PAR DOMINIQUE MEYLAN ET JEROME GACHET
Elu fin 2011 au Conseil fédéral, le Fribourgeois Alain Berset (40 ans) dirige depuis un an le Département fédéral de l’intérieur (DFI). Santé, assurance invalidité, retraite… il a hérité de quelques-unes des préoccupations majeures des Suisses.
En 2012, le socialiste a lancé de nombreuses réformes. Et ce n’est pas tout: comme il l’a annoncé à La Gruyère, il présentera très prochainement son projet de Santé 2020. Interview dans ses bureaux du DFI à Berne.
Vous devez maintenant concrétiser vos projets. 2013, année de tous les dangers?
C’est vrai que c’est une année charnière. En arrivant au DFI, j’ai commencé par une phase de réflexion. A l’automne, de grands chantiers se sont ouverts. En 2013, ces dossiers vont se poursuivre au Conseil fédéral et au Parlement.
Respectez-vous l’agenda que vous vous étiez donné?
Je suis dans les délais, il est vrai très serrés, que j’ai imposés à mon département. Il ne faut pas oublier que le DFI est un paquebot: 2500 personnes y travaillent et le budget s’élève à presque 20 milliards de francs.
Vous avez commencé par revoir deux décisions prises par vos prédécesseurs. Une manière de vous démarquer?
Non. J’ai simplement tenu compte des rapports commandés pour évaluer ces décisions. Concernant le remboursement des lunettes pour enfants, les études arrivent clairement à la conclusion qu’il s’agit d’une erreur de supprimer cette prestation. Quant aux tarifs de laboratoire, la diminution de revenu pour les médecins en cabinet était beaucoup plus importante que souhaitée.
Les défis ne manquent pas: comment allez-vous convaincre les Suissesses de travailler jusqu’à 65 ans?
Il est nécessaire d’agir dans ce domaine. Si rien ne change, le budget de l’AVS commencera à être déficitaire en 2020. Dix ans plus tard, les déficits pourraient s’élever à 9 milliards de francs par année.
Si l’âge de la retraite des femmes est fixé aujourd’hui à 64 ans, dans les faits il s’élève en moyenne à 62,6 ans. Nous voulons en effet fixer un âge de référence de 65 ans pour les deux sexes, mais l’idée serait ensuite de favoriser la flexibilité.
Pour moi, l’élément central de cette réforme est le maintien du niveau des rentes. Pour la première fois depuis longtemps, le Conseil fédéral a intégré cette volonté. Les femmes souffrent d’un mauvais positionnement de leur 2e pilier. Parce qu’elles travaillent souvent à temps partiel ou qu’elles ont interrompu leur carrière.
Autre dossier sensible: l’initiative sur la caisse publique. Comment avez-vous convaincu le Conseil fédéral de proposer un contre-projet, alors qu’il était jusque-là opposé à l’idée d’une compensation des risques?
Avec des arguments! A l’origine, le système de la LAMal prévoyait une concurrence basée sur la qualité des services. Or, cela a évolué vers une sélection des risques, avec la tentation, compréhensible certes, de repousser les mauvais risques. Au moment où l’initiative est arrivée, le Conseil fédéral était précisément en train d’y réfléchir. La compensation des risques est une thématique développée depuis plusieurs années. Nous proposons de la compléter avec une mutualisation des coûts les plus élevés, couplée à une réflexion sur la séparation des assurances de base et des assurances complémentaires.
Ce contre-projet ressemble à une caisse unique, même s’il n’en porte pas le nom…
On ne peut pas formuler cela ainsi. Je crois qu’en proposant un contre-projet nous admettons que des améliorations dans le système d’assurance maladie sont nécessaires.
Passons à la question de la pénurie de médecins de premier recours. Vous avez proposé des mesures. Mais comment améliorer la rémunération de ces praticiens sans augmenter les coûts de la santé?
Les médecins de famille sont rétribués via un tarif appelé Tarmed. Depuis le 1er janvier, le Conseil fédéral a la compétence de modifier la structure du Tarmed, lorsque les partenaires tarifaires ne s’entendent pas.
J’ai déclaré clairement que j’étais prêt à le faire. Mais je souhaite aussi que cette revalorisation de la médecine de famille soit neutre en termes de coûts pour les assurés. Cela signifie compenser ailleurs. Nous som-mes en train d’y réfléchir.
Parlons de votre manière de procéder. Votre projet de réforme de l’AVS, par exemple, n’est celui d’aucun parti… sans être très éloigné de chaque parti. Est-ce cela le style Berset?
