PAR JEAN GODEL
Les dirigeants de Gruyère Energie n’ont pas l’habitude de parler dans le vide. Mais quand des projets sont à point, ils les dévoilent volontiers. C’est ce qu’ils ont fait à La Gruyère, quelques jours avant le Conseil général de Bulle, lundi, où l’énergie sera au programme. En effet, le 1er février dernier, Philippe Margelisch, citoyen tourain, adressait au Législatif bullois une pétition demandant la mise en pratique «dans les plus brefs délais» de mesures concrètes en faveur d’économies d’énergie ainsi qu’un «vrai programme dans les énergies renouvelables».
En fait, Gruyère Energie, la société en mains publiques chargée de l'approvisionnement de dix communes gruériennes, dont Bulle, conduit à ce jour une petite dizaine de projets de production d’énergie renouvelable. Tour d’horizon avec son directeur général, Gérard Brulhart, et Dominique Progin, chef de la division projets, études et plans.
La Trême domptée
Le projet risque de faire des vagues. Gruyère Energie projette une centrale hydroélectrique sur la Trême. La prise d’eau se situerait au lieu-dit Les Vaux-Grand Crêt, en amont du pont de la Trême, sur la route de la Chia. «A l’endroit même de l’ancienne prise d’eau du canal des Usiniers qui, au XIXe siècle, alimentait trois scieries à Bulle», révèle Gérard Brulhart. La restitution se ferait à la hauteur de l’ancien arsenal de la rue de Vevey. Un tronçon sur lequel de nombreuses chutes artificielles cassent la dynamique de la Trême.
L’électricité fournie équivaudrait à la consommation de 250 ménages. L’installation, estimée à plus de 3 mio de francs, pourrait être mise en service en 2014. Annoncée dès 2009 à Swissgrid, elle bénéficierait de la rétribution à prix coûtant (RPC). Une demande préalable est en consultation auprès des services de l’Etat.
Mais les responsables de Gruyère Energie ne cachent pas leur surprise d’avoir vu surgir, durant leurs préparatifs, un projet de revitalisation prévu sur ce même tronçon… «Nous sommes très curieux de connaître la réponse de l’Etat», ironise Gérard Brulhart. «La première prise de température laisse penser que le critère de revitalisation pourrait primer sur celui de la valorisation énergétique», complète Dominique Progin.
La fée eau potable
Ce n’est plus un projet: en fonction depuis le 6 décembre dernier, la microcentrale du réservoir de Vaucens, à Bulle, turbine l’eau potable en provenance du captage du pont du Roc, à Charmey. La chute de 22 mètres entre le réducteur de pression de Châtel-sur-Montsalvens et Vaucens autorise une production annuelle de 110000 kWh, soit la consommation d’une trentaine de ménages, sans aucune atteinte à la qualité de l’eau. Coût de l’installation, qui bénéficie de la RPC: 200000 fr. sans les études.
«Il y a encore la possibilité d’exploiter l’écoulement gravitationnel entre Charmey et Châtel-sur-Montsalvens», révèle Dominique Progin. Mais l’entreprise veut d’abord tester Vaucens. A plus long terme, la hausse de la consommation d’eau à Bulle pourrait aussi conduire à augmenter les captages, accroissant du coup la production d’électricité.
Charmey remis à neuf
La rénovation de l’usine hydroélectrique de Charmey est, elle aussi, en cours. Cette unité, la plus grande de Gruyère Energie, produit 12% (15 mio de kWh) de l’électricité distribuée par l’entreprise. Les trois turbines ne seront pas remplacées, mais modernisées et mises en commande automatique. Cela évite une nouvelle concession et l’augmentation des débits résiduels qui risque bien d’aller avec – la concession actuelle court jusqu’en 2033.
Berra-Cousimbert
Le projet de huit à dix éoliennes sur la crête entre Berra et Cousimbert est connu. Piloté par sol-E, une société des Forces motrices bernoises, en partenariat avec Gruyère Energie et Groupe E Greenwatt, il est en phase de récolte de données. Deux mâts de mesure sont dressés depuis août dernier. Rien ne devrait bouger d’ici à l’automne et la mise à l’enquête devrait intervenir en 2013.
