PAR KARINE ALLEMANN
Marc Tercier est un homme qui mordille à l’oreille de ses chiens. Ce n’est pas que le mu-sher gruérien est fétichiste, mais il faut bien arriver à faire façon de ses onze garnements. Car le chef de meute, c’est lui. «Entre eux, c’est comme ça qu’ils se font respecter. Alors, quand ils m’en font une, je leur mordille l’oreille et ça marche plutôt bien. Toute autre brutalité est à bannir.» Il n’y a qu’à voir la tendresse avec laquelle Marc Tercier caresse ses chiens au moment de poser pour la photo et, plus encore, comment il en parle, pour se rendre compte de la relation qui lie le musher et son attelage.
La semaine dernière, l’équipage de Cerniat a remporté le Trophée Haute-Maurienne et s’est classé 3e du Trophée de la Grande Odyssée, deux courses de trois jours organisées en marge de la Grande Odyssée Savoie Mont-Blanc, compétition de neuf jours (30000 m de dénivelé) réservée à l’élite mondiale. «Les organisateurs sélectionnent dix mushers pour chaque trophée, j’étais le seul à participer aux deux. Ils veulent nous tester au cas où, un jour, on voudrait prendre part à la Grande Odyssée. M’aligner sur cette course, ce serait énorme. Mais, pour ça, il faudrait que je m’entraîne encore plus.»
Et, à l’entraînement, le chef d’une entreprise de ferblanterie basée à Broc y consacre déjà pas mal de temps. «Depuis le mois de septembre, on sort quatre fois par semaine. C’est bien simple, j’ai laissé tomber tous mes autres hobbies.»
Marc Tercier, 46 ans, a débuté les courses de chiens de traîneau il y a plus de vingt-cinq ans, après avoir acheté son premier husky. «Mais ce sont des chiens trop fugueurs, j’ai vite déchanté.» Le Gruérien se met alors aux alaskans, des croisés entre le husky et une race de chien de chasse. «Au début, je ne faisais que des courses de randonnée. Mais dans le genre plutôt musclé, comme cette randonnée en Suède, en autonomie totale durant sept jours.»
«La compétition, j’aime ça»
Puis vinrent les compétitions, avec chronométrage et classement. «Me mesurer aux autres, je dois avouer que j’aime ça. Il y a aussi la satisfaction d’avoir bien entraîné ses chiens. Et puis, c’est une motivation pour partir s’entraîner. Même quand il pleut, quand on est fatigué ou quand il y a un bon film à la télé.»
Les deux dernières compétitions auxquels a pris part Marc Tercier se disputent dans les Alpes savoyardes. Pour le Trophée de la Grande Odyssée, les chiens ont couru 170 km en trois jours, avec 10000 m de dénivelé à la clé. Le Trophée Haute-Maurienne – qu’il avait déjà remporté en 2010 – était légèrement moins éprouvant (150 km et 6000 m de dénivelé). «Les tracés, avec vue sur le Mont-Blanc et le Vercors, sont de toute beauté. On passe sur des crêtes incroyables, tandis que les départs se font au cœur des stations de ski. A Bessans, il devait y avoir plus de 5000 personnes! Par contre, je ne sais pas comment ont fait ceux qui ont préparé les pistes. Il y avait des endroits tellement raides que j’ai dû m’accrocher au traîneau et c’était les chiens qui me tiraient. Heureusement qu’ils avaient la volonté d’avancer. C’est là qu’on voit qu’ils sont faits pour ça.»
Une nuit par – 20°
Toujours dans l’idée de durcir la course, les organisateurs français ont planifié un bivouac à 2000 m d’altitude. «C’est pour tester la résistance des mushers. On n’a pas le droit de se faire aider et, la nuit, il a fait – 20 degrés. Les chiens ont des manteaux et on les fait dormir sur la paille. Moi, j’ai pris Eva dans ma tente. Elle n’a pas beaucoup de poils alors j’avais peur qu’elle ait froid. Et puis, du coup, elle m’a tenu chaud. J’avais lu que c’est comme ça que faisaient les Esquimaux.»
Aux deux trophées, le Gruérien a remporté les deux premières étapes, avant de commettre une bévue la dernière journée. «Lors de la première course, j’ai fait le mauvais choix le dernier jour. Je n’avais pas vu qu’Hanna boitait et j’ai dû la charger sur le traîneau après cinq kilomètres seulement. J’ai perdu toute mon avance. Dans l’enchaînement, au Trophée Haute-Maurienne, il a fallu que j’en refasse une. J’ai raté un panneau dans la dernière étape et, du coup, j’ai fait quatre kilomètres de plus que les autres. Heureusement, cette fois-là, je comptais assez d’avance pour gagner.»
