PAR THIBAUD GUISAN
«Cela fait trois à quatre ans qu’on s’intéresse à ce marché. Nous nous disions que nous étions en train de laisser passer quelque chose.» Patron de Laurastar SA à Châtel-Saint-Denis, Jean Monney s’est donné trois ans pour s’imposer en Chine.
Le spécialiste des solutions de repassage haut de gamme n’est pas seul à déclarer sa flamme à l’Empire du Milieu. Le Nouvel-An chinois 2012 – le pays a quitté lundi l’Année du lapin pour celle du dragon – est l’occasion de constater l’engouement des patrons régionaux pour le marché chinois.
En 2006, l’Administration fédérale des douanes estimait les exportations fribourgeoises vers la Chine à 52 millions de francs: soit 0,8% du commerce extérieur fribourgeois. Depuis, c’est l’explosion: 182 millions en 2008 (2%), 285 millions en 2010 (4%) et 408 millions en novembre 2011 (5%). Dans le même temps, les exportations vers l’Europe sont restées stables, quand elles n’ont pas diminué. «Deux secteurs ont porté ce boom: l’horlogerie et les instruments de précision ainsi que la chimie-pharma», analyse Jean-Marie Chappuis, chef adjoint du Service cantonal de la statistique.
Liebherr en force
L’industrie des machines n’est pas en reste. Ainsi, le groupe bullois Liebherr: «Nous sommes actifs en Chine depuis plus de trente ans, expose Denis Zosso, directeur de Liebherr International. C’est devenu l’un de nos dix principaux marchés. Et son importance augmente. Il représente 3 à 4% de notre chiffre d’affaires consolidé.» Le résultat global avait atteint 7,5 milliards d’euros en 2010.
Liebherr produit en Chine – deux usines de machines de chantier et près de 1000 collaborateurs – mais y exporte aussi ses moteurs et composants hydrauliques fabriqués à Bulle.
L’atout du Made in Europe
L’expérience de la multinationale gruérienne a de quoi donner des idées à de plus petites entreprises. «Il y a en Chine un grand intérêt pour les marques européennes et suisses, remarque Jean Monney, de Laurastar. Dans notre domaine de l’électroménager de luxe, il y a encore une place à prendre. Nous sommes en phase de recherche de partenaires pour la distribution. Nous pourrions démarrer une phase de test au début 2013.»
Sur une population chinoise de plus de 1,3 milliard d’habitants, le patron châtelois estime à 80 ou 90 millions ses clients potentiels. Soit la taille de l’Allemagne! «Nous visons la classe éduquée avec d’assez hauts revenus: des propriétaires, des businesswomen, âgés de 30 à 45 ou 50 ans.»
Forte de filiales en France, en Allemagne, en Belgique et en Hongrie, Laurastar réalise un chiffre d’affaires de plus de 60 millions de francs. La société exporte deux tiers de sa production. «Le marché européen devient plus difficile. Il est vital de se tourner vers la Chine et vers l’Est en général. Nous réalisons d’ailleurs de bonnes affaires en Malaisie, à Singapour et en Australie. Nous venons aussi de signer un contrat de distribution au Vietnam.»
Thé et fromages y songent
La diversification des marchés est dans l’air du temps. Même pour l’industrie alimentaire. «Un jour, on sera présents en Chine, comme au Japon d’ailleurs», estime Martin Holder, président du conseil d’administration d’Infré SA, à Semsales. Le coleader mondial de la décaféination de thé – qui exporte 100% de sa production – ne s’est toutefois pas fixé de calendrier. «Nous visons d’abord d’autres marchés, comme la Russie. C’est le plus gros importateur de thé au monde.»
A Bulle, Fromage Gruyère SA garde aussi un œil attentif sur l’Asie. «La Chine est un immense marché. Il n’est pas exclu qu’on y soit un jour», glisse son directeur Gérald Roux. La firme gruérienne réalise 20% de ses affaires à l’étranger. Après avoir conclu des accords de distribution aux Etats-Unis, au Canada et au Mexique, elle est en train de se développer au Brésil. «Nous sommes aussi actifs en Afrique du Sud, en Jordanie et au Japon.»
Repassage, machines de chantier, thé ou fromage: un même enthousiasme pour la conquête de l’Est.
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«Nous encourageons à aller en Asie»
Directeur de la Chambre de commerce Fribourg, le Charmeysan Alain Riedo porte son regard sur le phénomène.
Quand a débuté la conquête du marché chinois?
Les entreprises fribourgeoises ont commencé à s’intéresser à la Chine au début des années 1980. Dans les années 1990, le mouvement a commencé à s’accélérer. Et depuis cinq ou six ans, la Chine est devenue un marché où il faut absolument être présent. Les entreprises qui réalisent plus de 50% de leur chiffre d’affaires à l’exportation ont pour la plupart un pied en Chine.
Comment expliquer cet engouement?
Le pouvoir d’achat a passablement augmenté ces dernières années. Et puis, même si la Chine connaît un ralentissement, cela reste un pays en croissance (n.d.l.r.: +8,2% prévu pour 2012, contre une récession de –0,5% pour la zone euro, selon les estimations du Fonds monétaire international). En plus, le marché chinois a l’avantage de ne pas être lié à l’euro. Les affaires se font en dollars, voire en francs suisses.
Justement, les difficultés de la zone euro poussent-elles les exportateurs fribourgeois à se tourner vers la Chine?
D’une manière générale, la situation conduit les entreprises à rechercher de nouveaux marchés. Dans ce contexte, la part de l’exportation vers l’Asie va continuer à augmenter (n.d.l.r.: 37% du commerce extérieur fribourgeois à fin novembre 2011). A l’inverse, la part des exportations vers l’Europe de l’Ouest diminue. Pour la première fois, la proportion tombe à près de 40%, alors qu’elle était encore de 50% en 2009. Nous encourageons les sociétés fribourgeoises à aller en Asie, mais il faut bien sûr conserver des activités sur les autres continents. TG
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