A12 solaire à Riaz
On n’en est qu’au stade des discussions avec le maître d’œuvre, la commune de Riaz. Mais l’idée serait d’équiper le futur mur antibruit de la Saletta, le long de l’autoroute A12 à la hauteur de l’hôpital, de près de 1000 m2 de panneaux photovoltaïques sur 400 m de longueur. Les panneaux seraient disposés sur deux rangées accessibles depuis les champs. Le projet, estimé à 700000 fr., sera bientôt inscrit sur la longue liste d’attente pour l’obtention de la RPC.
Solaire sur les toits
Restent encore trois projets d’installations photovoltaïques sur les toits des futures écoles primaires de la Perreire, à La Tour-de-Trême (98 m2), et de la Condémine, à Bulle (647 m2), ainsi que sur le toit de la centrale de chauffage urbain de Palud, à Bulle (497 m2). Le tout couvrirait la consommation d’environ 45 ménages.
Et la géothermie…
La géothermie profonde, jusqu’à 4000 m (gain de température de 35 degrés par 1000 mètres franchis), autorise tous les espoirs – Gérard Brulhart pronostique une première centrale dans le canton vers 2020. Des analyses sont en cours sur le potentiel du sous-sol fribourgeois, menées par les acteurs du marché. Les centrales chaleur/force (production d’électricité et de chaleur) constitueront de simples points d’injection de chaleur dans le réseau de chauffage à distance. «C’est tout l’intérêt de notre réseau, se réjouit Gérard Brulhart: il existe déjà! Seul l’agent énergétique change, peu importe lequel.»
Par ailleurs, l’utilisation du bois par les chauffages à distance arrivera bientôt à ses limites, affirme Gruyère Energie, étant donné les difficultés d’exploitation des forêts suisses. Le thermoréseau bullois engloutit à lui seul 100000 m3 d’écorces par an. La géothermie libérerait ce bois pour d’autres centrales, actives là où la géothermie sera absente. Pour Dominique Progin, cette énergie pourrait même constituer un atout majeur dans la stratégie de sortie du nucléaire.
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L’éclairage en question
Dans sa pétition adressée au Conseil général de Bulle, Philippe Margelisch – un ancien collaborateur de Gruyère Energie – demande au Conseil communal d’analyser en profondeur le réseau d’éclairage public afin de l’assainir au plus vite. Surtout, il suggère à l’exécutif de prendre les commandes dans ce dossier, au lieu, insinue-t-il, de les laisser «à un sous-traitant dont la commune est actionnaire». Entendez: Gruyère Energie.
«Je comprends mal ce genre d’intervention», reconnaît Gérard Brulhart, directeur général de Gruyère Energie. En 2010, son entreprise a mené un test à Bulle (un candélabre sur deux éteint dans toute une zone) accompagné d’un sondage de la population concernée, sondage aux résultats positifs. Les communes partenaires ont aussi été contactées et des solutions leur ont été proposées, subventions à l’appui.
LED ou halogénures métalliques?
«C’est vrai que nous avons souvent conseillé de remplacer les vieilles ampoules par des lampes aux halogénures métalliques plutôt que par des LED», plaide le directeur. Qui suggère qu’un effet de mode existerait sur les LED, nouvelles sur le marché. Si leur prix a baissé et leur qualité a progressé, des réserves demeurent. Sur le faisceau émis, moins large et plus éblouissant, mais surtout sur leur durée de vie.
«Les fabricants annoncent 50000 heures, soit onze ans, reconnaît Dominique Progin, chef de la division projets, études et plans. Mais nous manquons de recul. Et leur garantie n’est que de deux ans…» Qui plus est, quand on remplace une LED, il faut aussi changer l’électronique qui va avec. «Les lampes aux halogénures métalliques font désormais aussi bien que les LED, estime Dominique Progin. Et sont faciles à changer.» Elles durent entre 15 et 20000 heures. «Mais au final, ce sont les communes qui choisissent.»
A Bulle, un projet de modernisation du réseau est ficelé. Mais le Conseil général a suspendu la procédure l’an dernier pour permettre à la Commission de l’énergie, à peine créée, de statuer. «Entre-temps, la technologie a encore évolué», constate Gérard Brulhart. JnG
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