Une performance qui n’est pas anodine, Marc Tercier ayant laissé derrière lui deux mushers professionnels. «J’ai la chance de pouvoir compter sur un attelage rapide, capable d’accélérer en course. Et puis, je pouvais m’appuyer sur trois handlers (n.d.l.r.: personnes qui s’occupent des chiens après les courses). D’une part, le Valaisan Pierre-Antoine Héritier qui, pour situer, a participé à la course la plus dure du monde, en Alaska. Il y a quelques années, j’avais été handler pour lui. Il a fait un travail formidable avec mes chiens, les nourrissant toutes les deux heures et se levant la nuit pour les laisser aller pisser. Et puis, il y avait mon amie Patricia Crausaz et ma sœur Marlyse Tercier (n.d.l.r.: ancienne vététiste). Avec elle, je peux vous dire que j’étais bien coaché. Je n’avais pas droit à la moindre baisse de morale.»
Prennent-ils leur pied?
Le plaisir de Marc Tercier en course est palpable. Mais une question s’impose: les huit chiens de l’attelage prennent-ils le même pied? «Franchement, il n’y a qu’à voir à quel point ils piaffent au départ pour se rendre compte qu’ils n’attendent que le coup d’envoi!»
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Problèmes de voisinage...
Marc Tercier possède onze chiens. Pour comprendre comment fonctionne un attelage, il décrit chacun de ses partenaires. «Zilver est mon chien de tête et le chef du chenil, il se fait respecter par tout le monde. Il est aussi très intelligent, même trop. Parce qu’il a tellement la mémoire des pistes qu’il aura tendance à choisir lui-même par où il veut passer.» Il y a aussi l’infatigable Hanna, Eva, la remplaçante en tête, les trois frères élevés par le Gruérien Blacky, «formidable lors des deux trophées», Nero et Kalou, le plus peureux de la bande. Sans oublier leur papa Sam, le patriarche, Villy, très polyvalent, et la star Stiller, acheté cet automne en Suède. «Il est absolument incroyable! Rien que cette année, il compte 4500 km dans les pattes.» Enfin, il y a la dernière venue, une jeune chienne achetée en même temps que Stiller. Car le Gruérien n’a pas pu résister aux magnifiques yeux bleus de la petite Fay, sept mois.
Pour un chien de la qualité du crack suédois, le musher a dû débourser 2500 francs. Pour un chien de tête de premier plan, le prix peut monter jusqu’à 5000 francs. Ses premiers chiens ayant tous été achetés en Suède, c’est dans cette langue que Marc Tercier leur parle. C’est «heuger» pour la droite et «vinster» pour la gauche.» «Il faut se faire respecter, mais ne jamais leur montrer qu’on est énervé. Cela pourrait perturber les chiens. Or, l’osmose de l’attelage est très importante.»
Pour s’entraîner, le Gruérien a obtenu l’autorisation par la commune – et des services de la faune, de la route et de l’environnement – la possibilité de tracer un parcours de 6 km entre Cerniat et Hautachia. «Sinon, j’utilise un magnifique parcours de raquettes à neige entre Vuadens et les Paccots.»
Problème pour Marc Tercier: tout le monde n’a pas forcément envie d’un chenil à côté de chez soi. «Cet automne, j’ai subi des pressions terribles. Alors, pour éviter qu’ils dorment trop souvent à Cerniat, je les amène à mon chalet, à la Valsainte. Ou alors ils dorment dans le camion, quand je suis chez mon amie, à Lussy. Et, s’ils sont dans leur chenil de Cerniat (n.d.l.r.: sa maison est toujours occupée par son ex-épouse et ses deux enfants), moi, je dors dans la caravane à côté d’eux. En tout cas, quand je suis là, je ne les entends jamais…»
Ces pressions ont parfois blessé le musher. «Certains nouveaux voisins croyaient que je me contentais d’entasser les chiens. Ça m’a fait vraiment mal. Parce qu’ils ne connaissaient rien de la situation. Heureusement, j’ai eu le soutien du service vétérinaire, qui sait comment je m’en occupe. Il faut que ces gens comprennent que ce n’est pas juste des chiens dans un chenil. Ensemble, on fait du sport, on s’entraîne pour des compétitions.»
La prochaine en date, ce sera la rendez-vous de Saignelégier, puis les championnats d’Europe en France, en février. KA
Commentaires
Carole Pythoud (non vérifié)
dim, 22 Jan. 2012
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