Par Angélique Rime
Dans le canton de Fribourg, un médecin de premier recours sur deux a plus de 54 ans. Tel est le constat qui ressort des statistiques de la Société de médecine du canton. Alors que la relève se fait rare, ce type de praticien est-il une espèce en voie de disparition. «Après ma génération, il y a un trou de quinze ans», déclare Ruedi Leuzinger, 61 ans, généraliste à Semsales. A temps partiel, le Veveysan cherche un collaborateur depuis plus de quinze ans.
«Il n’y a simplement personne d’intéressé. J’ai même utilisé les services d’un site français pour m’aider dans mes démarches, sans succès.» Ce discours, la plupart des médecins interrogés le reprennent. Nombre d’entre eux continuent d’ailleurs leur activité, bien qu’ils aient dépassé l’âge de la retraite.
Certains sont toutefois plus chanceux. A Broc, le Dr Denis Mauron a trouvé un remplaçant en la personne de Franck Cauden, un Français de 41 ans (voir encadré). A Charmey, la succession d’Etienne Genoud est également en bonne voie. «J’y croirai quand il sera là, mais un Français de 50 ans devrait s’installer le 1er juillet. Une deuxième doctoresse, suissesse, devrait également intégrer les locaux d’ici début 2014», décrit le praticien de 66 ans qui ne cache pas son soulagement.
Malgré ces deux successions assurées, la situation dans le canton reste «préoccupante», selon Jacob Hetzel, délégué fribourgeois de l’association Médecins de famille suisse. «Le groupe des généralistes est vieillissant. En Glâne et en Veveyse, c’est la zone! Il n’y a que Bulle et Fribourg qui réussissent à tirer leur épingle du jeu.» Et le praticien de Villars-sur-Glâne d’ajouter: «Nous allons nous mettre les pays européens sur le dos, car on leur pique leurs médecins.»
L’attractivité du groupe
La bonne situation des chefs-lieux s’explique notamment par la création de cabinets de groupe. «Aujourd’hui, les jeunes ne veulent plus s’installer seuls», constate Pierre-André Etienne, généraliste à La Roche. Médecin dans un cabinet de groupe à Bulle depuis plus de trente ans, Bernard Huwiler, 67 ans, confir-me l’attractivité de ce type de structure: «Le remplacement des médecins qui partent à la retraite est un peu moins problématique. Chez nous, deux se sont installés récemment.»
Et Bernard Huwiler de préciser: «Nous avons mis en place un forfait qui facilite leur établissement au niveau financier. Les conditions de travail sont également un facteur positif. Nous pouvons plus facilement suivre des formations continues et confier nos patients à nos confrères durant les vacances.» Cette solution convient aussi très bien aux femmes qui désirent exercer à temps partiel et qui sont de plus en plus nombreuses à entreprendre des études de médecine.
Meilleure répartition
Mais la concentration en ville des médecins de premiers recours (n.d.l.r.: généraliste, interniste ou pédiatre) inquiète. Pour Jacob Hetzel, une réorganisation des ressources est nécessaire afin d’éviter des mauvaises répartitions. «Au Québec, avant de s’installer en ville, les médecins de famille doivent d’abord exercer deux ou trois ans dans un coin retiré du pays. Pourquoi ne pas mettre en place cette solution en Suisse?»
Pour attirer les jeunes médecins dans des lieux plus retirés, certains ont misé sur des locaux rénovés. A Charmey, le Dr Genoud a déménagé près du home, dans un cabinet flambant neuf prévu pour deux médecins. «La commune a mis le terrain à disposition, mais c’est une société privée qui a construit le bâtiment», précise-t-il. En Veveyse, l’ouverture d’un centre de soins dans les locaux de l’hôpital, avec plusieurs généralistes épaulés par des spécialistes, est également à l’ordre du jour.
Davantage que des locaux neufs, certains demandent une revalorisation du métier. «On a l’impression d’être des sous-produits», décrit ce médecin bullois, à la retraite depuis peu, qui souhaite rester anonyme. Et celle-ci passe notamment par l’aspect financier. «Tant que les généralistes gagnent la moitié du salaire d’un dermatologue, la situation ne va pas s’améliorer», maugrée Ruedi Leuzinger.
D’aucuns revendiquent aussi une meilleure formation postuniversitaire, notamment par le bais du cursus romand des médecins généralistes «que le Département de la santé devrait plus soutenir», déclare Jacob Hetzel.
Pas «chic» d’être généraliste
Que pense la relève de cette profession? D’après Roman Sager, 26 ans, vice-président de la Fachschaft de médecine de l’Université de Fribourg, la réputation des médecins de famille n’est pas au beau fixe: «Ce n’est pas chic, à l’inverse d’être cardiologue. De plus, on reste au bas de l’échelle. Il n’y a pas de possibilité de faire carrière.» Les chiffres confirment cette impression. «A la fin de leurs études, 40% des jeunes médecins veulent devenir spécialistes, 10% médecins de famille et 50% sont indécis. En général, cette dernière catégorie fait son assistanat dans un hôpital et poursuit dans cette voie. La proportion idéale serait 40% de
spécialistes et 60% de médecins de famille. Aujourd’hui, c’est le contraire», explique François Héritier, vice-président de la société Médecins de famille suisse.
Christophe Magyar, 20 ans, président de la Fachschaft de médecine de l’Université de Fribourg explique cet intérêt pour les spécialités: «La plupart des étudiants veulent en savoir plus sur un seul sujet et non se disperser.» Même si, depuis quelques années, des efforts au niveau de la formation sont faits pour motiver les jeunes à devenir médecins de famille, le virage a, selon certains médecins, été pris trop tard.
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Une solution pour diminuer les gardes
Permanence, piquet ou encore garde. Trois termes pour une même contrainte, qui retient nombre d’étudiants à se lancer dans une spécialisation en médecine générale. «En Gruyère, il y a 19 médecins qui se partagent le tournus. Ils sont de garde pour une durée de 24 heures, en moyenne deux à deux fois et demie par mois», explique le Dr Philippe Mercier, responsable de l’organisation des permanences dans le district.
Depuis quelques années, le travail des médecins de garde a diminué. «A partir de 22 h, ce sont les urgences de l’hôpital qui prennent en charge les patients. Jusqu’à 8 h du matin, le médecin doit uniquement se déplacer pour les homes, la gendarmerie et les constats de décès», explique Philippe Mercier. Et la situation pourrait encore s’améliorer d’ici l’automne. «Une maison de garde est en train de se mettre en place à Riaz. De 18 h à 22 h, une permanence serait assurée par des médecins hospitaliers et des médecins installés en ville, dans des locaux adjacents à l’hôpital de Riaz, actuellement encore en travaux», explique Philippe Mercier, coïnitiateur de cette permanence avec le chef des urgences de Riaz, Alfredo Guidetti. D’après le médecin bullois, cette structure permettrait également de «susciter des vocations. Les médecins assistants qui travaillent à l’hôpital n’ont aucune idée de ce qui se passe dans les cabinets. En exerçant aux côtés de généralistes, ils pourraient se rendre compte de notre manière de travailler», s’enthousiasme Philippe Mercier. AR
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