"On a décidé de faire du rock"

| mar, 08. mai. 2012
En mai 1991, Ebullition organisait son premier concert au Marché couvert de Bulle. Vingt et un ans plus tard, Le Bal du Pendu et The Living Sons remontent ce vendredi sur les planches de l’ancien cinéma Lux. Rencontres entre deux répétitions.

PAR CHRISTOPHE DUTOIT


Le 18 mai 1991, dans un Marché couvert chauffé à la bière et aux décibels, la jeunesse gruérienne se grise jusqu’aux petites heures du matin. Sur une scène improvisée sous le plafond bas de la salle en bois, trois groupes de rock fribourgeois donnent naissance à Ebullition dans un chaos des plus sympathiques. Vingt et un an plus tard, le rejeton turbulent a grandi, il a vécu une adolescence chahutée et il finit de fêter son vingtième anniversaire, ce vendredi, avec un clin d’œil à cette soirée où fut scellée la première pierre de l’édifice.
En deux décennies, les trois groupes fondateurs ont vécu des destins presque similaires. Tête d’affiche, The Living Sons a mis un terme à son aventure en 1995 après avoir notamment joué en première partie de Radiohead au Balélec. Ouvreurs de la soirée, Gods Female Slaves s’est rapidement dissous et vécut quelques années plus tard la disparition de son guitariste Patrice Tiberghien dans des circonstances tragiques.
Au centre de la mêlée, Le Bal du Pendu est quant à lui entré dans la légende des groupes fribourgeois, notamment après son passage à Taratata en 1996. Un zénith en forme de chant du cygne, puisque le combo se délitera peu à peu jusqu’à l’ultime soubresaut livré en pâture aux festivaliers du Paléo, en 1998, sous le pseudo Lola.


Boucler la boucle
Lundi soir dernier, comme tous les lundis depuis quelques mois, Olivier Colliard (chant), Serge Gremion (guitare), Xavier Alonso (guitare), Stéphane Jaccottet (basse) et Edouardo Andrade (batterie) renouent avec leurs anciennes lunes dans un local insonorisé d’Atlantis Center. Reformé à la fraîche pour les quarante ans de son chanteur voilà dix-huit mois, Le Bal du Pendu a décidé d’aller jusqu’au bout de la démarche. «On voulait boucler la boucle, pour garder un magnifique souvenir de cette histoire», avoue Stéphane Jaccottet, qui retrouve sur scène les potes avec qui il n’a plus joué depuis 1994.
Dès les premières notes de Qui l’aime, Le Bal du Pendu semble ne rien avoir perdu de la fougue de ses vingt ans. Les titres phares du groupe entrent dans la danse, carrés et sans fioritures, tel l’impétueux L’amour ou le furieux James, deux titres qui n’ont pas pris une ride. «Notre musique est un peu un photomaton de ce qui se faisait au début des années 1990», explique Xavier Alonso, qui avoue avoir dû – comme les autres – réapprendre ses morceaux en réécoutant les albums.
«Nous n’avons jamais été à la mode, ce qui fait que nos meilleurs morceaux ont plutôt bien vieilli», s’étonne pour sa part Serge Gremion, qui trépigne d’impatience de retrouver Ebullition comme à la belle époque.
Amis de bac à sable, de foot ou de la Jeunesse, les Brocois décident de former un groupe en 1987, au retour de vacances hantées par le tout frais The Joshua Tree de U2, se souvient Olivier Colliard. «A cette époque, on a d’abord décidé de faire du rock et on a ensuite appris à jouer d’un instrument», lance Xavier Alonso, qui prend ses premiers cours de guitare à l’âge de 17 ans, alors que ses compères chantent Idées noires, de Bernard Lavilliers et Nicoletta, dans la Cave à Tonton. Souvenir impérissable.
En 1990, la jeunesse gruérienne se sent en phase avec MTV et l’actualité musicale planétaire. Grâce aux grands frères Fri-Son ou Dolce Vita, les Gruériens – tant musiciens que spectateurs – se déniaisent peu à peu et décident de jouer le grand jeu. Après un premier concert organisé à La Salette à Broc, Le Bal du Pendu enchaîne les concerts. Ebullition bien entendu, mais aussi le festival du Gibloux, le Vernier-sur-Rock, et bientôt la Rote Fabrik, la Spirale et Fri-Son, en première partie de Noir Désir, trois jours seulement après la sortie de l’album Tostaki.
Ce soir de décembre 1992, les cinq Gruériens chauffent la salle pour la bande à Cantat, devant plus d’un millier de spectateurs prêts à suer sang et eau sur cette bande-son taillée pour une jeunesse en mal de rage et d’un exutoire momentané à son spleen.


