PAR KARINE ALLEMANN
Dans une autre vie, Maria Sapin née Dornacher a dû être une aventurière. Aliénor d’Aquitaine peut-être, seule souveraine à partir en croisade avec les hommes. Ou alors chevalière. A la Table ronde, bien sûr. Le cœur pur et du courage à revendre, elle aurait mené campagne au côté du roi Arthur.
Mais la jeune femme de 34 ans est née au XXe siècle. Alors, si elle combat épée à la main, c’est dans une cuirasse blanche, derrière un masque en grille métallique et sur une piste bien définie de 14 mètres de long et 2 mètres de large. Demain, la sociétaire du Cercle d’escrime de Romont disputera une Coupe du monde à Leipzig.
Avant cela, elle a pris part samedi aux championnats fribourgeois organisés à Romont. «C’est normal de venir, par respect pour les organisateurs et pour les autres clubs.» Rencontrée à cette occasion, la mère de famille établie depuis quelques années dans une ferme à Saint-Ours revient sur son incroyable parcours.
«L’escrime a toujours été une évidence pour moi. Mais mes parents ne voulaient pas que j’en fasse. Dans les années 1980, un type avait été transpercé et était mort pendant les championnats du monde…» Mais Maria Dornacher – son nom de jeune fille – a commencé très tôt à affirmer un certain caractère. Voire un caractère certain. Alors, à 12 ans, elle obtient enfin le feu vert de ses parents et découvre ce sport à Fribourg grâce au Passeport-vacances.
Les résultats sont immédiats: «Mon premier tournoi a été les championnats romands, que j’ai gagnés. Puis j’ai terminé deuxième d’un critérium national. Mon maître d’armes de l’époque m’a dit qu’il était prêt à s’investir pour moi. Mais il m’a avertie que les leçons se termineraient quand je m’écroulerais. Sur le moment, je n’ai pas voulu le croire. J’aurais dû…»
A 15 ans, la jeune Maria se qualifie pour les Mondiaux cadets au Mexique. «Je suis allée jusque là-bas pour… perdre d’une touche contre une fille de mon club. Le jour de mon anniversaire! Heureusement, je me suis vengée quelques années plus tard en Coupe du monde. Elle menait 14-5 et j’ai gagné 15-14. Demandez à tous les escrimeurs, ils vous diront qu’un tel retournement de situation n’est pas possible.»
Outre le travail, donc, c’est bien le mental qui fait la différence. «Ma principale qualité a toujours été l’esprit de combat. Techniquement, je n’ai pas pu bénéficier de beaucoup de leçons privées, contrairement à d’autres au niveau international. Je compense donc par une grande force mentale. J’ai fait de la boxe pendant une année et je peux dire que c’est très similaire. Je retrouve les mêmes sensations.»
Si la Fribourgeoise d’origine hongroise – ses parents sont arrivés en Suisse en 1956 après les événements de Budapest – a réussi une belle carrière internationale étant jeune, donner naissance à quatre enfants l’a contrainte à une pause. Avant un retour au plus haut niveau.
Deuxième du ranking suisse
En 2011, elle se classe 3e d’une Coupe du monde et remporte le titre de championne de Suisse par équipe avec Fribourg. Peu après, en novembre, une grosse blessure à la cheville la prive d’escrime durant plusieurs mois. Cela fait quatre semaines seulement que la sociétaire de Romont s’est remise à la compétition. Avec, à la clé, une deuxième place au Marathon de Zurich et une victoire en circuit national à Lausanne, qui lui permet de retrouver sa place de numéro deux helvétique.
Mais l’essentiel est ailleurs. Car Maria Sapin-Dornacher est partie en croisade. «Je me bats pour toutes les mamans qui souhaitent rester actives. Quand j’ai voulu recommencer, des gens m’ont dit que la place d’une maman était dans sa cuisine! Alors moi, j’ai envie de leur en boucher un coin! D’ailleurs, à me battre sur tous les fronts, je suis meilleure aujourd’hui qu’avant.»
Salle d’armes au galetas
Pour s’entraîner, l’épéiste s’est construit une salle d’armes dans le galetas de sa ferme, à Saint-Ours. «Et je cours 10 km par jour. Mais je le fais à minuit, quand mes enfants sont couchés. Je n’ai pas la télé, alors je m’entraîne (rires).» Educatrice spécialisée de profession, Maria Sapin-Dornacher n’a plus d’activité professionnelle, si ce n’est les heures d’escrime qu’elle dispense dans son galetas ou en salle de gym avec ses élèves du club qu’elle a créé, Les petits chevaliers de Saint-Ours.
Les années qui passent n’ont rien changé à la fougue qui l’anime. L’épéiste sourit quand on lui demande si elle est fan de littérature fantastique et de mythologie celtique. «Pas spécialement, non.» N’empêche que, sur le masque qu’elle porte en compétition, se trouvent les photos de ses quatre enfants. Ils se nomment Galadrielle, Merlin, Mélusine et Tabata.
Soit les noms d’un elfe, d’un enchanteur, d’une fée et d’une sorcière. Quand on vous disait que Maria Sapin-Dornacher descendait tout droit de la Table ronde…
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