PAR SOPHIE ROULIN
La première difficulté survient plus tôt que prévue, dans le choix du lieu de rendez-vous. Solidement campé sur ses deux jambes, on se demande rarement quel café offre un accès aisé à une chaise roulante en centre-ville de Bulle. Alors on se laisse guider, comme pour le reste de la visite, suggérée par Chantal Pythoud dans le cadre du Conseil général lundi dernier.
La socialiste y a déposé une proposition au nom de son groupe pour que la ville améliore ses aménagements en faveur des personnes à mobilité réduite. «J’ai été confrontée personnellement à ce problème en promenant ma belle-maman. Résidente du home bourgeoisial, elle ne peut se déplacer qu’en chaise roulante. A la première traversée de la Grand-Rue, les roues avant ont été stoppées abruptement à la montée de la rigole. Il s’en est fallu de peu qu’elle soit éjectée de sa chaise.»
Un peu surprise par cette expérience, Chantal Pythoud est entrée en contact avec Claude Jaquet: président du Club fauteuil roulant de la Gruyère, il l’a guidée dans le centre-ville, lui montrant les pierres d’achoppement pour les personnes à mobilité réduite. Un exercice qu’il a répété pour La Gruyère.
Créer une signalisation
«On imagine bien que la ville ne va pas refaire l’entier de son aménagement, relève Claude Jaquet. Mais un truc tout bête pourrait être mis en place pour simplifier la vie des personnes à mobilité réduite: leur signaler les endroits facilement accessibles.» Principale cause des désagréments au centre-ville, les rigoles entre les espaces pavés et la route.
«A certains endroits, elles sont quasiment plates et à d’autres, la pente est telle que le repose-pieds du fauteuil reste bloqué. Et c’est encore plus problématique pour les fauteuils électriques dont les batteries se situent près du sol.» Les accès aux trottoirs, qui dépassent parfois les trois centimètres prescrits, se révèlent également problématiques. «J’ai déjà vu des gens avec des déambulateurs déstabilisés et tomber.»
En juillet 2011, le président du Club de fauteuil roulant de la Gruyère a d’ailleurs écrit un courrier aux autorités communales pour leur faire part des difficultés rencontrées. Il lui a été répondu que «les aménagements réalisés l’ont été en conformité avec la directive “voies piétonnes adaptées aux handicapés”». En effet, lors des procédures légales des objets à caractère public, les dossiers passent par le Bureau cantonal des barrières architecturales, qui considère les normes et les directives en la matière.
Places de parc à revoir
«Les plans sont une chose et la réalisation en est une autre», commente Claude Jaquet. Parmi les autres difficultés rencontrées en ville de Bulle, il signale encore les places de parc, pas toutes bien positionnées. «Près des Capucins, il suffirait de la tourner de 90° pour que la personne en fauteuil roulant puisse sortir de son véhicule sans se retrouver dans une situation bancale, dans une rigole.» Il indique encore un poteau signalétique en plein milieu d’une rampe au début de la rue de la Sionge.
«Cette situation n’est pas propre à Bulle, elle est la même partout, souligne le paraplégique, évoquant un récent Temps présent sur la situation à Paris. Une sensibilisation existe, mais il y a encore du travail.» Il relève avec joie le fait que le Club de fauteuil roulant de la Gruyère a été intégré dans le projet de salle de sport de la nouvelle école primaire de Bulle. «Elle sera dotée d’un parquet, ce qui nous permettra de jouer au basket.» Le lino est en effet trop mou pour les roues des fauteuils.
Partout des marches
Si la rencontre s’est focalisée sur les aménagements du centre, on ne peut ignorer les autres désagréments que rencontrent les personnes à mobilité réduite dans une ville à caractère historique. A chaque entrée de café ou de boutique, quelques marches séparent le trottoir du commerce. «Mais quel cafetier voudrait investir de façon importante pour gagner un ou deux clients? interroge Claude Jaquet. Et je ne vous parle même pas de la vie nocturne.»
Et la gare? «Je n’y vais pas souvent, parce que prendre le train quand on est en fauteuil, c’est très compliqué partout, pas seulement à Bulle. Il faut prévenir 48 heures à l’avance pour que quelqu’un soit présent, avec une rampe ou un élévateur, à la montée comme à la descente du train.»
Malgré tout, le paraplégique s’en sort parce qu’à force d’expériences, il connaît la ville et ses passages clés par cœur. «Mais pour les gens de passage ou pour ceux qui accompagnent ponctuellement des personnes à mobilité réduite, une signalisation des endroits les plus propices à la traversée des rues serait idéale.»
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Gares adaptées d’ici à 2024
«On peut toujours faire mieux.» Chef du département technique de la commune de Bulle, Jean Hohl précise que les plans de l’aménagement du centre-ville avaient été approuvés par les services cantonaux. «Maintenant, une proposition a été faite au Conseil général pour améliorer l’aménagement pour les personnes à mobilité réduite. Si elle est transmise à l’Exécutif, un rapport sera établi sur le sujet. On verra alors ce qu’il y a lieu d’entreprendre.»
D’un point de vue légal, la Loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand), entrée en vigueur en 2004, donne les directions principales. Les directives sont ensuite détaillées, soit à l’échelle des cantons, soit dans les normes professionnelles de construction. Ce ne sont d’ailleurs pas les seules normes auxquelles doivent répondre les aménagements d’une ville.
«D’autres problèmes techniques entrent également en compte, par exemple, au niveau de l’évacuation des eaux», fait remarquer Yves Grandjean. Conseiller communal en charge de l’aménagement du territoire et des constructions, il reconnaît l’irrégularité de certains pavés. Et d’émettre une suggestion: «Peut-être les constructeurs de fauteuils roulants pourraient, eux aussi, penser à des adaptations pour rendre leurs produits plus appropriés aux obstacles urbains. On voit, par exemple, que les poussettes pour enfant roulent avec des roues beaucoup plus grosses qu’il y a quelques années.»
Quant à la gare, il est prévu que les Transports publics fribourgeois (TPF) l’adaptent à la LHand probablement d’ici à 2020, selon Martial Messeiller, porte-parole des TPF, confirmant ainsi une information qui avait paru dans La Liberté. La loi veut en effet que toutes les gares du pays soient adaptées d’ici à 2024. A Bulle, les travaux seront très importants puisqu’ils impliqueront vraisemblablement le redressement des rails pour qu’il soit possible de mettre les quais et les trains à niveau. Un premier chiffre de 40 millions de francs a été évoqué. «Mais nous n’en sommes même pas à l’avant-projet», ajoute le porte-parole. SR
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