PAR ERIC BULLIARD
Oublions l’image véhiculée par quelques apparitions télévisées malheureuses: Brigitte Fontaine, qui sera une des artistes les plus attendues des Francomanias de Bulle (du 15 au 19 mai), est avant tout un auteur (elle déteste «une auteure») magnifique et une interprète toujours surprenante.
Depuis ses débuts, il y a plus de quarante ans avec Jacques Higelin et Areski Belkacem – son mari, compositeur et musicien – elle a créé un univers à part, en toute liberté, d’une richesse poétique qui se redécouvre à chaque écoute.
Admirée autant par Etienne Daho, Philippe Katerine ou M que par Sonic Youth, Brigitte Fontaine joue aussi bien du langage classique que des mots crus. En témoigne son récent et fameux «je suis vieille et je vous encule» (Prohibition). On la dit étrange, excentrique, barge. Au bout du fil, elle se révèle… difficile à suivre. Mais touchante et extrêmement attachante.
Quelques mois après une lecture-concert à Meyrin, vous revenez en Suisse, pour un pur concert. A quoi peut-on s’attendre?
Je serai avec toute l’équipe, tout mon staff. Ce sera une fournaise… A la fois drôle, rock et émouvante. Avec des chansons de toutes les époques, mais comme ce sera la fin de l’oppression, chez nous, je n’en chanterai pas de l’album Prohibition! Le train sera passé.
Cet album, Prohibition, est sorti en 2009, en réaction à l’élection de Nicolas Sarkozy: quel est votre sentiment après le premier tour de cette présidentielle?
On va fêter ça le 6 mai! Parce qu’il est cuit, le cancrelat! Lui qui a réduit nos libertés, qui a rendu les pauvres encore plus pauvres, qui a fait un tort épouvantable à la France…
Prohibition était un album rebelle, engagé…
Rebelle, oui… Le mot engagé ne me convient pas trop, je préfère «dégagé»!
La chanson a-t-elle un rôle à jouer dans cette rébellion?
Hélas, peu. Malheureusement, les artistes n’ont pas vraiment de poids dans la politique. Donc je ne me fais pas d’illusions, surtout quand un album comme celui-là est interdit sur les ondes nationales. Mais Bob Dylan a au moins sauvé la vie d’un homme, avec Hurricane! Il a réussi son coup et c’est une magnifique chanson.
Il y a un an, vous avez sorti L’un n’empêche pas l’autre, un album de duos…
Ils m’ont poussée à faire cela, oui… Finalement, j’étais contente de retrouver quelques camarades, que j’apprécie beaucoup. Ce disque, on me l’a imposé, parce qu’il devait marcher et il n’a aucun succès! Je trouve ça très drôle.
On retrouve des duos avec M, Higelin, Arno, Christophe, Bertrand Cantat, Grace Jones, Souchon: vous avez choisi toutes ces collaborations?
Oui, c’était ma seule condition: j’ai choisi les personnes et les chansons. D’habitude, je faisais des duos une ou deux fois par disque. Un album entier, ce n’est pas trop mon truc. D’ailleurs, il y a aussi deux chansons que je chante seule, Gilles de la Tourette et God’s nigthmare. Celle-ci, je devais la chanter avec Beth Ditto, de Gossip. Elle avait accepté, mais ça a trop traîné et ce n’était plus possible. Dommage!
Vous venez également de publier un roman, Les charmeurs de pierres. L’écriture, pour vous, c’est…
…capital! C’est merveilleux, c’est la liberté totale. La seule liberté. Ecriture de chansons ou de livres, c’est le même effort et la même jubilation. J’aime les mots, j’aime le classique. Je suis une fan de Racine, de Molière et de Choderlos de Laclos. Et évidemment de Baudelaire. Mais mon préféré de tous reste Rimbaud.
Vous chantez vos textes alors que la plupart des musiques sont signées Areski Belkacem, votre mari: est-ce que vous intervenez dans la composition?
