PAR ERIC BULLIARD
En quatre albums (et un excellent live), Yves Jamait a su imposer un univers très personnel. Ancien cuisinier, puis ouvrier d’usine, le Dijonnais est apparu il y a dix ans dans la chanson française, avec sa voix éraillée, ses mots âpres et justes. Fin observateur, il chante la vie et les galères, les bistrots et les éclopés, l’amour et les écorchures. Les tendresses, aussi.
Yves Jamait prend encore une dimension supplémentaire sur scène, où son énergie et sa sincérité à fleur de peau font merveille. Rencontre à l’occasion de sa venue aux Francomanias de Bulle, le 16 mai.
Le son de Saison 4, paru l’automne dernier, est d’emblée différent…
Parce que l’album est plus produit. Mon batteur, qui a fait le mix, vient du monde de la variété et je lui ai demandé un son plus puissant, moins contrit. Mais l’esprit et le fond restent les mêmes. J’ai eu de la chance d’avoir un premier album qui a marqué ceux qui ont aimé, mais ça serait ridicule d’essayer de le refaire. J’espère bien que je change, sinon, je continuerais à jouer aux billes et à soulever les jupes des filles… On ne se comporte pas à 75 ans, comme à 14.
Ce thème du temps qui passe revient fortement dans l’album…
Parce que 50 ans, ça commence à taper! Mais, dans le premier, je parlais déjà du compte à rebours. On n’arrête pas de me dire que c’est plus nostalgique, plus sombre: j’ai l’impression que Daniel Darc, à côté, ça va être Mickey Mouse! Je crois que c’est dans la continuité, mais je ne fais pas du Annie Cordy… J’ai beaucoup de respect pour les gens qui font rire, parce que je ne sais pas le faire ou alors avec cynisme. Amuser les gens, c’est difficile. J’ai pris la solution de facilité, qui est de les faire pleurer.
Mais on rit beaucoup dans vos concerts…
On peut être pessimiste sans faire la gueule tout le temps! Je ne suis pas très optimiste dans ma façon de voir la vie: j’apprécie ses bons côtés, mais pas la blague de fin. Ce n’est pas parce que je veux regarder les choses telles qu’elles sont que je suis un grand triste. Je n’aime pas ce type de cases: le rire avec le rire, le noir avec le noir…
C’est ce qui s’est passé pour moi. On n’arrête pas de dire que j’ai une casquette de Gavroche: je continue de répéter que c’est une casquette irlandaise, qui me fait plus penser à Il était une fois en Amérique qu’à Gavroche, mais je ne peux pas refaire la culture des médias! Du coup, le public voit un sous-Renaud, qui chante du néoréalisme. Et comme il y a un accordéon, on me catalogue musette, ce qui est une insulte pour les mecs qui bossent avec moi, qui sont plus dans le jazz ou le latino…
Vos disques marchent bien, vous avez des fans fidèles depuis le début, mais vous n’êtes pas très connu du grand public: y a-t-il une frustration?
Non, mais parfois… Je ne veux pas citer de nom, mais il y a un gars qui fait caution dans le slam, qui était passé avant moi dans une salle à Voiron. J’avais fait 900 personnes, c’était plein. Lui, la semaine précédente, avait fait 150, ils avaient annulé le concert. Deux mois après, il gagne la Victoire de la musique du meilleur spectacle… Là, tu peux ressentir une frustration terrible! Même si, au fond, je m’en fous: je n’ai plus de télé, donc je ne vois pas les autres y passer. C’est un monde que je ne connais plus.
Je ne peux pas être frustré: je fais ce métier depuis dix ans, alors qu’avant j’étais opérateur PAO dans les laboratoires Urgo… Mais je suis d’accord avec Jules Renard: «Le critique est un botaniste, je suis un jardinier.» Seulement, aujourd’hui, certains n’ont même pas le niveau du botaniste: ils savent juste tailler de l’herbe à la faux et ils critiquent les jardiniers.
On sent une vraie tendresse pour les cabossés de la vie…
Je n’ai pas énormément de goût pour les winners, pour les enfants gâtés fiers d’eux, qui se regardent le nombril… Je ne dis pas que tous les losers sont formidables, mais, dans la lose, il y a des choses d’une énorme puissance narrative: je ne suis ni historien ni sociologue, je fais des chansons. Le but, c’est quand même la narration, la dramaturgie. Et j’ai plus connu cette engeance-là, donc j’ai tendance à aller de ce côté.
Utiliser des mots simples ne vous empêche pas d’aborder des thèmes extrêmement forts, comme les femmes battues, dans Je passais par hasard…
Ce sujet, je l’avais depuis longtemps, j’ai mis trois ans à trouver l’angle, à laisser bouillir… En règle générale, c’est plus difficile de faire une chanson légère et simple que d’en faire une très écrite comme Vierzon. OK, tu t’en vas a eu un gros impact, alors que c’est une connerie que j’ai finie sur un bord de table… J’aimerais refaire ça, sauf que, si j’en écris douze de ce genre, il y en aura au moins onze nulles.
Pour ceux qui font de la chanson dite à texte, le risque c’est de confondre perfection et branlette devant son texte en se disant «qu’est-ce que c’est intelligent, ce que j’écris»… D’ailleurs, chanson à texte, ça ne veut rien dire: sans texte, c’est de la musique! Patrick Sébastien aussi fait de la chanson à texte! Ou alors il faut dire «chanson à texte qu’on veut qu’il y ait des choses humanistes de gauche dedans»…
Pour moi, la chanson implique une accessibilité rapide. Si j’avais voulu ne m’adresser qu’à une élite, j’aurais fait de la peinture… Je ne suis pas fan des ayatollahs de la chanson française. J’ai découvert la chanson en écoutant Sardou et Johnny. Je n’en suis pas mort.
Après, j’ai écouté la chanson dite à texte, mais je n’ai jamais lâché la variété pour autant. J’aimerais autant avoir fait certaines choses de Gérard Lenorman que de Léo Ferré… Même si, pour moi, la plus belle chanson du monde reste Avec le temps. D’autres diront que c’est Alexandrie Alexandra et tout le monde a raison.
En concert aux Francomanias de Bulle, Espace Gruyère, mercredi 16 mai. www.francomanias.ch
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Avec Aldebert et le phénomène Zaz
Vendredi 26 mai 2006: Espace Gruyère fait le plein pour Raphaël. Jeunes filles en fleur et en transe, excitation maximale. Au final, c’est un chanteur moins attendu qui marque la soirée: Aldebert fait l’unanimité avec son concert sautillant, d’une énergie joyeusement communicative. Qui a dit qu’Espace Gruyère est un lieu froid?
Six ans plus tard, pour cette 12e édition, Aldebert, le sympathique homme caoutchouc, revient aux Francomanias de Bulle (le 16 mai). Entre-temps, il s’est fait plaisir avec un spectacle Enfantillages (250 représentations en tournée) avant de sortir son sixième album, Les meilleurs amis. Où il continue de chanter sa nostalgie, ses chroniques du quotidien, à coups de refrains efficaces. Gageons qu’il saura surtout confirmer que c’est sur scène qu’il trouve sa vraie dimension.
«Un carton terrible!»
Cette même soirée du 16 mai, verra ensuite se succéder Yves Jamait et Zaz. Deux artistes de la même famille. Le Dijonnais s’en réjouit, et pas seulement parce qu’ils ont enregistré un duo sur son dernier album, Saison 4 (La radio qui chante). «Je me souviens bien du jour où elle est venue me voir, toute timide, au Casino de Paris, raconte Jamait. Je l’ai prise en première partie… On s’est revus six mois après, elle avait vendu quasiment 200000 albums. Un carton terrible!»
Sorti au printemps 2010, le premier album de Zaz est en effet rapidement devenu un phénomène. Porté par le tube Je veux, puis par Le long de la route et quelques titres accrocheurs signés Raphaël (tiens, le revoilà, lui!), il révélait une jeune femme pleine d’énergie et d’une assurance nourrie de ses années où elle chantait dans les bals, les bars et les rues. Des qualités qui se sont retrouvées sur scène, tout au long d’une tournée triomphale dont témoigne le récent live Sans tsu tsou.
Sur la petite scène, en ouverture de soirée, les Vaudois de Pamplemousse distilleront leurs airs du Paris des années 1930, parfumés de jazz, de rock et de swing. Suivra l’étonnante Lausannoise Eleonore, entre pop délicate et folk intimiste. EB
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