«On fonçait tête baissée»
«On croyait à ce qu’on faisait et on fonçait tête baissée», se souvient le chanteur Olivier Colliard. «Il n’y avait pas de calcul, mais beaucoup d’envie», rajoute Serge Gremion. Du coup, pour ne pas en rester là, le groupe passe par la case studio, d’abord pour enregistrer un 4-titres (Ô, en 1993), puis un album (Qui l’aime, en 1994), produit par Fred Vonlanthen, aujourd’hui membre des Sweet People d’Alain Morisod.
A défaut de passer régulièrement à la radio – le groupe a toujours été boycotté par Couleur 3 – Le Bal du Pendu connaît un succès d’estime qui dépasse les frontières. Distribué en France par Bondage (le label de Bérurier Noir ou Ludwig Von 88), il joue au off des Francofolies de La Rochelle et aux Transmusicales de Rennes. «En 1993, on a donné un concert à La Contrescarpe, haut-lieu de la culture alternative à Rennes. L’année suivante, ils nous ont réinvités. Il y avait tellement de monde dans la salle qu’on a à peine réussi à atteindre la scène», se rappelle Stéphane Jaccottet. Peut-être le plus beau souvenir du groupe.
Car, de joies en peines, de voluptés en déchirements, le groupe sacrifie un à un ses membres aux espoirs de succès. A trois, il enregistre encore Mélodrame en IV actes (en 1996), disque testamentaire qui lui vaudra le plateau de Nagui, aux côtés de Fiona Apple et Michel Fugain.


«Gloriole locale éphémère»
«Je ne crois pas qu’on soit passé à côté du succès, relativise Xavier Alonso. On aurait difficilement pu en faire davantage.» Aujourd’hui, de cette «petite gloriole locale éphémère» dixit Serge Gremion, il reste une poignée de titres indispensables, tels Les paladins et son inspiration rimbaldienne ou Je sais, parfait exemple de l’attitude rock cérébré du Bal du Pendu. Tout comme demeure le souvenir d’une aventure humaine avec ses bons moments, ses couacs et cette amitié enfin rabibochée.
Et des regrets? «Peut-être a-t-on passé trop de temps à essayer de mieux jouer nos morceaux? se disent-ils. On aurait dû composer davantage de chansons, car on a trop tourné en rond…»
Vendredi soir, Le Bal du Pendu montera sur la scène d’Ebullition pour la première fois depuis quinze ans et, sans doute, pour la dernière fois… Avec un brin de nostalgie, même si «on ne fait pas semblant d’avoir 22 ans», décrète le groupe. Et, du coup, il donne ainsi aux dinosaures d’Ebullition l’occasion unique de montrer à leurs enfants une fenêtre sur la préhistoire du rock en Gruyère…

Bulle, Ebullition, vendredi 11 mai, 21 h. Infos: www.ebull.ch

http://video.mytaratata.com/video/iLyROoaftyPK.html

 

-----------------

 

«En 1992, on était devenus populaires»
Contrairement au Bal du Pendu, les mentors de The Living Sons – Laurent Bronchi et Vincent Yerly – n’ont jamais vraiment arrêté la musique. D’ailleurs, le groupe qui se produira à Ebullition vendredi se nomme bien DMD (Depeche Mode Deconstruction). «Nous ferons une “déconstruction” actuelle de quatre titres des Living Sons au milieu de notre set habituel de reprises rock de Depeche Mode, annonce le guitariste Vincent Yerly. Pour l’occasion, nous accueillerons sur scène nos deux anciens compères Beat Gebhard (batterie) et Christian Berset (guitariste).»
Après avoir appris le piano dès l’enfance, le Bullois intègre The Living Sons en 1989. «J’avais 17 ans, j’étais le petit frère qui rentrait en bus après la répétition.» A quatre autour du chanteur Laurent Bronchi, le groupe enregistre un premier disque en 1990 sous la houlette d’Al Comet. «On jouait une musique très sombre, influencée par la cold wave de Joy Division, avec des sons très ambient», se souvient l’informaticien. «Je me rappelle très bien d’un concert à la halle Ritter, en première partie des Young Gods. C’était hypergothique!»
Avec des paroles en anglais et en français, le groupe se taille rapidement une petite réputation en Suisse. «En 1992, on a sorti Désordre, notre second album. Toute la presse était derrière nous, on passait à la radio et on a fait la tournée des grands ducs en Suisse avec une structure autour de nous. On était devenu populaires», raconte Vincent Yerly. Ce qui amène naturellement le groupe à jouer devant de plus en plus de monde, avec un point culminant lors du Balélec, à Lausanne en 1994. «Il devait y avoir entre 5000 et 10000 personnes quand on a joué, en première partie de Radiohead qui venait tout juste de sortir Creep
En 1995, The Living Sons achève sa carrière sur un ultime concert à Fri-Son. «En cinq ans de concerts et d’enregistrements, les styles de musique ont changé et nous aussi. On avait abouti à ce qu’on voulait et on commençait à tourner en rond. On n’aurait pas pu aller plus loin sans se compromettre», analyse Vincent Yerly, qui ne retient de cette expérience «aucune ombre au tableau». Un temps bassiste professionnel avec Fou, le Bullois continuera de jouer avec Laurent Bronchi au sein de plusieurs groupes (Soap TV, Clipperton, DMD). Il cosignera également avec Jacques Roubaty l’excellent album d’Electrobolt (en 1999) et prépare actuellement le second opus de cette formation atypique. CD

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses