Une procession de curieux pour rejoindre l’île d’Ogoz

| mar, 03. avr. 2012
Dès ses eaux basses, le lac de la Gruyère voit un cordon humain s’étirer jusqu’à l’île d’Ogoz. Promenade avec Laurent Liard, membre et pilote de l’association de l’île.

PAR LARA GROSS


Ce n’est pas un plongeon dans le lac que propose Laurent Liard, mais un saut dans l’histoire. Membre de l’Association île d’Ogoz, le Gruérien connaît par cœur le lac de la Gruyère puisqu’il le parcourt tous les étés pendant près de deux cents heures en bateau.
En attendant de mouiller à nouveau, il nous emmène en promenade sur l’île d’Ogoz. Difficile d’échapper au phénomène, visible depuis le viaduc de l’autoroute A12 durant les week-ends: une file indienne de promeneurs rejoint le morceau de terre à pied. «Un dimanche de beau temps, un millier de personnes y défilent, estime le retraité, qui vit près du Motel de la Gruyère. On a évalué entre 8000 et 10000 le nombre de personnes venues à pied sur l’île l’an dernier. Le lac doit se retirer de 9,20 mètres pour que le passage soit possible.»


Les moutons ont déserté
Ces visiteurs profitent que Groupe E abaisse le niveau du lac, pour sa production et aussi en prévision de la fonte des neiges. Cela comporte son revers de médaille. «Deux sécuritas gèrent le parking, sans quoi les véhicules bloquent la circulation. Les cinq francs encaissés par voiture permettent de rémunérer les agents et le solde est versé à l’Association île d’Ogoz.» Les moutons ont du coup déserté l’île. «Il y a trop de monde qui y vient, alors on tond nous-mêmes.»
A cela s’ajoute l’érosion. «On voit bien que le chemin est constitué de cailloux, toute la terre végétale est désormais au fond du lac, montre le retraité. C’est pour ça que nous veillons à ce que les gens ne jettent pas trop de cailloux dans l’eau. Cela accroît le phénomène.» Laurent Liard aime d’ailleurs à rappeler que les bois qui enserrent l’île pour lutter contre l’érosion proviennent des mélèzes décimés par l’avalanche survenue à Evolène (VS) en 2009.
Les jours de grosse affluence, principalement le dimanche, un membre de l’association se poste sur l’île pour veiller au bon comportement des visiteurs. Comment expliquer un tel engouement? «L’île est visible depuis l’autoroute, avance le pilote de bateau. Les reportages des télévisions, notamment suisses alémaniques, attirent les curieux. Et les sites internet conseillent ce lieu pour les mariages insolites. Du coup, nous avons des mariés de toute la Suisse et même des Etats-Unis.»


Un paysage mis à nu
Tandis qu’il nous guide en direction de l’île, Laurent Liard désigne les souches et les cailloux qui forment le paysage: «De vrais écueils pour les bateaux!» Il rappelle volontiers combien cette mise à nu du lac a été sous-estimée. «A l’époque, les gens ne se sont pas rendu compte que six mois par an le lac serait bas. Ça défigure le paysage, pensez à Morlon en hiver!»
L’explication réside dans le fait que la centrale électrique se trouve à Hauterive. «Ça laisse du dénivelé pour faire circuler l’eau et donc de la marge de manœuvre avec le niveau du lac. Ce qui n’est pas possible à Schiffenen par exemple, où la centrale se situe au pied du barrage.» Laurent Liard pense qu’il faudra encore du temps pour que les Gruériens s’approprient leur lac. «C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de plages, le sentier se met en place, mais on pourrait en faire plus pour mettre en valeur le lac.»
Et, d’ici là, Laurent Liard ne se lassera pas de raconter, en été sur les bateaux, encore et toujours l’histoire de la cité de Pont-en-Ogoz, de la chapelle, des tours, du lac, de la Sarine et de ses méandres, ses nombreuses légendes…

 

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Innombrables légendes…
Aucun Nessie n’évolue au fond du lac de la Gruyère, mais les légendes se propagent. Des villages engloutis, des tourbillons, deux frères réunis ou encore la chapelle de Thusy déménagée… «Il s’agit d’histoires, de légendes, rigole Laurent Liard. Aucune n’est vraie en réalité.» Le village de Pont-en-Ogoz n’a pas été englouti. Abandonné au XVIIe siècle, il n’a pas été inondé. «La zone fermée au public au bout de l’île est justement le site archéologique où se trouvait ce village. Les cailloux entassés par les enfants sont en fait des restes de ces maisons.»
Sous l’eau, point de village, mais une soixantaine de toits. «Des fermes, des granges, des poulaillers, énumère le Gruérien. Il n’en reste que des pierres.» Et Laurent Liard de raconter la plus célèbre légende associée à l’île, celle de ses deux tours. «Deux frères étaient amoureux de la même femme. Ils ont tout fait pour se départager: des joutes, des croisades, mais ils terminaient toujours ex aequo. Ils ont donc décidé de se battre en duel, là où se trouve la chapelle. Apprenant la nouvelle, la jeune femme tenta de les en empêcher et fut mortellement blessée. La légende raconte que les deux frères construisirent alors deux tours.» La réalité est tout autre puisque le site comptait quatre tours, deux n’étant plus visibles aujourd’hui.


Pas de tourbillons, mais peu de nageurs
Quant à la chapelle de Thusy, les ouï-dire racontent qu’elle aurait été déménagée pour échapper à la montée des eaux. «Elle a toujours été au même endroit, seule son entrée a été changée. Sa porte regardait vers le lac, elle est désormais tournée vers Pont-la-Ville. Je me souviens bien, gamin, avoir posé à côté de la porte d’entrée. Mais une fois le lac créé, la porte aurait donné sur l’eau. Elle a donc été murée et refaite de l’autre côté.»
Dans l’imaginaire, une idée ne quitte pas le lac de la Gruyère, celle de tourbillons qui en auraient attiré plus d’un vers le fond. Pour avoir été dans les premiers membres de la Société de sauvetage du lac de la Gruyère, Laurent Liard est catégorique. «Il n’y en a pas. Au début, on enregistrait deux à quatre noyades par an, mais c’était surtout parce que les gens ne savaient pas nager. Je me souviens bien que, gamin, j’étais un des seuls de l’école à savoir nager. Pour dire à quel point le lac faisait peur, j’ai entendu le père d’un copain de classe dire qu’il allait construire une salle de bain chez lui pour que ses enfants n’aillent surtout pas se baigner dans le lac. Et, à l’époque, tout le monde n’avait pas de salle de bain à la maison!» LG
 

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