Je lui fais entièrement confiance et je n’interviens pas, la plupart du temps. Et j’ai raison, pas pour des questions de succès, mais parce que je crois qu’on fait du bon travail et que nous avons lieu d’être contents. Il fait ce qu’il veut et il travaille beaucoup, à partir de mes textes. Alors que pour moi, l’écriture est très rapide. Pour lui, en général, c’est long et profond.
Depuis vos débuts dans les années 1960, on n’a cessé de vous coller des étiquettes: fantasque, excentrique, surréaliste…
Qu’elles aillent à la poubelle, toutes! Je ne me reconnais dans aucune d’elles. Je suis sincère, c’est tout. Et amoureuse des mots et de la musique.
Vous faites aussi vos débuts au cinéma, dans Le grand soir, de Gustave Kervern et Benoît Delépine, avec Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel, qui sortira à Cannes…
Oui, mais c’est un tout petit truc, dans un grand film, merveilleux. Avec deux réalisateurs et deux acteurs magnifiques. C’était une belle expérience, parce que tout le monde était extrêmement sympa.
Que vous évoque la Suisse?
Je viens de lire un scénario super, d’une jeune amie proche, d’après Ramuz… Et Heidi et son grand-père: formidable, j’adore! J’ai aussi beaucoup aimé Tanner. Et Godard, évidemment. J’aime Lausanne, mais je regrette que même en Suisse romande, on me parle parfois en allemand…
Souhaitez-vous ajouter quelque chose en prévision de ce concert à Bulle?
Filipandré, un ami humoriste, dessinateur de BD, qui habite à Annecy, donc finalement pas loin de Bulle, a fait un excellent dessin qu’il m’a envoyé, qui est très drôle. Il a utilisé des lettres découpées dans le journal, qui annonçait «Brigitte Fontaine à Bulle» et il m’a dessiné sur scène en train de dire: «Je suis à Bulle et je vous encule!»
En concert aux Francomanias, Espace Gruyère, vendredi 18 mai. www.francomanias.ch
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Avec un Thiéfaine de retour au sommet
La soirée du vendredi 18 mai, qui verra Brigitte Fontaine monter sur la scène d’Espace Gruyère est l’une des plus alléchantes de ces 12es Francomanias de Bulle, qui se tiendront du 15 au 19 mai. Outre les régionaux Pony del Sol et le projet Netton Bosson, qui ouvriront les feux sur la petite scène, elle comprendra aussi le très classieux Alex Beaupain.
Auteur de trois albums élégants et raffinés, dont le dernier, Pourquoi battait mon cœur, est sorti il y a tout juste un an, Alex Beaupain a également composé la musique du film Les chansons d’amour, ainsi que les titres interprétés, entre autres, par Catherine Deneuve et Chiara Mastroianni dans Les bien-aimés, de Christophe Honoré.
Pour clore la soirée, Hubert-Félix Thiéfaine fera son retour à Bulle, dix-huit ans après un concert de folie à l’Hôtel de Ville. Et c’était sans doute le bon moment pour l’inviter à nouveau, puisqu’il a sorti l’an dernier son album le plus percutant depuis des lustres, récompensé cet hiver par la Victoire de la musique du meilleur album de chansons. Thiéfaine a également reçu la Victoire de l’artiste masculin de l’année.
«Retapé à neuf»
Réalisé par les excellents Edith Fambuena et Jean-Louis Piérot (ex-Valentins), Suppléments de mensonge montre un Thiéfaine toujours aussi imaginatif, jongleur de mots sans pareil. Comme il le déclarait il y a un an à La Gruyère, il est désormais apaisé, serein. «On m’a enlevé des angoisses, un tas de trucs qui me hantaient depuis des années et qui, avec la fatigue, les excès, ont créé des strates assez démoniaques. Je suis reposé, en for-me, calmé… Comme une voiture accidentée retapée presque à neuf. Mais c’est la même voiture: je n’ai pas été métamorphosé, je n’ai pas fait une crise mystique!»
A Bulle, son concert s’annonce très rock, intense, avec des titres récents (comme La ruelle des morts) et un florilège de classiques comme Mathématiques souterraines, Exil sur planète fantôme ou l’incontournable Fille du coupeur de joints. EB
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