Bernard Bovet, souvenirs d’un patriarche gruérien

| jeu, 08. nov. 2012
Le cinéaste Nasser Bakhti consacre un film au Gruérien Bernard Bovet. "Le vieil homme à la caméra" est en avant-première le week-end prochain au Prado de Bulle. Le film retrace les souvenirs du vieil armailli, 94 ans aujourd’hui.

PAR YANN GUERCHANIK



Bernard Bovet n’est pas suisse comme tout le monde, il est gruérien comme personne. Ses grandes mains semblent éternellement cacher des morceaux de montagne et ses lèvres soufflent des «r» roulés dans la terre et le patois. Son corps raconte plus d’un demi-siècle d’alpage et ses souvenirs éclatent entre des sourires malicieux et des larmes arrachées à la pudeur.
Bernard Bovet est tout entier dans un film, Le vieil homme à la caméra, que le public gruérien pourra découvrir en avant-première au Prado de Bulle, le dimanche 18 novembre. Le cinéaste Nasser Bakhti, notamment producteur du documentaire Romans d’ados et réalisateur du film de fiction Aux frontières de la nuit, a suivi ce patriarche pendant près de trois ans.
«J’ai rencontré Bernard Bovet en 2007, confie le cinéaste d’origine algérienne. Nous tournions un reportage au chalet des Reybes quand j’ai vu ce bonhomme incroyable qui n’arrêtait pas de fixer la caméra.» Le cinéaste apprend très vite que le Gruérien à lui-même filmé en amateur pendant des années. Caméra Super 8 au poing, Bernard Bovet a inscrit sur la pellicule les vaches à cornes, les chalets d’alpage, les montagnes avec les femmes et les hommes qui les animent.


L’authenticité d’un témoignage
Comme Nasser Bakhti ne met jamais «l’humain» ailleurs qu’au premier plan, il ne pouvait passer à côté d’un tel sujet, capable de livrer un témoignage authentique et de se présenter comme la mémoire d’un lieu. Sans jamais forcer le trait ni la main de Bernard Bovet, le cinéaste genevois accompagne la fragilité et la force des souvenirs que le Gruérien met en marche.
Depuis, Nasser Bakhti voue une tendresse particulière pour le vieil homme. Mardi, il est venu le trouver dans sa chambre du Home de l’Intyamon pour lui parler de la projection. «J’aimerais tellement qu’il puisse prononcer quelques mots à l’occasion de l’avant-première.» Dans le film, le neveu de l’abbé Bovet soupèse chaque phrase qu’il prononce. Quatre ans après le tournage, les mots se font plus rares.
A 94 ans, Bernard Bovet a le dos un peu plus éreinté, le regard un peu plus bas. Mais en un éclair, on retrouve encore chez lui l’illustration d’une réplique qu’il tient dans le film: «Dans la vieillesse, il faut continuellement essayer d’avoir un équilibre dans notre part d’émotion et dans notre part de raison. Il faut avoir dans la tête un vieillard, et dans le cœur toujours un petit enfant.»
Le vieil homme à la caméra, c’est l’histoire du temps qui passe, en plus des souvenirs d’un Gruérien parmi les siens. Un adieu à la montagne que Bernard Bovet a célébré à travers ses petits films et qu’il raconte à présent dans le long métrage qui lui est consacré. «Faire du fromage ou filmer avec une caméra, vous voyez la distance?» interroge-t-il amusé. Pas si longue en fin de compte.

Bulle, Prado, le 18 novembre à 11 h, dès le 21 novembre à 18 h. Châtel-Saint-Denis, Sirius, le 19 novembre à 20 h, dès le 22 novembre à 20 h 30

 

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Des plans fixes sans artifices
Le réalisateur Nasser Bakhti a tiré 118 heures de rushes de sa rencontre avec Bernard Bovet. A cela s’ajoutent les nombreux films que le Gruérien a lui-même tournés en amateur. La matière filmique ne manquait pas. «Il a fallu se résoudre à faire des choix parfois cruels, explique le cinéaste. Mais je rajouterai quelques moments forts dans le DVD à venir.» Ainsi, par exemple, les petits films de Bernard Bovet ne sont utilisés qu’avec parcimonie dans Le vieil homme à la caméra. Le cinéaste genevois a posé son regard ailleurs: les films de Bernard Bovet sont des instants pris à la course du temps et des souvenirs, il s’est dépêché plutôt de capter celui qui a filmé et d’enregistrer sa parole.
On voit toutefois le Gruérien dans un exercice qu’il répétait avec plaisir: ses bobines sous le bras, il aimait transformer les homes de la région en cinéma Paradiso. A plusieurs reprises, des séquences clés montrent, dans une superposition poétique de deux images, Bernard Bovet en présence de son double jeune et vigoureux. En fil rouge, on retrouve aussi l’amitié profonde que ce dernier partage avec Jean Pythoud, né en 1918, tout comme lui.
Si les noms des personnes et des lieux apparaissent tous au générique de fin, il n’en est pas fait mention dans le documentaire lui-même. «Pas besoin d’insister dans ce cas-là, confie Nasser Bakhti. Si les spectateurs sont pris par l’histoire, ils n’auront pas besoin de commentaire sur le moment.» De fait, l’œuvre possède une composante universelle, soulignée par le prix du meilleur réalisateur au Festival mondial du documentaire de montagne de Qinghai 2012, en Chine. Notons encore un soin pertinent apporté au cadrage: «Je voulais être proche et à l’écoute en les filmant de près mais sans être intrusif, indique le réalisateur. En intérieur, des plans fixes sans artifices sont tenus le plus longtemps possible avec une seule caméra pour m’obliger à faire des choix et aller à l’essentiel au montage. Rien ne pouvait être refait pour la caméra.» YG
 

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