Il y a vingt ans, Ebullition crachait ses premiers décibels

| mar, 14. fév. 2012
Deux festivals vont marquer les vingt ans d’Ebullition, en mars. En quatre épisodes, La Gruyère revient sur l’aventure du centre culturel bullois. Retour sur les premières années (1991-1994) avec quatre témoins de l’époque.

PAR ERIC BULLIARD


C’est là que naissent souvent les grandes idées: autour d’une table de bistrot. Une discussion entre potes, début 1991. Ils ont dix-neuf ans et l’envie de «faire quelque chose» à Bulle, de suivre l’exemple de Fri-Son, de la Dolce Vita à Lausanne, de l’Usine à Genève. Une salle de concerts, un centre culturel, un truc qui bouge, quoi.
«Il faut se souvenir à quel point l’offre était pauvre à l’époque, souligne David Seydoux, un des membres fondateurs d’Ebullition. La vie nocturne se limitait au Rallye et à La Peau de vache…» En mars 1991, l’association voit le jour, avec l’envie «d’encourager, de promouvoir et de développer la culture sous toutes ses formes», annoncent ses statuts.
Son nom a été proposé par Battiste Cesa. «C’était au carnotzet du Cheval Blanc, se souvient-il. On a décidé de garder le nom d’Ebullition jusqu’à la semaine suivante…» En attendant de trouver des locaux, l’association veut prouver sa nécessité: deux mois après sa naissance officielle, elle organise son premier concert. Au vénérable Marché-Couvert, avec Living Sons en tête d’affiche, ainsi que Gods Female Slaves et Le Bal du Pendu.


Pas encore majeurs…
Ce dernier groupe venait de découvrir la scène: «En décembre 1990, nous avions organisé notre premier concert à la Salette, à Broc, se souvient Xavier Alonso, alors guitariste du Bal du Pendu. Avec trois groupes inconnus, 1000 personnes étaient venues. Les gens d’Ebullition étaient là et nous ont demandé des conseils. Avec Serge Gremion, autre membre du groupe, nous avons donné un coup de main… Forts de notre incroyable expérience, puisque nous avions fait un concert!»
Un coup de main qui passe notamment par la préfecture: les fondateurs d’Ebullition n’ayant pas atteint leur majorité (elle était encore à 20 ans), Serge Gremion et Xavier Alonso se portent garants auprès des autorités.
Le concert du Marché-Couvert? «Ceux qui ont vingt ans aujourd’hui ne peuvent pas se rendre compte: c’était l’événement, raconte Xavier Alonso. Les gens en parlaient trois semaines avant et trois semaines après. Non pas parce que la soirée était exceptionnelle, mais parce qu’il n’y en avait pas d’autres…»


Conditions dantesques
«Nous avons été dépassés par le monde venu ce soir-là», se souvient David Seydoux. Plus de 400 personnes, selon la presse de l’époque. Dans des «conditions dantesques, sourit Xavier Alonso. Il devait faire 45°C dans cette salle en bois où tout le monde fumait… Je ne sais pas quelle bouillie sonore les spectateurs ont reçue! On a arrosé de décibels tout le quartier.»
Ce premier soir, «tous ceux qui vont faire Ebullition les dix années suivantes sont présents». Parmi eux, Claude Currat, qui deviendra le premier programmateur. A l’époque, il travaillait comme assureur et, le week-end, comme aide-
gérant au Big Ben. «C’est là que j’ai connu toute l’équipe. J’avais une expérience de ce milieu: depuis l’âge de 15 ans, j’ai travaillé comme DJ et pour Disco Project, Radio Fribourg… Puis comme roadie pour de gros concerts. Pour la soirée du Marché-Couvert, j’ai offert l’assurance RC.»
Après ce succès initial, preuve est faite: la jeunesse gruérienne a un appétit de culture, de soirées différentes. Reste à trouver un lieu. «Nous avions en tête le cinéma Lux, fermé depuis trois ans», raconte David Seydoux. Le rêve se concrétise par un téléphone de Pierre-Michel Buchs, membre de la commission Jeunesse du Conseil général: il a les clés du Lux. Ne reste plus qu’à visiter les locaux.


Pour deux ans…
Quelques nettoyages plus tard, Ebullition ouvre ses portes à la rue de Vevey, le 18 octobre 1991, par une soirée danse et musique. «Le concept de départ était un centre multiculturel», rappelle David Seydoux. Enfants, expositions, films trouveront place dans l’ancien cinéma. Même si, vu la configuration de la salle, la musique occupera rapidement l’essentiel de la programmation.
A l’inauguration, l’association compte une trentaine de membres. Son contrat de location (obtenu avec l’aide de la Ville qui a versé d’emblée 5000 francs) doit être reconduit de trois mois en trois mois «en principe pendant deux ans, jusqu’à la démolition de l’immeuble», écrit La Gruyère du
17 septembre 1991. Ebullition a deux ans pour se rendre indispensable.
«Au début, chaque soirée était extraordinaire, se souvient Battiste Cesa. Ebullition est devenu un phare pour plein de gens qui allaient à Fri-Son ou ailleurs. Tout à coup, il y avait à Bulle un projet plus urbain, qui répondait à un besoin évident dans une ville qui se développait.»


