d’Aarberg ou du Réseau hospitalier fribourgeois. Il y a également le projet Senior plus, dans lequel je vais continuer de m’investir.
S’il est un seul moment que vous deviez retenir de ces quinze dernières années, lequel serait-ce?
Lors de la première année de mon mandat, j’avais été invité à prononcer un discours pour les cent ans de l’économie alpestre à Charmey. C’était la première fois que je parlais vraiment à des armaillis. Cela reste un moment très fort. Je m’étais exprimé en patois avec mon âme de paysan. Il y a eu un silence dans la cantine. Puis, certains ont pensé: «Et dire qu’il a fallu un Broyard pour dire ça.»
Vous souvenez-vous de vos débuts au Conseil d’Etat?
Je me souviens du premier jour, de la première séance. A midi, j’ai lancé à la cantonade: «Où allons-nous manger?» Tout le monde m’a regardé bizarrement, ce n’était pas dans les habitudes. Puis, nous avons adopté cette coutume. Aujourd’hui, la question ne se pose plus.
A-t-il été dur de vous imposer, alors que vous étiez indépendant et sans expérience au Grand Conseil?
Non. Je m’étais toujours intéressé à la politique. Je n’ai pas été trop dépaysé, parce que mon père était député. Les élus ont été assez sympas avec moi. Il aurait pu tenter de me piéger, mais ce n’est pas dans ses habitudes. Le fait d’avoir été choisi par le peuple inspire le respect.
Et en tant qu’indépendant, vous êtes-vous senti quelques fois minorisé?
Non, jamais. En 2001, j’ai été le seul à avoir été élu dès le premier tour. Cela m’a donné une certaine légitimité. Jamais en quinze ans, je ne suis arrivé à une séance du Conseil d’Etat en me disant: «J’ai un projet, mais ça ne passera pas.» Cela tient beaucoup à l’équipe et à la volonté de chacun.
Qu’avez-vous appris en quinze ans de Conseil d’Etat?
J’ai déjà appris à mieux connaître les districts francophones. J’ai découvert la culture alpestre de la Gruyère et de la Veveyse. Tout le monde utilise l’image de l’armailli, mais beaucoup ignorent la difficulté de ses conditions. Je me souviens en 2007, nous étions allés à Vounetz avec le Conseil d’Etat sur un alpage. Il faisait très froid, une vache était en train de mourir. Et nous avons vu l’envers de l’image idyllique. Le fils de l’exploitant nous a dit: «Si vous ne nous aidez pas, nous sommes foutus.»
On vous a vu très affecté lorsque vous avez été attaqué par Acusa News...
Cela a été presque plus difficile pour ma famille et mes amis. Le bonhomme décrit ne me correspondait pas. J’ai parfois été très dur dans la coupe des paiements directs à cause de la protection des animaux. Mais il faut aussi tenir compte de toute une série de paramètres. Souvent, une situation de maltraitance recèle d’autres misères matérielles, psychiques ou alors des problèmes d’alcool. Nous avons créé une cellule de crise à Grangeneuve pour ce type de difficultés.
Vous êtes sûrement le dernier conseiller d’Etat sans ordinateur...
Oui, sans aucun doute. Mais j’ai un iPhone. Pour obtenir les résultats des élections, j’étais bien content que ma femme ait un ordinateur.
Vous avez aussi la réputation d’être philosophe... Une réflexion sur l’avenir du canton?
J’ai toujours beaucoup lu, en particulier des textes qui permettent de me remettre en question, d’expliquer notre époque. Collapse de Jared Diamond m’a marqué. L’auteur montre que toutes les civilisations se sont construites sur une agriculture prospère et qu’elles ont toutes commencé à décliner lorsqu’il y a eu un mépris pour l’agriculture. J’ai peur qu’on n’en soit pas loin aujourd’hui, même si les choses se sont un peu améliorées.
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