PAR LARA GROSS / PRISKA RAUBER
«L’avion était comme un chiffon.» Vittorio Ranini est encore sous le coup de l’émotion. Samedi, depuis sa terrasse à Tatroz, il était aux premières loges du terrible accident d’avion qui a coûté la vie à six personnes (lire ci-dessous). Depuis, il ne dort plus. Lorsqu’il ferme les yeux, ce terrible film se rejoue sans cesse dans sa tête: «Le vent soufflait, j’ai entendu un bruit au-dessus de la maison. L’avion est passé à deux, trois mètres du toit. On entendait qu’il essayait d’accélérer, ses turbines étaient à fond. Il a tourné sur la droite, puis il a voulu accélérer. Et là, il a piqué du nez dans le champ. Ça a fait comme un bruit d’explosion. Il a rebondi. Il n’y avait ni feu, ni fumée. Juste cet avion, comme un chiffon.»
Ce vol devait laisser un souvenir mémorable. L’un des passagers avait choisi de prendre les airs pour fêter ses soixante ans. Pour partager ce moment, il avait convié son fils et son amie, ainsi que sa fille et son mari, tous deux domiciliés à Tatroz et bien connus des habitants du village. Le pilote, domicilié non loin de là, dans le canton de Vaud, a aussi perdu la vie. Au sol, il ne reste plus que l’effroi, la tristesse et cinq orphelins, les trois enfants du couple veveysan et deux enfants du pilote, tous scolarisés à l'école primaire d’Attalens.
«Une équipe d’éducation générale est venue dans les cinq classes concernées, indique Michel Perriard, secrétaire général de la Direction de l’instruction publique, de la culture et du sport. Elle peut venir le temps qu’elle juge nécessaire pour encadrer les enfants touchés par l’accident, leurs camarades ainsi que le corps enseignant.» Si cette équipe est aguerrie aux situations d’accident ou de décès, Michel Perriard n’a pas le souvenir d’une telle concentration.
Une région marquée
L’accumulation. Elle laisse une plaie béante dans le hameau veveysan, comme l’exprime le commandant du Centre de renfort de Châtel-Saint-Denis, Julien Rey. «Imaginez-vous, la même famille, un crash d’avion et dans leur village. Ce n’est pas tous les jours.» Le commandant ne souhaite pas s’étendre sur l’intervention. Mais humainement, il glisse que cela n’a pas été évident. «Nous avons discuté de qui se sentait capable d’y aller. Les plus expérimentés se sont chargés de l’intervention. Il y a ensuite eu un suivi psychologique.»
Face à ce drame, la région resserre ses liens plus que jamais et les étiquettes tombent. «La commune fait tout ce qu’elle peut pour aider la famille, répond sobrement Michel Savoy, syndic d’Attalens. Les gens parlent, c’est humain. Nous devons rassurer, être à l’écoute, mais nous tenons à rester discrets, par respect pour les familles.»
Cette même retenue est palpable à la préfecture. «On ne sort pas indemne de quelque chose comme ça, reconnaît Michel Chevalley, lui-même domicilié dans le hameau veveysan et qui s’est rendu sur place samedi. J’apporte le soutien que l’Etat peut apporter. Je reçois beaucoup de témoignages, notamment du Conseil d’Etat, que je retransmets à la famille. Nous devons assurer une présence. Pour les gens qui restent, les choses ont fondamentalement changé ce week-end.»
«Le silence total»
Les images, les sons, le silence. Ces impressions ne sont pas près de quitter les habitants de Tatroz. «Je travaillais dehors, sur les hauts de Bossonnens, raconte Pascal Lutz. Je me suis dit que cet avion volait bien bas. Il tanguait, faisait du roulis, à droite, à gauche. Il est tombé comme une pierre. Ses deux ailes et des pièces ont volé jusqu’à dix mètres de hauteur.»
Jan Kruseman habite Tatroz. Samedi, il s’est aussi inquiété de voir passer l’avion si proche des maisons. «J’entendais son moteur à pleine puissance. Puis, il y a eu un énorme bruit, comme une explosion… et plus rien. Le silence total.» Vittorio Ranini se souvient encore que cinq minutes après le terrible choc les rafales de vent se sont calmées. «J’ai voulu m’approcher de la carlingue, mais elle était totalement broyée. Je n’ai pas été plus loin. Je ne suis pas resté pendant l’intervention. Je suis parti pour me changer les idées. Je me suis fatigué physiquement pour pouvoir dormir. Mais, je ne trouve plus le sommeil…»
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Le fœhn, l’altitude et le type d’appareil
«C’est à mon avis un cumul d’éléments qui est à l’origine de ce dramatique accident.» André Gachet, pilote expérimenté, chef de place et chef d’école à l’aérodrome d’Epagny, n’impute pas ce crash à une seule erreur de pilotage ou au seul fœhn, certes très tempétueux en ce samedi après-midi.
«On peut tout à fait voler quand il y a du fœhn, ce n’est pas plus dangereux, mais il faut être encore plus vigilant. Quand il y a de la bise ou du vent, on connaît de bonnes turbulences. Le problème avec le fœhn, c’est qu’il est imprévisible, il provoque des retors. On parle d’effet machine à laver.» André Gachet, en l’air avec un élève à l’heure du crash, samedi à 15 h, a décidé de se poser, tant les conditions compliquaient les apprentissages.
Alors, dans ces circonstances de fœhn «à décorner un bœuf», le fait de voler bas rendait les manœuvres encore plus délicates. «Il était important de garder une marge de sécurité, notamment pour l’altitude, précise André Gachet. D’autant plus avec ce type d’appareil.» Un Piper six places, que le pilote connaît bien pour l’avoir pratiqué durant quinze ans. «Comparés aux bons vieux quadriplace que nous avons à Epagny, les Piper sont plus lourdauds. Leurs réactions sont plus molles et prendre des virages serrés avec eux est plus difficile.» Ce qu’implique un vol à basse altitude pour saluer des gens. «Ce qu’il faut éviter de faire d’ailleurs et que nous répétons à nos élèves», ajoute le pilote.
Des supputations
Ce ne sont que supputations, l’enquête établira les causes de l’accident, précise André Gachet, mais le fœhn, le fait de voler bas et qui plus est avec ce type d’appareil pourraient expliquer ce drame. Le Service d’enquête suisse sur les accidents tentera en effet d’en déterminer les causes. PR
Commentaires
Coquelicot (non vérifié)
jeu, 02 jui. 2015
mouton (non vérifié)
lun, 14 mai. 2012
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