Travailler la terre pour garder un lien avec l’essentiel

| jeu, 16. aoû. 2012
Deuxième plus grande exploitation agricole de Suisse, Bellechasse vit en quasi-autarcie: de la viande aux œufs en passant par les fruits et légumes, presque tout est produit sur le domaine du pénitencier. Deuxième volet d'une série de trois.


PAR ERIC BULLIARD


Il cite Sénèque, estimant qu’on ne doit pas punir pour une faute commise, mais pour empêcher qu’elle le soit à nouveau. Agent de détention à La Sapinière, foyer qui accueille une vingtaine de résidents, à l’écart des bâtiments principaux de Bellechasse, Ralph Guillod en est convaincu: le travail des détenus est essentiel en vue de leur réinsertion, de leur resocialisation. Et, dans ce contexte, agriculture et élevage tiennent un rôle primordial.
«Le travail de la terre représente un retour aux origines, souligne Ralph Guillod. Nous avons des gens de tous les pays. Ils apprennent des choses simples qu’ils peuvent reproduire ensuite.» A La Sapinière, on parle plus volontiers de résidents que de détenus: vivent ici des personnes qui purgent une courte peine, qui ont des problèmes psychiques, ou des addictions. Ou encore qui ont été placées en vertu de l’article 397 du Code civil, soit en privation de liberté à des fins d’assistance.
Autour de La Sapinière, en serres ou à l’extérieur, poussent des tomates, des asperges, des aubergines… Un magasin propose de la vente directe, au détail. Le long de la route, on découvre même une petite plantation de sapins de Noël. Et ce n’est là qu’une modeste partie du domaine de Bellechasse, deuxième plus grande exploitation agricole de Suisse, après Witzwil. Un autre pénitencier. Un voisin.
«Bellechasse a vu le jour sur d’anciens marais, asséchés au XIXe siècle lors de la correction des eaux du Jura», explique Martin Hertach, chef de l’exploitation agricole, en montrant des mouvements de terrain où se devine encore l’ancien cours de l’Aar. Aujourd’hui, Bellechasse compte 365 hectares de surface agricole utile. Dont une centaine de céréales, 17 de légumes, autant en biotopes…


Veaux, vaches, cochons…
Outre le travail des détenus, l’exploitation a un autre but: permettre une quasi-autarcie. «A part le riz, les pâtes et les huiles, tout provient d’ici», souligne Martin Hertach. Fruits et légumes sont entièrement produits sur place. La viande également, qu’elle soit d’origine bovine, ovine ou porcine.
Bellechasse compte 100 vaches laitières, une septantaine d’allaitantes (des limousines), 340 cochons et 300 moutons, un élevage qui prend de l’ampleur, de plus en plus de détenus ne mangeant pas de porc. Sans oublier une septantaine de génisses, en ce moment sur l’alpage de Teysachaux, 300 poules pondeuses, des dindes, des chevaux (dont 40 poulains), des taureaux et même des abeilles…
Au total, 24 employés-surveillants travaillent sur le domaine agricole, ainsi qu’une quarantaine de détenus. «Il y a une multitude de travaux, réalisés individuellement ou en groupe», poursuit Martin Hertach. Pour le visiteur, ce travail dans les champs est l’une des facettes étonnantes de Bellechasse. Certaines halles, à l’arrière de l’ancienne colonie pénitentiaire, sont sécurisées par de hauts grillages, mais on croise aussi des détenus seuls, à l’extérieur, parfois sur un tracteur. «Les tentatives d’évasion restent rares», selon Martin Hertach.


Réveiller la volonté
Il faut dire aussi que ceux qui occupent ces postes sont choisis: ils se trouvent plutôt en fin de peine et ont prouvé qu’on pouvait leur faire confiance. «Il y a beaucoup de demandes, indique Martin Hertach. Les détenus aiment le travail à l’extérieur et le contact avec les animaux. Les chevaux, par exemple, sont très intéressants pour les thérapies.»
Qu’il se déroule dans l’agriculture, la menuiserie, la mécanique, l’électricité, la peinture ou ailleurs, le travail permet de se responsabiliser et se révèle utile en vue de la sortie. «Il arrive qu’un détenu suive un apprentissage. Pour nous, c’est une réussite: il est sauvé! Nous devons essayer de réveiller leur volonté. Je suis convaincu que c’est une bonne chose pour l’avenir de cette personne et de la société.»
Avec les animaux de la ferme, le lien avec la réalité se fait parfois cruel: Bellechasse possède un abattoir et une boucherie, où sont tués, toutes les deux semaines, six à huit porcs et un bovin. «Souvent, il y a des pleurs quand on doit amener un animal…» On croit volontiers Martin Hertach, après avoir vu un homme embrasser des veaux, qui lui rendent son affection à grands coups de langue…


D’hier et d’aujourd’hui
Reste que Bellechasse n’est pas tout à fait une exploitation comme les autres. Elle possède certes un parc de machines important, mais pas question ici de rationaliser, de moderniser à outrance: «Nous devons maintenir une part importante de travaux manuels, à titre d’exemple pour les détenus.» Au cours de la visite, on découvre ainsi des installations dernier cri, comme ce fenil à déshumidificateur, le chauffage à distance (à copeaux) ou cette toute nouvelle centrale de biogaz, qui, à partir du lisier et de divers déchets organiques, produit de quoi alimenter en électricité 250 ménages par an.
A l’inverse, quelques minutes plus tôt, Martin Hertach ouvrait une pièce où sont conservés une multitude de harnais. «Il y en a même pour les bœufs… Si nous devions revenir au temps des chevaux, nous pourrions.» Une manière aussi de se souvenir que ce n’est pas d’aujourd’hui que l’agriculture, à Bellechasse est «une forte carte à jouer».

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