Oui, c’est vrai. Si chaque parti campe sur des positions dogmatiques, rien n’avance. Ma méthode s’apparente à la recherche d’un équilibre, où chacun va devoir lâcher un peu de lest pour trouver un accord avec l’autre partenaire.
Mais les positions sont relativement tranchées. Une partie de la droite refuse de coupler les thèmes de l’AVS et du 2e pilier...
Certains veulent qu’on généralise immédiatement la retraite à 65 ans, d’autres réclament un frein aux dépenses… Mais personne n’a considéré que le projet du Conseil fédéral n’était pas une base solide de discussions. C’est un premier pas.
Dans cette fonction, avez-vous dû renoncer à apporter une touche socialiste à votre travail?
Ce n’est pas à moi de le dire. Il est clair que je fais de la politique au Parti socialiste depuis longtemps. Mais mes valeurs se recoupent aussi largement avec celles d’autres partis. Je dois surtout proposer des projets qui ont une chance d’aboutir. Je ne peux pas agir comme si j’étais tout seul. J’ai suffisamment d’expérience en politique pour savoir que, à la fin, seules les majorités comptent.
La plupart des dossiers que vous traitez concernent directement tous les Suisses. Cela vous donne-t-il le vertige?
Pas le vertige, mais un immense respect devant la tâche. Quand je sors dans la rue, tous les gens que je croise sont concernés par les primes maladie. J’ai envie de faire avancer les domaines de la santé, du social, mais aussi de la culture. Avec comme principe la solidarité entre les générations, entre les personnes malades et celles qui se portent bien. Je m’efforcerai de soutenir cette cohésion sociale qui fait certainement la force de notre pays.
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«Dix à douze séances par jour»
L’agenda d’Alain Berset ressemble au jeu vidéo Tétris, où il s’agit d’emboîter des formes différentes qui arrivent de plus en plus vite. Pas une seule plage horaire libre et cela, du matin au soir. Illustration: «Pour vous dire, nous avons fixé l’apéritif de fin d’année avec les collaborateurs le 5 novembre, un lundi soir, parce que nous n’avons pas trouvé d’autre moment…»
Contre-la-montre quotidien
Dès son départ de Belfaux à 7 h, il commence son contre-la-montre: «Durant le trajet, je parcours les journaux et je me tiens informé. Arrivé à mon bureau, je relis les dossiers et prépare les séances. A 8 h, je tiens chaque matin un briefing avec mes proches collaborateurs pour parler des événements de la veille et de la journée à venir.»
C’est le début d’une succession de séances. «Entre dix et douze par jour, parfois. Ça se joue à la minute près», explique-t-il, énumérant les rencontres à son bureau, les séances en commission ou les débats au Parlement, ainsi que les rendez-vous à l’extérieur. Et partout où il se trouve, le conseiller fédéral est au centre de l’attention. «A la 7e ou 8e séance, il m’arrive de décrocher durant dix secondes. Je ne le cache pas.»
Il va ainsi de la signature d’un accord avec un ministre chinois à un coup de fil à l’écrivain Joël Dicker, à qui le Goncourt vient d’échapper, pour finir avec une discussion sur sa carte de vœux avec un designer.
Alain Berset est rarement seul. Et quand il l’est, le chauffeur, l’huissier ou un autre collaborateur n’est jamais très loin…
Si l’on en croit son agenda, qu’il a ouvert pour nous, les journées du Fribourgeois se terminent vers 18 h ou 19 h. Sauf que cela ne reflète pas la réalité… «En fait, c’est le moment à partir duquel le chauffeur est en stand-by», précise son attachée de presse Nicole Lamon. Le Belfagien finit plutôt ses journées vers 20 h ou 23 h.
Arrive-t-il à dégager du temps pour sa famille? «Oui, répond-il. C’est une question d’organisation. J’ai l’avantage de pouvoir bloquer certains moments le soir ou le week-end.»
«Une avalanche de sollicitations»
Il ne se dit pas autrement surpris par la nature de son travail. «Même s’il est difficile de se préparer à une telle avalanche de sollicitations, confesse-t-il. C’est sûr que, comme conseiller fédéral, on ne pose pas le veston vendredi soir pour le remettre lundi matin. Heureusement, je peux m’appuyer sur une équipe très engagée.» Parmi les éléments qui l’ont étonné depuis sa prise de fonction, «le climat très ouvert qui règne au Conseil fédéral. On discute, on échange, on cherche des solutions en commun. Plus que ne le laissent croire les journaux», sourit-il. DM/JG
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