Premier clash
Claude Currat assure la programmation avec Yann Gioria, premier président, aujourd’hui installé en Italie. Des divergences ne vont pas tarder à voir le jour. Deux clans se forment: derrière Yann Gioria se rangent les idéalistes, qui prônent l’indépendance totale de l’association. Derrière Claude Currat, les pragmatiques, majoritaires, estiment qu’un tel centre culturel ne peut vivre sans subventions ni sponsors.
Parmi eux, Battiste Cesa, qui va reprendre la présidence. «Yann était un grand rêveur anarchiste, raconte-t-il. Dans ces discussions, il y avait tout le débat sur la culture et son financement.» Derrière le rêve, l’utopie, Ebullition ne va pas tarder à découvrir la réalité des chiffres…

Prochain épisode (mardi 21 février): 1994-1998, crises et consolidation

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Ce qu’ils en disent
Battiste Cesa, membre fondateur, aujourd’hui conseiller en communication: «Ebullition a toujours été un grand chaos qui se soigne… Il y a eu un roulement et ça reste des jeunes qui s’occupent d’un projet pour les jeunes. C’est aussi un laboratoire de la vie associative.»


David Seydoux, membre fondateur, sous-directeur de la Croix-Rouge fribourgeoise et conseiller communal à Bulle: «Nous sommes arrivés à faire quelque chose dont nous ne nous serions jamais cru capables. Personne n’avait jamais travaillé dans ce domaine et nous avons dû tout apprendre. Tous ceux qui ont travaillé pour Ebullition ont le sentiment de faire partie d’une famille. Aujourd’hui, c’est un pilier essentiel de la culture bulloise.»


Xavier Alonso, journaliste parlementaire à 24 Heures: «Quand je repense à ces débuts, trois mots me viennent à l’esprit: fraîcheur, naïveté et énergie. Ebullition appartenait à tout le monde: si tu avais une envie, une idée, tu y allais et on te créait une structure pour la réaliser.»


Claude Currat, régisseur: «C’est magnifique que vingt ans après cette aventure continue, toujours avec des jeunes. Pour ma part, sans Ebullition, je n’aurais jamais pu devenir, par exemple, responsable technique de la grande scène de Paléo pendant quatorze ans…» EB

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Al Comet, The Silencers, L7, Prodigy…
Son premier concert, Ebullition l’a connu dix jours après son inauguration (avec Nicole Danse): le «pirat tour» d’Al Comet faisait halte au bar de l’entrée. La soirée, devenue légendaire, n’avait pas attiré les foules: «Le public, enthousiaste, en redemandait. Dommage donc qu’il n’ait pas été plus nombreux, malgré l’entrée libre», écrivait Xavier Alonso dans La Gruyère.
Autre concert marquant de ces glorieux débuts: The Silencers ont joué à Bulle le 6 novembre 1993. «Ils sont arrivés avec un camion et ont monté leur propre scène, leur propre sono, se souvient Xavier Alonso. Tout le monde a été bluffé de voir ce qu’était un concert pro, dans des conditions pros.»
Claude Currat, programmateur à l’époque, se souvient lui aussi de ce concert. Ou plutôt de ce week-end, puisque la veille des Silencers, Ebullition avait accueilli An Emotional Fish, puis, le dimanche, The Godfathers.
Le 11 juin 1992, L7 donnait également un concert mémorable. «Un groupe de filles qui jouaient du grunge. Nous nous sommes tous pris une claque», raconte Xavier Alonso. David Seydoux, de son côté, se souvient, entre beaucoup d’autres, de Bob Color (24 avril et 15 octobre 1993), «une musique festive, où tout le monde s’éclatait». Ouvert à différents genres, Claude Currat a aussi proposé du blues, avec par exemple Chicago Bob Nelson et Rock Bottom. Sans oublier les groupes régionaux ou romands, Living Sons, Maniacs, Fou, Le Bal du Pendu…


La «tekkno-dance» dans le chaudron
Dans le livre d’or d’Ebullition, Prodigy (28 janvier 1994) figure également en excellente place. «C’était un peu mon apothéose, avant que je parte», sourit Claude Currat, qui laisserait sa place de program-
mateur l’année suivante. «Il fallait aimer la tekkno-dance, la chaleur et la foule», écrivait La Gruyère. «Non le chaudron Ebullition n’a pas explosé, il a fondu avant.» EB

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Deux festivals et une expo
Pour célébrer ses vingt ans (après vingt et un an d’existence…), Ebullition organise une série d’événements en mars. Une rétrospective de photographies et d’objets d’archives sera inaugurée au Musée gruérien le jeudi 8 mars. Puis deux festivals (ou un festival en deux parties) se répartiront les 8, 9, 10 et 29, 30, 31 mars. Il y en aura pour tous les goûts, du reggae (Winston McAnuff & the Bazbaz Orchestra, Clinton Fearon), de l’électro (The Toxic Avenger), du rock (Hubeskyla), du hip-hop (Kacem Wapalek-Lucio Bukowski-Oster Lapwass) et du stoner (Karma to Burn). Informations: www.ebull.ch CD

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