Camionneur ou le parcours du combattant sur les routes

| jeu, 13. sep. 2012
Chicanes, giratoires, routes étroites. Difficile de circuler dans la région bulloise, au volant d’un camion. Encore moins quand l’engin est affublé d’une remorque. La preuve par l’essai. Des solutions simples pourraient pourtant être envisagées.

PAR PRISKA RAUBER


Le camion, un mal nécessaire. «Il faut bien se rendre compte qu’on n’a pas le rail ici. Rien que pour les livraisons des centres commerciaux, il faut bien des camions.» André Frossard, comme les autres camionneurs du coin, admet qu’il en bave sur les routes de la région. Non seulement à cause des problèmes pratiques qu’il rencontre – chicanes, rétrécissements de chaussées ou giratoires – et des risques d’accidents qu’ils induisent. Mais aussi, à cause de la grossièreté de certains automobilistes impatients et de la maladresse des urbanistes, «qui devraient peut-être passer quelque temps au volant d’un poids lourd avant de concevoir leurs infrastructures».  
Alors, pour que nous autres puissions nous rendre compte de ces difficultés et «qu’au moins un automobiliste de moins  nous fasse l’honneur de ses coups de klaxon et de ses gestes obscènes», il a accepté de nous emmener dans son engin de plus de 16 mètres de long et de 2,50 m de large (sans compter les rétroviseurs)!
Les problèmes commencent tout de suite. Notre chauffeur travaille chez Swiss Car Barras SA, une entreprise basée à Riaz. Nous devons donc emprunter le fameux rond-point qui a déjà fait parler de lui. «Malgré les corrections réalisées, d’où l’on vient (route de Corbières), il est toujours impossible de tourner directement sur Marsens, indique André Frossard. L’avant de la cabine toucherait l’îlot séparant la chaussée côté hôpital et la remorque mordrait le trottoir.» Un trottoir avec bordure à angle vif en granit, qui peut causer des dégâts sur les pneumatiques. Sans compter qu’aux autres sorties, il est nécessaire de mordre sur la voie de gauche pour prendre la route.
«Le problème concerne tous ceux qui viennent des gravières pour aller à Vuippens. Car ils sont obligés de passer par là, à cause des restrictions de poids sur le pont d’Echarlens. Ils n’ont d’autres choix que de réaliser un tour complet.» Il enrage. Parce que ces points ont été mentionnés aux services de l’Etat concernés lors de la construction. Par son entreprise comme par les TPF, dont les chauffeurs suent eux aussi à chaque passage. «A chaque fois qu’on dit que ça n’ira pas, les choses se font quand même et si cela ne va vraiment pas, elles seront modifiées. Mais bonjour l’écoute, la remise en question et la facture.»


Pas pour embêter
Direction le rond-point Denner, à Bulle, où le camionneur reçoit plus que son quota de doigts d’honneur. Il explique qu’il est obligé de se mettre au milieu des deux présélections pour parvenir à prendre le giratoire. «Ce n’est pas pour embêter les automobilistes. Mais ils ne comprennent pas.» Après trente ans passés sur les routes, il ne s’est toujours pas fait à ces grossièretés. Encore moins l’hiver, lorsqu’il déneige la ville. Mais c’est un autre sujet.
André Frossard comprend que ces chicaneries ont pour but de pousser le trafic sur la H189, «mais reste que les camions sont obligés de passer par la ville, pour les livraisons ou les constructions.» De se rendre même dans les quartiers de villas. Dans les nouveaux lotissements en effet, il y a du mazout à procurer et des machines pour creuser et terrasser à amener. Et là, foi de camionneurs, c’est le pire des guêpiers. Pourtant aguerris aux passages millimétrés, aux manœuvres «rétrovisées», ils ont parfois besoin d’une matinée entière pour aller y déposer un tracks. On fera le test aux Granges. Entre les plots, l’étroitesse de la chaussée et les virages serrés, on a bien failli y rester. Coincés.


Des pourquoi
Testons à présent la route du Vieux-Comté, au centre de La Tour-de-Trême. Entre la nouvelle priorité de droite devant la poste pas encore intégrée dans les esprits, la largeur de la route et le rond-point du Jardin anglais, André Frossard n’a pas droit à la déconcentration. Attention constante aux vélos, aux véhicules arrivant à droite, en face… Croiser un autre camion est scabreux. Avec une remorque, le rond-point se prend tout droit. «Impossible de faire autrement que de passer dessus. D’ailleurs, ils ont décentré le pot de fleurs.» Plus impossible encore de tourner vers la rue du Vieux-Pont en une manœuvre.
Nous n’aurons pas le temps de sillonner toute la région, d’aller jusqu’à Montbovon, où les chauffeurs galèrent aussi dans des virages serrés ou vers le stade bullois, où les livreurs redoutent de renverser quelqu’un cheminant sur les trottoirs, qu’ils doivent emprunter eux aussi pour croiser.
En retournant à Riaz, l’engin se heurte encore au rond-point du fond de la Rietta. «Il suffirait juste de le laisser à plat et les problèmes seraient réglés.» Pour André Frossard, il est difficile de justifier certains choix: «Pourquoi les diamètres de certains îlots centraux de giratoires sont-ils si larges, au détriment de la chaussée? Pourquoi des courbures de ronds-points si serrées? Pourquoi rétrécir à ce point les routes, obligeant les camions à mordre la bordure pour se croiser ou mordre la voie de gauche pour tourner? Pourquoi ajouter tant de chicanes, dont certaines sont extrêmement mal placées pour les poids lourds? Pourquoi des bordures à angles vifs? Pourquoi des gendarmes couchés à fleur de passages piétons? C’est trop tard pour ralentir», estime André Frossard.
Et de conclure que «des solutions simples pourraient être envisagées pour faciliter la vie des chauffeurs de camion, de bus et de chasse-neige, tout en maintenant le but de ces infrastructures».

 

---------------------

 

«Certes, ils en sont victimes»
Jean Hohl, l’ingénieur de ville, est conscient que certains aménagements – destinés «à ralentir la vitesse, rendant ainsi les trajets plus longs par la ville et poussant donc les automobilistes à emprunter la route de contournement» – compliquent le passage des chauffeurs de camions, de bus et de chasse-neige. «Certes, ils en sont victimes, mais ils peuvent toujours passer, partout.»
Il relève que chaque aménagement a été pensé. Si l’îlot central d’un giratoire est aussi large, au détriment de la chaussée, c’est pour dévier l’axe du trajet. Si les chaussées sont si étroites, c’est pour ralentir la vitesse. «Et le problème ne concerne qu’un véhicule sur 10000.» Inutile donc de peindre le diable sur la muraille. Et encore moins, comme les chauffeurs de poids lourds pourraient l’espérer dans un monde idéal, consulter les intéressés avant d’envisager certaines infrastructures.
«Nous vivons dans un monde idéal, confie Jean Hohl. Qui édicte des normes, fixe des largeurs, etc. La prise orale de suggestions est donc inutile.» PR

Ajouter un commentaire

CAPTCHA
Cette question est pour tester si vous êtes un visiteur humain et pour éviter les soumissions automatisées spam.

Annonces Emploi

Annonces Événements

Annonces Immobilier

Annonces diverses